Depuis le 1er janvier 2023, la Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens est entrée en vigueur. Applicable pendant une durée de deux ans, quel impact ce décret fédéral éphémère va-t-il avoir sur le marché de l’immobilier canadien?

Par Hugo BEAUCAMP

Sur recommandation du ministre du Logement et de la Diversité et de l’inclusion, Ahmed Hussen, et avec pour ambition de rendre les prix des logements plus abordables pour les citoyens canadiens, la Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens a été adoptée au 1er janvier 2023. C’est en tout cas l’ambition de cette loi fédérale qui devrait, selon les déclarations du gouvernement, être abrogée après une période de deux ans.

Si l’énoncé de la loi peut paraître relativement explicite, elle est en réalité un peu plus complexe qu’il n’y paraît et mérite d’être disséquée.

Tout d’abord, qu’est-il sous-entendu par immeubles résidentiels. Un immeuble résidentiel comme défini par la loi peut-être : une maison individuelle ou un bâtiment similaire, une partie d’un bâtiment qui constitue une maison jumelée ou en rangée et sur laquelle il y a un droit de propriété distinct.

En ce qui concerne la dénomination non-Canadien, elle englobe évidemment, tous les individus qui ne sont pas citoyen canadien, les sociétés constituées autrement que par une loi fédérale ou provinciale. À noter que les personnes inscrites à titre d’Indien sous les modalités de la Loi sur les Indiens et les résidents permanents ne sont pas concernés par l’interdiction.

Les résidents temporaires quant à eux, peuvent faire l’objet d’une exception à cette règle si certaines conditions sont remplies.

| Des exceptions

S’il est étudiant : il doit avoir produit des déclarations de revenus conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu pendant les cinq années précédant l’achat. Avoir été présent sur le sol canadien pendant au moins 244 jours pendant chacune des cinq années civiles précédant l’achat. Le prix du bien n’excède pas les 500 000 $. Il n’a acheté qu’un seul immeuble résidentiel.

S’il est titulaire d’un permis de travail, il aura besoin d’avoir travaillé à temps plein pendant au moins trois ans sur les quatre années précédant l’achat. D’avoir produit au moins trois déclarations de revenus. Il n’a acheté qu’un immeuble résidentiel.

D’autres dérogations peuvent être accordées dans des cas plus spécifiques, pour les réfugiés ou les diplomates par exemple.

Ces exceptions laissent transparaître que cette Loi a été conçue pour, si ce n’est faciliter, au moins ne pas entraver les tentatives d’achats des non- Canadiens ayant clairement l’intention de s’établir au Canada.

Finalement, une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 $ est prévue pour les non- Canadiens ayant enfreint cette interdiction ainsi que toutes les personnes ayant participé en connaissance de cause ou pas à ladite infraction.

Alors faut-il s’attendre alors à ce que les prix de l’immobilier diminuent?

Denis-Michel Thibeault, agent immobilier à Winnipeg, émet un doute : « Je ne crois pas que ça aura un impact ici », car selon lui la Loi intervient plutôt pour « empêcher le capital étranger d’acheter au Canada. Ceux qui n’ont pas l’intention de mettre les pieds ou de travailler ici. » Et la problématique existe dans certaines provinces, en veut pour preuve la mise en place de taxe sur la spéculation et l’inoccupation en Colombie- Britannique.

| Une méthode efficace?

Mais difficile de dire si le problème sévit au Manitoba : « Le fait que les acheteurs soient non-Canadiens ou pas n’était pas vraiment une donnée qui était prise en compte, explique Denis-Michel Thibeault. Nos associations professionnelles n’ont jamais vraiment donné de chiffres. » Et c’est parce qu’elles n’en ont pas. La rédaction s’est rapprochée de la Winnipeg Regional Real Estate Board pour tenter de définir la proportion d’acheteurs que les non-Canadiens représentent sur le marché immobilier manitobain. Le service statistique a simplement expliqué ne pas détenir les informations demandées. Cependant, en 2020, Statistique Canada estimait à 1,5 % le taux de propriétaire immobilier non-canadien au Manitoba.

En ce qui concerne les prix de l’immobilier sur notre province, Denis-Michel Thibeault souligne que si les prix restent relativement élevés, « l’inflation s’est beaucoup calmée. Nous sommes plus proches des prix avant-pandémie. »

Le marché de l’immobilier, comme tous les autres, est soumis aux simples règles d’offre et de demande. Interdire à un groupe de personnes étrangères permettrait, en théorie, de maintenir le niveau d’offre pour répondre à la demande des Canadiens.

Steven Ambler
Steven Ambler est professeur associé au département des sciences économique de l’Université du Québec à Montréal. (photo : gracieuseté)

Mais pour Steven Ambler, professeur associé au département des sciences économique de l’Université du Québec à Montréal, « les mesures qui empêchent l’achat de logements par des groupes de personnes ou qui subventionnent l’achat de logements par d’autres groupes de personnes sont souvent contre-productives. » Il assure d’ailleurs que lorsqu’un marché se porte bien, la spéculation n’est pas forcément malsaine : « C’est quelque chose qui peut soutenir les prix et inciter les constructeurs à investir davantage. » Steven Ambler nuance cependant : « C’est particulièrement problématique dans les villes où il est difficile de construire de nouveaux logements », conclut-il.

| Représailles?

Rappelons que les Canadiens sont de gros acheteurs de biens immobiliers à l’étranger, notamment aux États-Unis. Selon la Canadian Real Estate Association, ils sont d’ailleurs les plus gros acheteurs de propriétés en Floride et en Arizona. Le vote d’une telle Loi pourrait alors entraîner une réaction de l’autre côté de la frontière. « Des représailles de la part du gouvernement américain pourrait avoir des conséquences sur les Canadiens, souligne le professeur d’économie. J’extrapole beaucoup, mais les guerres de tarifs sont toujours une possibilité. »