Par Laurent GIMENEZ

Dans chacune de ces phrases, les mots écrits en italique sont des synonymes, c’est-à-dire qu’ils ont le même sens ou des sens très proches. Mais ils ne sont pas pour autant interchangeables. Ils peuvent même, dans certains contextes, avoir des sens opposés. 

Prenons les verbes célébrer et commémorer. Tous deux s’emploient pour souligner un événement important. Mais célébrer à une connotation festive qui limite son utilisation aux événements joyeux ou positifs. C’est un synonyme exact de « fêter ». Par exemple, on célèbre une victoire, la naissance d’un enfant ou le premier jour du printemps. 

On ne peut donc pas dire que la population américaine célèbre chaque année l’attentat du 11 septembre, car cela signifierait qu’elle s’en réjouit. En revanche, la population commémore l’événement, c’est-à-dire qu’elle en rappelle le souvenir par des céré-monies. La commémoration peut s’appliquer à des souvenirs aussi bien tristes que joyeux, contrairement à la célébration qui est toujours heureuse. 

On retrouve le même type d’opposition avec les mots chance et risque. La chance caractérise toujours des hypothèses heureuses et le risque des hypothèses plutôt malheureuses. Par exemple, si je me fais vacciner contre la grippe, j’ai de grandes chances de ne pas contracter la maladie. Mais si je ne me fais pas vacciner, j’ai de grands risques – et en aucun cas de grandes chances! – de la contracter. 

La même distinction existe entre les expressions grâce à et à cause de. La première annonce toujours un résultat positif et la seconde généralement un résultat négatif. C’est pourquoi la phrase suivante, par exemple, est contradictoire et même absurde : « La population a gagné du pouvoir d’achat à cause de la baisse des prix ». Le résultat étant positif, il faudrait plutôt écrire : grâce à (ou en raison de) la baisse des prix. 

Curieusement, alors que l’expression à cause de implique généralement une conséquence négative, le verbe causer et le nom cause sont plus neutres et peuvent introduire des conséquences aussi bien positives que négatives. Exemple : « Le progrès scientifique est une cause d’optimisme autant que d’inquiétude ». 

Venons-en aux aboyeurs et aux jappeurs. Dans toute la francophonie, aboyer et japper désignent le fait, pour un chien, de pousser des cris. Mais il y a une petite nuance entre les deux verbes : aboyer correspond aux cris du chien en général, alors que japper désigne plus précisément les cris aigus et clairs que poussent les chiens jeunes ou petits. 

Le Canada et la Louisiane sont les seules régions de la francophonie où les locuteurs emploient le verbe japper de façon générique, c’est-à-dire pour désigner les cris du chien en général, quels que soient l’âge et la taille de celui-ci. Voilà pourquoi on peut dire, avec une pointe d’humour, que les chiens jappent au Canada et en Louisiane et qu’ils aboient dans le reste de la francophonie! 

L’usage du verbe sacrer au sens de « proférer des jurons » est une autre particularité canadienne. Il découle de l’emploi traditionnel du mot « sacré » dans les jurons (« sacré bon sang! », par exemple). Dans la francophonie en dehors du Canada, on emploie plutôt le verbe jurer qui évoque moins la religion. 

La persistance du verbe sacrer et du nom sacre (comme synonyme de juron) au Canada est probablement due au fait que la majorité des jurons canadiens-français ont une forte connotation religieuse. Cette connotation est peu présente dans les jurons utilisés en France, où la déchristianisation est plus ancienne et plus profonde qu’au Canada. Expulsés du langage courant, les hosties, les ciboires et les tabernacles ont échappé, en France, à l’infamie de devenir des jurons, comme au Canada.