La Liberté fait le point avec le cas pratique de l’association sportive manitobaine grâce à un procès verbal obtenu récemment qui fait état d’un climat délétère.

(Attention ce texte peut contenir des propos qui peuvent heurter la sensibilité)

La question de la place des athlètes transgenres dans le monde du sport semble avoir été tranchée au plus haut niveau des organisations sportives. Que ce soit par le Comité international olympique ou encore le Centre canadien pour l’éthique dans le sport. Dans les deux cas, les athlètes peuvent concourir dans les catégories hommes ou femmes auxquelles ils/ elles s’identifient. Badminton Canada adhère à cette même politique.

Mais sur le terrain, cette question peut mener à de vives tensions comme c’est le cas à Badminton Manitoba, qui traverse actuellement une crise et qui amène sa directrice générale, Mélanie Curé à se débattre pour que les politiques établies sur le plan international et national soient respectées.

La Liberté a obtenu copie du procès-verbal (PV) de la réunion de mai 2022 dans laquelle le copropriétaire de Prairie Badminton, entraîneur et ancien directeur général de Badminton Manitoba, Ryan Giesbrecht se présentait devant le CA pour exprimer ses doléances sur la politique d’équité et d’inclusion du genre établie par Badminton Canada et plus concrètement au sujet d’une femme transgenre ayant concouru et gagné un tournoi féminin.

Les éléments du PV permettant d’identifier l’athlète ont été ôtés. Lors de cette réunion, et tel que mentionné dans le PV, Ryan Giesbrecht déclare qu’ : « un “homme biologique” a gagné dans la catégorie féminine du [NOM DU TOURNOI] et estime que ce n’est pas juste pour les joueuses qui ont concouru uniquement pour être “battues par un gars parce qu’il s’identifie comme une femme”. »

Avantage compétitif

Ryan Giesbrecht estime que « ce genre de politique amènera les hommes à dominer le sport féminin », peut-on lire dans le PV. Lors de cette audience devant le CA, il dit aussi regretter que ce problème ait créé une atmosphère dans laquelle personne ne peut parler franchement de ce sujet.

Dans une entrevue accordée à La Liberté, il réitère : « Les gens qui pensent comme moi ne sont pas autorisés à parler dans la société. Parce qu’ils se retrouvent suspendus, harcelés, et traités de transphobes. »

Selon lui, mais sans dévoiler ni nom, ni sport et sans présenter de preuves, un arbitre de haut niveau aurait arrêté d’arbitrer en raison des nouvelles politiques mises en place sur le genre.

Ryan Giesbrecht insiste qu’ « il est de la responsabilité du CA de prendre les bonnes décisions et de défendre ce qui est “juste et vrai” », arguant que « la “vérité” fait que pour jouer un sport dans la catégorie féminine les gens devraient être “totalement” une femme ou une fille ».

C’est en invoquant un certain « avantage compétitif des athlètes femmes transgenres au détriment des femmes cisgenres » que Ryan Giesbrecht justifie sa notion de « vérité biologique ».

Dans son entrevue avec La Liberté, Ryan Giesbrecht précise sa pensée : « Je pense que c’est plus sûr de dire que l’enjeu se situe pour les femmes transgenres. Certains sports sont dominés par les femmes parce que ces sports demandent plus de finesse et de délicatesse.

« Autrement, dans la plupart des sports, ce qui est important ce sont les muscles, alors les hommes sont plus avantagés. Les femmes n’auront pas les mêmes chances de réussite. D’ailleurs certaines femmes sont très vocales à propos de ça.

« Par exemple, sur les sports qui dépendent du chronomètre, les athlètes transgenres auront un avantage. On le sait par des recherches, il est possible de regarder la masse musculaire, les taux de testostérones », avance Ryan Giesbrecht.

Récemment, nous avons mené une recherche sur la testostérone et son impact sur les athlètes transgenres femmes et leurs performances. Les auteurs ont conclu qu’il n’y avait pas de preuves qu’il y ait un avantage.

Karri DAWSON, directrice générale du Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES)

Aucune étude probante

Pourtant à cet égard, le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES) par sa directrice générale, Karri Dawson, tient à déconstruire ce préjugé. « Cisgenre ou transgenre, ce sont des femmes. Les politiques des sports doivent être établies sur des recherches. Le problème que nous avons actuellement c’est qu’il n’y a pas assez de recherches fiables. Il y a quelques recherches, seulement elles ne comparent pas des athlètes transgenres femmes contre des athlètes cisgenres femmes, mais contre des athlètes cisgenres hommes. Aussi, nous n’avons qu’un faible pourcentage d’athlètes transgenres. Alors les études comparent parfois des femmes transgenres qui ne sont pas des athlètes contre des athlètes.

« Il y a un manque de données pour dire qu’il y a un avantage pour les femmes transgenres. »

Elle poursuit sur la question scientifique : « Récemment, nous avons mené une recherche sur la testostérone et son impact sur les athlètes transgenres femmes et leurs performances. Les auteurs ont conclu qu’il n’y avait pas de preuves qu’il y ait un avantage. »

Outre la question de recherches scientifiques, la directrice générale du CCES, Karri Dawson rappelle que le Canada est un état de droit et que l’égalité des citoyens devant la loi n’est pas négociable. « Au Canada, c’est un droit humain de vivre en fonction du genre auquel tu t’identifies. Ce qui signifie pouvoir participer à la société et donc pratiquer le sport dans le genre auquel tu t’identifies. »

Des politiques claires

Les politiques de Badminton Canada corroborent les déclarations du CCES. Badminton Canada, chapeautant les associations provinciales, détermine donc les politiques. Mélanie Curé, la directrice générale de Badminton Manitoba est sans appel : « La politique, c’est que n’importe quel athlète peut jouer selon le genre auquel il s’identifie. » Dans une entrevue à La Liberté, elle explique : « Les politiques de Badminton Manitoba découlent de Badminton Canada. Elles peuvent être retravaillées selon notre contexte. Mais l’organisation provinciale ne peut pas affaiblir ces politiques.

« La politique est très claire, poursuit-elle. Il n’y aurait jamais dû avoir de discussion. La politique existe depuis fin 2019, début 2020. »

La politique de Badminton Canada sur l’équité et d’inclusion du genre a été mise en place au début 2020 alors que Ryan Giesbrecht était directeur général de Badminton Manitoba.

Si, dans une entrevue accordée récemment à La Liberté, il déclare « ne pas avoir eu connaissance de l’évolution de cette politique », il contredit néanmoins ce qu’il a déclaré lors de son audience auprès du CA en mai 2022 dans laquelle il confirme avoir eu des conversations avec Sport Manitoba et Badminton Canada à ce sujet. Il en est d’ailleurs ressorti convaincu que les entités sportives auraient pris leur décision en fonction du climat actuel de la société et non sur la base de leurs propres convictions.

Une déclaration contredite par la directrice générale, Mélanie Curé qui estime que les organisations sportives au plus haut niveau sont à l’aise avec le processus de prise de décisions et avec la direction que le sport a choisi.

Joint par La Liberté, Badminton Canada n’avait pas été en mesure de nous accorder une entrevue à l’heure de passer sous presse.

Un climat tendu

Questionné par Mélanie Curé lors de l’audience de mai 2022, Ryan Giesbrecht a confirmé avoir déjà empêché une athlète transgenre de participer à un tournoi dans la catégorie féminine et lui avoir demandé de concourir chez les hommes. Chose qui l’exposerait aujourd’hui selon les nouvelles politiques de Badminton Canada à être l’objet d’une plainte officielle auprès de l’agente du sport sécuritaire de l’association nationale.

Mélanie Curé essaye quant à elle d’aller de l’avant. « Il faut laisser nos politiques nous guider à présent. J’essaie de m’assurer que la discrimination n’arrive plus dans nos programmes. Je veux renforcer nos politiques afin que les conséquences de ce genre de discriminations soient très claires. »

Le président actuel de Badminton Manitoba, Yuns Oh n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevues mais le président de l’époque Barrington Nichols était clair sur sa position.

On peut lire dans le procès verbal de mai 2022 : « BN (Barrington Nichols) dit que ce n’est pas l’endroit pour un débat idéologique et a rappelé à RG (Ryan Giesbrecht), que fût un temps, lui-même, comme homme noir, n’aurait pas été autorisé à participer à des compétitions ou à faire bien d’autres choses. »

Un monde en évolution

« Il y a toujours eu des catégories dans le sport depuis que les femmes peuvent jouer. Mais qui sait? La société évolue alors le sport pourrait évoluer aussi. Je suppose qu’à un moment donné, il sera possible qu’il n’y ait plus de catégories de genre », explique Karri Dawson.

Une solution qui répondrait à une question en suspens pour Ryan Giesbrecht. « Le monde du sport devrait faire plus de sens par rapport aux politiques adoptées. Pour l’instant c’est un non-sens à mon avis. Parce que les gens qui s’identifient comme non binaires ou de genre fluide n’ont pas de catégorie. »

Si les questions de genre et d’équité font apparaître sur le terrain des tensions délétères, Karri Dawson conclut : « Toutes les conversations que nous avons doivent être menées avec des valeurs communes : respect, inclusion. Tout en restant loin de nos opinions personnelles. »