FRANCOPRESSE – Près d’un demi-million de personnes seraient actuellement sans statut migratoire au Canada. De nombreuses associations et acteurs du milieu demandent au gouvernement un programme pour régulariser une situation qu’ils jugent des plus urgentes.

Camille Langlade – Francopresse

Il est difficile, selon les diverses associations, de déterminer un nombre exact de sans-papiers. Ces personnes sont considérées comme une population cachée en raison de la difficulté à les joindre. La plupart d’entre eux vivent dans la peur d’être repérés par les autorités.  

Le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM) estime qu’il existe aujourd’hui entre 20 000 et 500 000 migrants sans papiers au Canada. « Des gens qui se trouvent principalement dans les grands centres urbains comme Vancouver, Montréal ou Toronto », observe David Moffette, professeur de criminologie à l’Université d’Ottawa.

Bien que souvent stigmatisés, les sans-papiers viennent de tous horizons : des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée, des étudiants internationaux qui n’ont pas effectué assez d’heures de travail pour demander leur résidence permanente ou encore des personnes en attente de visa.

Ces personnes n’ont théoriquement pas l’autorisation de résider au Canada ou d’y travailler. La plupart d’entre elles sont entrées légalement au Canada, avec un permis temporaire. Permis qui est ensuite arrivé à échéance.

« On estime que seule une faible portion des migrants sans papier sont des personnes qui sont entrées illégalement, qui ont été victimes de traite de personnes ou qui sont entrées clandestinement au Canada », précise le CIMM.

Qui sont-ils?

« N’importe qui peut devenir sans-papiers et la plupart ne sont pas rentrés au Canada par le chemin de Roxham [au Québec], tient à rappeler Samira Jasmin, porte-parole de l’organisme Solidarité sans frontières (SSF). Cela peut concerner un voisin, un collègue, un ami. »

Samira Jasmin
Samira Jasmin est porte-parole de l’organisme Solidarité sans frontières. (Photo : Gracieuseté Solidarité sans frontières)

Olivier* est arrivé au Canada il y a un peu plus de onze ans, après avoir quitté son pays africain natal. « J’ai abandonné tout ce que j’avais. J’ai dû vendre tout ce que j’avais comme biens pour payer le passeur. » Laissant derrière lui sa femme et ses huit enfants, dans l’espoir de trouver asile quelque part et de pouvoir ensuite les faire venir auprès de lui.

Il est entré au Canada par voie aérienne, avec un visa de touriste. « J’ai demandé l’asile directement à l’aéroport. » Sa demande a été rejetée. « On n’a pas cru à votre parole, à votre histoire. Il y a quelqu’un qui décide, comme ça, que ce que vous dites n’est pas crédible, alors que tout est là avec toutes les preuves », déplore aujourd’hui Olivier.

Voie sans issue

« À partir du moment où j’ai reçu l’ordre de quitter le Canada, j’ai compris que tout était fini pour moi », raconte-t-il. Malgré tout ce qu’il avait entendu dire sur les difficultés d’être sans-papiers, il était hors de question pour lui de rentrer dans son pays. « Non seulement je ne me sentais pas en sécurité et je n’avais rien pour nourrir mes enfants. »

Olivier s’est alors retrouvé sans statut, et sans recours. « À partir du moment où j’avais reçu l’ordre de quitter le pays, toutes les voies étaient fermées. » Impossible pour lui d’appliquer pour un autre type de visa.

Côté boulot, il fait « un peu de tout », avec le soutien de quelques connaissances. Sa rencontre avec Solidarité sans frontières a été décisive : « J’ai rencontré beaucoup d’autres personnes sans papiers. […] Heureusement que j’ai trouvé SSF, sinon, j’avais déjà pensé au suicide. »

« Un système criminel »

« C’est vraiment très, très difficile. Très, très compliqué, répète Olivier. Vous n’avez pas le droit de travailler, vous n’avez pas la santé, vous n’avez pas la paix, vous n’avez rien rien, rien […] C’est une situation qui vous laisse parfois sans voix. »

Le migrant parle d’une vie cachée, dans la peur et le stress. « Tout ça à cause d’un système qui met vraiment tout un monde dans la rue […] À cause d’un système qui n’a vraiment pas pitié des humains, un système criminel », lance-t-il, amer. Si la police le trouve, il peut être détenu et déporté dans son pays d’origine.

Le seul recours pour les migrants sans-papiers est de déposer une demande de résidence permanente depuis le Canada pour considération d’ordre humanitaire. Mais la stratégie peut être coûteuse.

« Comment est-ce que vous pouvez penser que quelqu’un comme un père de famille qui a huit enfants et une femme décide, un jour, comme ça, d’abandonner tous ses enfants pour se retrouver sans papier dans un autre pays?, explique Olivier. Ce n’est pas volontaire. Cela ne peut pas être volontaire, poursuit-il. Si je suis venu, c’est parce que je me suis dit que le Canada allait me sauver, que le Canada allait devenir mon pays; devenir le pays de mes enfants. »

David Moffette
David Moffette est professeur au département de criminologie de l’Université d’Ottawa. Il étudie notamment les impacts des politiques d’immigration au Canada et en Europe. (Photo : Gracieuseté)

Des immigrants comme les autres?

« Ces gens veulent rester au Canada pour les mêmes raisons que toutes les autres personnes qui souhaitent s’établir ici, observe David Moffette. Les migrants sans statut ne diffèrent pas des autres immigrants dans leur motif ; ils diffèrent dans la réponse juridique, dans le fait qu’on leur a refusé le permis pour lequel ils ont appliqué. La diversité est la même. La seule différence entre les personnes sans statut et celles avec un statut : les papiers. »

Face à cette situation, certaines organisations, comme le réseau pancanadien Migrant Rights Network, qui regroupe des organisations des quatre coins du pays, dont SSF, demandent au gouvernement de créer un programme de régularisation pour donner aux personnes sans papiers un droit de vivre légalement sur le territoire canadien. Conformément à l’engagement pris par Justin Trudeau dans la lettre de mandat au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, le 16 décembre 2021.

« Les discussions sont actuellement en cours entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux avant qu’une proposition finale soit faite au conseil des ministres fédéraux », rapporte Cheolki Yoon, bénévole au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) et postdoctorant à l’Université McGill de Montréal.

Cependant, le contenu du programme n’a pas encore été divulgué, « mais on sait que des scénarios différents sont sur la table », ajoute l’universitaire.

Selon les associations, un tel programme permettrait non seulement de protéger les droits des sans-papiers, mais aussi de contribuer à la croissance économique du pays. « Il n’y a absolument aucun avantage à ne pas régulariser, lance David Moffette. Ce sont des gens qui vivent et travaillent ici et qui vont continuer à le faire. Autant qu’ils le fassent avec dignité. »

« La plupart d’entre eux paient d’ailleurs des impôts, mais leurs employeurs ne versent pas les cotisations obligatoires », aux gouvernements, affirme SSF dans un communiqué.

Un programme simple et inclusif

Reste à savoir ce que comprendra le programme de régularisation à venir. Migrant Rights Network réclame un programme simple et accessible au plus grand nombre.

Pour David Moffette, pour que ce programme fonctionne, il faut que les gens puissent y avoir accès. « Plus il y a de critères [d’admissibilité], moins il y a de gens qui appliquent et moins on règle le problème. »

Le professeur estime en outre que la pérennité demeure un élément-clé : « Le choix de recourir à des permis temporaires et conditionnels produit de l’irrégularité, des pertes de statut. »

Le meilleur moyen de résoudre le problème selon lui serait de donner des permis permanents, ou des permis temporaires de longue durée qui peuvent ensuite déboucher sur des permis permanents.

« C’est vraiment une occasion historique, renchérit David Moffette. Il faut remonter aux années 1970 pour de tels programmes. » En 1973, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau avait lancé le Programme de rectification de statut qui avait permis de régulariser le statut de 39 000 migrants en provenance de plus de 150 pays.

Olivier fonde beaucoup d’espoir dans un futur programme gouvernemental. Son souhait : avoir « une vie meilleure, vivre librement, avoir la paix de circuler, être libre d’aller à l’hôpital quand tu es malade, avoir du travail, faire des déclarations d’impôt comme tout le monde. » Et revoir sa famille.

*Le prénom a été modifié pour des raisons de sécurité et de confidentialité.