La plupart des Canadiens comprennent que le pouvoir qu’ils confient à leurs élu(e)s doit être utilisé de manière à renforcer les valeurs qui font de ce pays une démocratie stable. Et ils voudraient croire que ces valeurs sont fidèlement inscrites dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Par Michel LAGACÉ

Mais voilà que, ces dernières années, trois Premiers ministres provinciaux qui représentent pas moins de 73 % de la population canadienne semblent vouloir affaiblir la fédération et la portée de la Charte pour régler des griefs personnels et politiques. Car quiconque utilise la clause dérogatoire de la Charte nie expressément des droits constitutionnalisés.

François Legault du Québec a utilisé cette clause pour faire respecter sa Loi sur la laïcité de l’État, une loi de 2019 qui interdit aux employé(e)s publics/ques de porter des symboles de leur religion au travail. Il a de nouveau eu recours à la clause en 2022, cette fois pour immuniser pour une période de cinq ans la Loi sur la langue officielle et commune du Québec contre des contestations fondées sur la Charte.

En Ontario, Doug Ford avait capricieusement réduit de moitié la taille du conseil municipal de Toronto, et pour ce faire, il avait inclus la clause dérogatoire dans sa loi. Il n’en a finalement pas eu besoin lorsque la Cour suprême a affirmé le droit de la Province de prendre cette mesure. M. Ford a de nouveau menacé d’utiliser la clause dérogatoire l’automne dernier pour priver les travailleurs/ses de soutien scolaire du droit de grève. Il n’a reculé que lorsque les syndicats de la province l’ont menacé de grève générale.

Pour sa part, le gouvernement de Danielle Smith en Alberta a adopté l’Alberta Sovereignty Within a United Canada Act, une pensée magique inconstitutionnelle selon laquelle la Province s’accorde le pouvoir d’ignorer la loi fédérale chaque fois que l’envie lui en prend.

Autant d’actions qui vont à l’encontre de ce qu’est le Canada, à savoir un état de droit. Les tribunaux ne peuvent pas intervenir quand la clause dérogatoire est invoquée. Le gouvernement fédéral non plus, lui qui est pourtant doté de pouvoirs réels pour agir selon son rôle unique : faire respecter un marché commun, protéger les droits des minorités et s’assurer que les Provinces, dans l’exercice de leurs pouvoirs, ne nuisent pas à l’ensemble du pays.

Une attitude sans doute liée au rejet spectaculaire de l’accord de Charlottetown en 1992. Depuis au moins 30 ans, une succession de Premiers ministres fédéraux a agi comme si la meilleure façon de maintenir la paix dans le pays était d’éviter toute discussion d’amendements constitutionnels.

Le temps doit bientôt venir où le gouvernement fédéral devra s’affirmer pour assurer que les valeurs qui guident le pays soient respectées. Car il a un rôle légitime et central au nom duquel il devrait entreprendre le difficile travail de moderniser la constitution.