Mère fièrement francophone, écrivaine, puis sénatrice. Maria Chaput est, sans aucun doute, une « leadeur de chez nous ». Le feu de la francophonie l’a poussée à lutter jusqu’au Sénat pour les droits des minorités francophones à travers le pays. Elle revient sur sa carrière, qui lui vaut aujourd’hui de recevoir l’Ordre du Canada.

Par Morgane LEMEE

| Madame Chaput, comment avez-vous pris la nouvelle?

J’ai été très surprise. Quand j’ai reçu l’appel du bureau de la gouverneure générale, je croyais que c’était pour une référence. On me dit : Oui, pour vous. Vous avez été nommée. C’est vraiment quelque chose, un honneur. À un moment donné, la communauté m’a choisie pour être une de celles qui iraient défendre ses droits.

| La francophonie, ça a vraiment été le coeur de votre carrière…

Mon héritage et mes racines ont fait que le français a toujours fait partie de ma vie. Ce n’était pas une question. Je pense à mes grands-parents, les Chaput, les Charrière. C’était tellement important de parler le français et de bien le parler. On nous faisait chanter en français aussi. Et puis j’ai eu mes filles (1) et j’ai réalisé qu’on n’avait même pas nos écoles françaises.

| Donc votre rôle de mère a vraiment influencé votre parcours de vie?

Oh oui, tout à fait. Un jour, j’apprends que de l’argent avait été remis par la Province pour des livres en français. C’était avant qu’on ait notre division scolaire. Alors j’appelle la bibliothèque de l’école de mes filles pour savoir s’ils ont de nouveaux livres en français pour les enfants. J’apprends alors, comme c’était une division scolaire anglophone, qu’on n’avait pas le contrôle sur comment l’argent était dépensé. Et là je me suis dit : Ça n’a vraiment plus d’allure. J’ai commencé à m’intéresser de plus en plus à ce qu’il se passait.

| C’est là que vous avez rejoint le mouvement de la Fédération des Parents, pour la création d’une division scolaire francophone au Manitoba?

Oui. Il y avait Léo Robert aussi, tout un mouvement était déjà en marche. Je les ai rejoints, parce que je voulais élever mes filles en français. Moi, j’ai vécu en français avec mes parents, mes grands-parents. Mais je découvrais que la réalité était différente, qu’on était sur une pente descendante. Alors j’ai fait comme bien d’autres parents. Le soir, après le travail, je faisais du porte à porte pour convaincre les parents que nous avions besoin de notre division scolaire française. Parce qu’une école française, ça donne quoi si la division est anglophone? Je me suis dit : Je vais appuyer bénévolement toutes ces familles, je vais élever mes enfants, et un jour, je vais me joindre de façon bien plus active.

| C’est comme un feu en vous qui s’est allumé…

J’ai vu l’importance du leadeurship. Les gens et la communauté sont là, mais souvent, on n’a pas le temps ou on ne voit pas qu’on est capable de faire des choses. Mais si on ne prend pas le leadeurship, ça ne bouge pas.

Le premier poste officiel où j’ai pu commencer à faire vraiment avancer les choses, ça a été comme directrice au Centre culturel franco-manitobain. Je suis devenue membre de la Fédération culturelle canadienne française et c’est là que j’ai appris à connaître la francophonie au niveau canadien.

| C’est-à-dire?

J’ai vu que la lutte pour garder notre français était sensiblement la même partout à travers le Canada. Et que ça prenait des gens dévoués, et souvent bénévoles, pour lutter. Les Acadiens se battaient à l’autre bout, nous dans l’Ouest. En Saskatchewan, en Alberta, en Colombie-Britannique… C’était la même lutte. Tout ça m’a amenée plus loin.

| Que vouliez-vous accomplir à ce moment-là?

Démontrer au fédéral qu’on avait besoin d’argent pour vivre en français. Et l’argent, c’est les nombres. Mais à chaque recensement, on se faisait dire qu’on diminuait. Je me disais : Ça n’a pas d’allure. Comment peut-on diminuer quand il y a nos écoles françaises et des écoles d’immersion? Comment peut-on dire qu’on recule tout le temps? Je voulais comprendre pourquoi nous étions tou-jours perdants. C’était comme si on était contre nous, on nous divisait continuelle-ment. Et nous, on se débattait comme des diables dans l’eau bénite.

| Et puis vous avez accédé au Sénat…

Je travaillais pour le ministre Ronald Duhamel. Il se battait tellement pour la francophonie. Il était incroyable. Un jour, il me dit qu’il me verrait bien au Sénat. Ben voyons don’! Et puis, plus je lisais et plus je rencontrais du monde, plus je me disais : Oui, c’est là qu’il faut que j’aille. Là, si je travaille très fort, je pourrais faire une différence pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je dois faire une différence.

Et je me vois encore, en décembre 2002, quand j’ai reçu l’appel du premier ministre Jean Chrétien. Il m’a demandé si j’acceptais de servir mon pays. Le coeur me débattait.

| Votre carrière de sénatrice a particulièrement été marquée par votre projet de loi pour moderniser une partie de la Loi sur les langues officielles…

Les dossiers sur la francophonie, ça me tenait particulièrement à coeur. Je travaillais avec une équipe formidable, avec des jeunes. Je leur ai dit : Je ne serai pas là pour le reste de ma vie. Je veux apporter un changement. Avec toute une équipe, dont Me Bastarache, Me Mark Power, on a développé un premier projet de loi. Mais c’était très difficile, parce que les Conservateurs étaient au pouvoir. Et moi, j’étais sénatrice libérale.

| Et c’était un obstacle?

Bien sûr. Quand les Libéraux étaient au pouvoir, j’avais une écoute. Là, même si certains Conservateurs francophones étaient d’accord avec mon projet de loi, ils ne votaient jamais pour moi, parce que le Parti conservateur, lui, n’était pas d’accord. C’est là que j’ai vu à quel point la partisanerie, à l’extrême, nuit à notre pays. Je croyais que j’y serais arrivée. Mais je n’ai pas pu faire passer mon projet de loi. On le retravaillait à chaque fois, on décortiquait les discours. Je l’ai déposé au moins quatre fois. Et puis j’étais épuisée. On voyageait toutes les semaines au Sénat. Ma santé commençait à être affectée. J’ai pris ma retraite à 73 ans, parce que je ne pouvais plus.

| Sentez-vous que vous avez réussi à faire une différence?

Oui. Tout ce que j’ai fait a tellement sensibilisé. Après mon départ, le président du Conseil du Trésor a annoncé qu’ils allaient faire une révision de la Loi sur les langues officielles en s’inspirant de mon travail. Finalement, ça a porté fruits. C’est ça l’important, d’avoir sensibilisé. Ça a fait changer la définition de la francophonie canadienne. Ça a inspiré de nouvelles questions à Statistique Canada pour inclure les personnes qui parlent le français, mais qui ne faisaient pas partie de nos nombres. Il y a des élus qui vont continuer d’y travailler. On a avancé. C’est pour ça que je suis heureuse de mon travail.

| On dirait que le feu de la francophonie en vous est toujours allumé…

C’est ce que je suis. Mais je ne peux plus faire ces choses là, parce que ma santé est fragile. Ce qui est important, c’est qu’il y ait des communautés qui continuent le travail. Je suis convaincue que les leadeurs de maintenant et de demain vont commencer à faire du bruit. J’ai confiance.

(1) Tamyèle, Madeleine et Micheline.

 

Deux autres manitobains honorés

Parmi la sélection de 99 récipiendaires de l’Ordre du Canada annoncée le 29 décembre dernier, deux autres Manitobains ont été nommés. Pour avoir contribué à la musique canadienne en tant que chanteur, compositeur et réalisateur de musique folk chrétienne, et pour avoir défendu des causes sociales et communautaires, Stephen Alfred Bell reçoit l’Ordre du Canada, tout comme Patricia Margaret Ningewance pour sa contribution à la vitalité des langues autochtones en tant que professeure d’anishinaabemowin, auteure et éditrice.