À l’aube de l’année 1983, les bureaux de la Société franco-manitobaine (SFM) sont complètement ravagés par un incendie. Avant ce choc, ils avaient déjà été à plusieurs reprises sujets à des graffitis anti-francophones.
Retour sur le difficile climat linguistique qui prévalait au Manitoba dans la première moitié des années 1980 avec Gilberte Proteau, présidente de la SFM de mars 1980 à mars 1982 et de mars 1984 à mars 1985.
Par Ophélie DOIREAU
Alors situés au 194 boulevard Provencher, les bureaux de la SFM ont brûlé par un froid glacial dans la nuit du 30 janvier 1983. Premier point d’orgue de tensions grandissantes entre minoritaires francophones et majoritaires anglophones.
L’épisode historique commence en 1975, lorsque Georges Forest conteste une amende pour stationnement rédigée uniquement en anglais.
Cette affaire sera portée jusqu’à la Cour suprême où en 1979 le plus haut tribunal du pays statue que la Province n’avait pas le droit d’abolir en 1890 l’article de la Loi sur le Manitoba de 1870 qui garantit le droit d’utiliser le français ou l’anglais à l’Assemblée législative et devant les tribunaux, et qui stipule que les lois manitobaines doivent être publiées dans les deux langues officielles pour avoir force de loi.
| Déni de justice
Pourtant rien vraiment ne bouge sérieusement du côté de la Province. Ce déni de justice pousse la SFM à soutenir, dans les jours qui précèdent le premier référendum de mai 1980, l’option du OUI voulu par le Parti québécois, qui voulait obtenir un mandat pour négo-cier avec Ottawa la souveraineté du Québec.
Gilberte Proteau était depuis peu la présidente de la SFM. « Nous ne voulions pas encourager la séparation des Québécois. De notre côté, on voulait que les différents gouvernements comprennent notre insatisfaction à plusieurs égards et surtout en ce qui concernait la question linguistique. Alors nous avons décidé d’appuyer le OUI.
« À la SFM, nous sentions un réel besoin d’une nouvelle entente, d’une nouvelle constitution qui nous reconnaîtrait comme peuple, qui enchâsserait nos droits linguistiques et éducatifs, et qui nous ferait justice en tant que collectivité minoritaire. »
| Des avis divergents
Cette décision très politique n’a pas été largement comprise et une division s’est alors créée au sein même de la francophonie manitobaine, comme le déplore encore Gilberte Proteau, toujours soucieuse d’expliquer. « Beaucoup de personnes étaient furieuses, elles ne voulaient pas qu’on appuie ce référendum. Je pense qu’elles ne comprenaient pas le point qu’on défendait. Elles voyaient juste que la SFM soutenait un mouvement séparatiste.
« Je peux comprendre certaines réactions, parce que c’était une décision qui avait bousculé les évènements. Mais je crois réellement qu’on avait besoin d’un Québec fort et confiant pour que notre francophonie devienne plus prospère. »
La Liberté du 10 avril 1983 rapporte les propos de Franco-Manitobains qui n’étaient pas en accord avec cette décision. Raymond Hébert commentait dans sa chronique hebdomadaire :
« La décision de la Société franco-manitobaine la semaine dernière d’appuyer le oui au référendum québécois a été accueillie avec joie chez certains Franco-Manitobains (et, je suppose, chez les péquistes) ; avec étonnement et incompréhension chez de nombreux francophones et francophiles ; et avec colère chez un autre groupe, constitué en partie de membres de la Société qui se sont sentis trahis par une prise de position si tôt après l’assemblée annuelle, assemblée où le sujet du référendum avait à peine été effleuré. »
Me Rhéal Teffaine s’exprimait pour sa part ainsi : « Tout le monde est d’accord sur la nécessité d’une refonte constitutionnelle. Mais quant à la SFM, elle aurait dû simplement répéter sa grande frustration de ne rien voir se produire, et sans cesse faire revenir à la surface le document Pour ne plus être sans pays, qui contient les propositions constitutionnelles les plus avantageuses pour les francophones hors Québec. »
| Incompréhension des deux bords
Si la Francophonie manitobaine n’était pas unie, côté anglophone, les demandes des francophones n’étaient pas comprises non plus, rappelle Gilberte Proteau. « Beaucoup d’anglophones au Manitoba n’étaient pas en faveur de la présence des francophones. Nous devions nous battre sans cesse pour aller chercher nos droits. En plus de cette lutte constante, il fallait qu’on explique nos arguments aux anglophones. Alors que de fait et de droit, c’est quelque chose qui ne relevait pas de la discussion.
« La SFM avait beaucoup travaillé pour faire respecter nos droits en français. Avec certaines conséquences. Je me rappelle de plusieurs graffitis anti-francophones sur les murs des locaux la SFM. J’ai plusieurs fois été interpelée, voire attaquée verbalement parce que des anglophones voyaient le français comme une menace.
« J’entendais souvent de la part d’anglophones qu’on voulait forcer les gens à apprendre le français, qu’on voulait voler leur job, qu’on voulait prendre le dessus sur eux. Il y avait une montée de tensions, on sentait la haine. C’est après mon départ de la présidence que les bureaux de la SFM ont brûlé. Ce n’était pas facile de travailler à la SFM à cette époque. »
| Climat tendu
Déjà dès l’appui de la SFM au référendum, La Liberté du 3 avril 1980 montrait bien que les anglophones avaient du chemin à parcourir pour comprendre le contexte de leurs concitoyens en situation minoritaire, en notant : « Bien entendu, des journalistes anglophones n’ont pas manqué de se demander si la SFM recherchait pour les Franco-Manitobains une souveraineté identique à celle souhaitée par le Parti québécois pour le Québec. »
Néanmoins, comme le souligne Gilberte Proteau, il est ressorti une bonne chose de cette décision controversée et du climat tendu. « En prenant position pour le OUI, Ottawa nous avait entendus. La SFM leur avait montré que la Francophonie manitobaine était prête à se battre pour ses droits linguistiques. À partir de cet instant, je pense qu’Ottawa a commencé à nous considérer comme des Canadiens français et à mieux cerner tout ce que cette identité pouvait signifier pour nous »
| De la place pour tous
Avec le recul des décennies, Gilberte Proteau porte un regard admiratif sur ce que la Francophonie manitobaine a pu devenir. « Quand je vois qu’aujourd’hui un nombre imposant d’anglophones mettent leurs enfants dans les écoles d’immersion française, je me dis : C’est magnifique ! Cette évolution était inimaginable il y a 40 ans. J’ose penser que la plupart des anglophones ont compris que les francophones n’étaient pas une menace. Les francophones peuvent donc mener au besoin des batailles sur d’autres fronts. »