Le 19 février 1942, la ville de Winnipeg est envahie à la surprise générale par des forces nazies. C’est l’opération Si un jour… /If day. Organisé par le gouvernement fédéral, ce coup d’éclat fictif avait pour objectif de réunir des fonds pour participer à l’effort militaire. Retour avec l’historien Laurent Busseau sur une opération unique.
Par Matthieu CAZALETS
Imaginez des soldats nazis, au volant d’un char léger, descendant l’avenue Portage en plein hiver manitobain. Maintenant, dites-vous que cela s’est réellement passé.
C’est dans la neige du mois de février 1942 que s’est produite l’invraisemblable image. 3 500 faux soldats allemands, habillés par « des costumes venus de Hollywood », ont anéanti toute résistance des forces de sécurité canadiennes en quelques heures, et pris le contrôle de la ville.
« L’effet psychologique est réel »
Toute la journée du 19 février 1942, plusieurs évènements ont rythmé cette fausse invasion. Chacun se voulait le plus symbolique possible des privations totales de liberté sous le régime hitlérien. Affiches entérinant de nouvelles règles placardées partout dans la ville, retrait du drapeau canadien… Tout était organisé pour changer complètement l’ordre en place. Aussi, des livres ont été brûlés devant la bibliothèque. Laurent Busseau précise : « Ces livres étaient déjà destinés à être détruits. Mais le symbole était là. »
Cette monumentale opération est orchestrée par le gouvernement canadien : « Ils ont véritablement monté cette fausse invasion comme si elle était réelle, avec des faux bombardements, des avions qui passaient sur la ville, des gens en uniforme qui se permettaient des exactions, le journal qui paraissait en allemand. » L’idée était de créer un gigantesque électrochoc dans la ville : « On leur a interdit beaucoup de choses, puis on leur a dit : Voilà c’est comme ça l’Europe. »
La plupart des Winnipégois étaient tout de même prévenus par avance, dans les médias par exemple. Laurent Busseau y voit une pièce de théâtre grandeur nature : « Il faut voir ça comme des mini-scènes de théâtre à des endroits très précis. Ils ont, par exemple, arrêté le maire, John Queen, et le lieutenant-gouverneur du Manitoba, Roland F. McWillians. Ils ont aussi agressé spectaculairement des distributeurs de journaux qui étaient dans le coup.
« Ce qui est intéressant, c’est que c’était une opération très bien montée. Ils ont de la chance que personne n’ait pris son fusil de chasse (rires)! Mais l’effet psychologique est réel. Je dirais presque que, comme outil de propagande, ça a été excessivement bien fait. Je crois que c’est unique dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. »
L’objectif initial de toucher la population manitobaine s’est avéré complètement dépassé. L’excellente communication des organisateurs a donné à l’opération une portée internationale impressionnante : « Ce n’est pas pour rien que des journalistes du New Yorker, de LIFE, qui arrosaient les côtes américaines, étaient présents. Avec Pathé UK, par le moyen du cinéma, ils ont rendu l’histoire disponible jusqu’en Angleterre. » Une présence qui permet l’existence d’images de très bonne qualité à ce jour.
Un succès économique
À Winnipeg, dans les années 1940, la guerre n’était pas toujours la préoccupation première des résidents : « Pour les gens du centre du Canada, la guerre, à part pour les gens qui en reviennent, c’est très loin. L’Europe elle-même est très loin. Il faut trouver un moyen d’impliquer ces gens-là dans le conflit européen. L’idée mise en place, c’est d’élargir le spectre de la population du Manitoba à beaucoup plus de monde, jusqu’aux voisins américains. La structure est plus vaste que Winnipeg; on veut vraiment cibler le coeur de l’Amérique du Nord. »
La donne n’est toutefois plus la même que pendant la Grande Guerre. Plus d’un million de soldats canadiens et terre-neuviens (1) ont participé à la Seconde Guerre mondiale. Mais dans le fond, l’engagement du pays n’était pas le même pour Laurent Busseau : « Dans la Seconde Guerre mondiale, les Canadiens participaient en tant que Canadiens, alors que dans la Première Guerre mondiale, ils étaient des sujets britanniques. »
Une fierté, donc, mais aussi un besoin de financement qui grandit. C’est d’ailleurs l’objectif principal de Si un jour… /If day : « C’est une armée de volontaires, on n’a pas encore déclenché la conscription. On a besoin de financer les troupes, l’armement. Les bons de guerre sont une nécessité économique. » Finalement, ce seront plus de 65 millions $ qui seront collectés pour l’ensemble de l’opération, ayant lieu du 16 février au 9 mars 1942. Le coup d’éclat du 19 février sera l’un des jours les plus prolifiques : « Pour des gens qui sont au coeur du Canada et un peu éloignés de la réalité du conflit, ce choc-là va faire qu’ils vont participer économiquement, et beaucoup de jeunes gens vont s’engager dans la Winnipeg Royal Rifles. »
Un évènement assez invraisemblable qui reste cependant peu ancré dans la mémoire collective mondiale, comme le pense Laurent Busseau : « C’est quand même quelque chose de connu localement à Winnipeg. Je dirais qu’au Canada, pour les gens qui s’intéressent à l’Histoire, c’est un évènement qui commence à être connu. Mais dans l’histoire globale de la Seconde Guerre mondiale, non. »
(1) Terre-Neuve devient la dixième province du Canada le 31 mars 1949. En 2001, la province est rebaptisée Terre-Neuve-et-Labrador.