L’authenticité est à la mode : il faut être soi, il faut montrer son unicité et annoncer sans détour son cheminement personnel. De nos jours, se montrer authentique c’est devoir mettre au grand jour sa vie intérieure en exigeant des autres qu’ils la reconnaissent comme telle.

Par Antoine CANTIN BRAULT

Pareille authenticité frôle parfois l’exhibitionnisme affectif : il faut avoir le coeur sur la main, s’ouvrir toujours de plus en plus aux autres, jusqu’à se mettre à nu. Il faut ne pas cacher ses intentions, être un livre ouvert. En un mot, il faut se montrer vrai.

Certes l’authenticité doit être associée à la vérité. Mais est-ce que la vérité exige cette manière-là d’être authentique? La vérité, en grec, a plusieurs noms. L’un d’eux est alètheia. Le philosophe Martin Heidegger, qui a be aucoup travaillé le sens de ce mot, nous dit que la vérité est un dé-voile-ment. En grec lèthè veut dire « voile » et comme le « a » de a-lètheia est privatif, il s’agit donc d’une négation du voile. Vu sous cet angle, se dé-voiler est bien le comportement vrai et authentique à adopter.

Mais Heidegger insiste pour que nous comprenions ceci : le voile ne peut jamais s’effacer, car le visible apparaît à partir du voile. Si le voile disparaissait, plus rien à proprement parler ne pourrait alors jaillir de lui. La vérité exige le maintien d’un lien entre le voile et le dévoilement, entre la submersion et l’émergence, entre le retrait et la présence. Ainsi la vérité conserve toujours sa part d’obscurité : elle révèle, tout en conservant ce qui a permis la révélation.

Cette manière de voir nous rappelle qu’il existe un mot simple pour exprimer un comportement vrai : la pudeur. La vérité est pudique. D’habitude, la pudeur s’applique au corps. Mais elle peut tout aussi bien, et d’ailleurs surtout, s’appliquer à la vie affective. Rester pudique, ce n’est pas tout dissimuler, c’est entretenir un certain mystère sur sa personne.

Un mystère qui agit comme un signe, un signe de ce qui demeure caché, afin que nous puissions encore surprendre, maintenir à vif l’intérêt. Être vrai, c’est s’assurer de conserver cette part de voile depuis laquelle nous nous ouvrons aux autres. La vraie authenticité n’est pas totale ouverture, mais ouverture en clair-obscur.

Cependant, ne risque-ton pas de maintenir une sorte de duplicité en révélant une part de soi tout en gardant une autre cachée? À cette question, on peut répondre par une autre question : Comment pourrions-nous être soi dans une ouverture totale, sans jardin secret? Ne serions-nous pas totalement vide sans cette profonde obscurité?

L’important, c’est de veiller à garder en cohérence sa face visible et sa face invisible, sans trahir sa face invisible. Puisque Persona en latin peut vouloir dire « masque », acceptons que la personne authentique porte toujours un masque. Non pas un masque qui trompe, mais plutôt un double visage à la Janus qui, à tout moment, peut se retourner et permettre le don de soi.