La tournure des débats entre les membres du Comité permanent des langues officielles a de quoi interpeller les observateurs les plus expérimentés. Me Guy Jourdain, qui a beaucoup travaillé sur les sujets de droit et de langue, est assez surpris de voir notamment plusieurs députés libéraux ralentir le processus, alors que c’est ce même gouvernement libéral qui a présenté il y an, le 1er mars 2022, un projet de loi visant à moderniser la Loi sur les langues officielles (LLO) pour l’adapter à la société actuelle. « C’est très rare que les députés du parti au pouvoir s’opposent à certains éléments du projet de loi. La situation actuelle est plutôt inusitée et, à mon avis, déplorable. » 

Me Guy Jourdain, qui a exercé la charge de représentant du commissaire aux langues officielles du Canada pour la région du Manitoba et de la Saskatchewan de 2015 à 2018, indique également que les blocages viennent notamment des députés libéraux qui représentent des circonscriptions majoritairement anglophones de l’ouest de l’île de Montréal, qui s’opposent « farouchement » à ce que la LLO fasse mention de la Charte de la langue française du Québec

Justin Trudeau, le premier ministre du Canada, n’a, de son côté, laissé aucune place à l’hésitation. « Tous les ministres évidemment vont appuyer le projet de loi C-13 », avait-il déclaré lors d’une conférence de presse, à la mi-février. Le premier ministre avait surtout calmé les doutes émis d’un commentaire du ministre des Relations Couronne- Autochtones, Marc Miller. À ce sujet, questionné par la presse, il avait simplement dit : « Vous allez voir ». 

« Je ne suis pas rassurée par ce que je vois chez les Libéraux malgré les déclarations du premier ministre. Je m’attends à ce que ce gouvernement du pays fièrement bilingue se tienne debout clairement pour un projet de loi qui sert à protéger les communautés. Ce n’est pas ce qu’on a présentement », explique Niki Ashton, seule députée NPD présente au Comité. 

De l’optimisme 

Daniel Boucher, directeur général de la Société de la francophonie manitobaine (SFM) suit de près ce qui se passe au Comité. Il se veut optimiste sur l’obtention d’un projet de loi fort malgré tous les jeux politiques. 

« À un moment donné, les gens vont trouver une façon de se rallier pour assurer d’avoir un projet de loi qui se tient. Ça fait quand même cinq ou six ans qu’on y pense et qu’on y travaille. Tous les partis sont conscients de ça. À la fin, on n’est pas tellement inquiets des va-et-vient politiques. On reste tout de même un peu déçu par rapport à certaines personnes qui ont des préoccu-pations personnelles. « Pour bien saisir la dualité linguistique au Canada et la position de nos communautés, il faut rappeler que c’est bien le français, dans nos communautés ou au Québec, qui a besoin de protection. » 

En effet, la LLO ne vit pas sa première révision et ses premiers débats. Adoptée en 1969, cette loi fait l’objet, en 1988, d’une révision majeure pour assurer la pleine mise en oeuvre des droits linguistiques garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Sa portée s’étend à de nouveaux domaines et finale-ment, l’une de ses nouvelles composantes, la partie VII, énonce l’obligation du gouvernement fédéral à appuyer le développement des communautés de langue officielle en situation mino-ritaire et à faire la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne. 

Après son 50e anniversaire en 2019, le projet de loi C-32, en 2021, tente une nouvelle fois de moderniser la loi et vise « l’égalité réelle du français et de l’anglais », selon le site du Commissariat aux langues officielles. Mais ce projet de loi meurt au feuilleton lors du déclenchement des élections. 

Si aujourd’hui C-13 semble embourbé à cause d’enjeux politiques personnels, les observateurs proches du dossier affirment que C-13 en l’état est meilleur que C-32 ou même que la loi révisée en 1988. « Ça serait une avancée considérable. Il représente des progrès dans plusieurs domaines », ajoute Me Guy Jourdain. 

« Je suis préoccupée par les choix des Libéraux depuis plusieurs sessions, certains annoncent qu’ils vont voter contre. C’est une priorité de leur gouvernement, ce projet de loi. C’est inacceptable de voir des députés jouer des jeux politiques avec un tel sujet. » 

Niki Ashton

Des amendements importants 

On le comprend, malgré certaines difficultés, C-13 avance. Au coeur du sujet, plusieurs amendements témoignent d’une envie de faire de C-13 un projet de loi le plus solide possible. 

On peut notamment citer un changement majeur dans l’application de la loi et le respect des droits. En effet, c’est dorénavant le Conseil du trésor qui aura la responsabilité de coordonner la loi. Avant ça, cela était réservé au ministre du Patrimoine canadien qui, « en consultation avec les autres ministres fédéraux, suscite et encourage la coordination de la mise en oeuvre par les institutions fédérales de cet engagement », comme on peut le lire dans l’article 42 de la partie VII de la LLO. 

« C’était une revendication de la part de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) depuis plusieurs années. Patrimoine canadien est un ministère parmi tant d’autres et c’est difficile pour ce ministère de jouer un rôle horizontal de coordination au sein du gouvernement. Le Conseil du trésor est une agence centrale qui a un pouvoir d’influence nettement plus fort », explique Me Guy Jourdain. 

Niki Ashton, députée de la circonscription de Churchill— Keewatinook Aski, revient aussi sur plusieurs évolutions récentes qui auront, selon elle, un impact positif sur la loi. « On a par exemple beaucoup poussé pour la hausse en immigration en parlant notamment de rattrapage du poids démographique de la francophonie au Canada. Un autre gain important : avoir des juges qui puissent présider en français. C’est une situation qui nous touche particulièrement au Manitoba, il est important d’avoir accès à de la justice en français. On va continuer à appuyer plusieurs amendements pour rendre la loi plus forte. »

De nouvelles réunions 

Sur la question des juges bilingues, il y a en effet une situation de pénurie au Manitoba. L’amendement, dont parle Niki Ashton, aura pour effet de mieux identifier et évaluer les compétences linguistiques des juristes qui postulent à la magistrature. « C’est un vrai pas de l’avant que dorénavant le ministre de la Justice, lorsqu’il s’occupe des nominations à la Cour d’appel et la Cour du banc du Roi, ait l’obligation légale de tenir compte de l’aspect de la dualité linguistique », ajoute Me Guy Jourdain. 

Alors que la prochaine réunion du Comité aura lieu le 7 mars, le projet de loi C-13 devra ensuite passer en troisième lecture à la Chambre des communes, puis au Sénat avant de recevoir la sanction royale. L’étape de la troisième lecture inquiète Niki Ashton. « Je suis préoccupée par les choix des Libéraux depuis plusieurs sessions, certains annoncent qu’ils vont voter contre. C’est une priorité de leur gouvernement, ce projet de loi. C’est inacceptable de voir des députés jouer des jeux politiques avec un tel sujet. » 

(1) Le Comité permanent des langues officielles est composé de 12 personnes. René Arseneault (Libéral) est le président. Joël Godin (Conservateur) et Mario Beaulieu (Bloc Québécois) sont les vice-présidents. Niki Ashton (NPD), Marc Dalton (Conservateur), Francis Drouin (Libéral), Bernard Généreux (Conservateur), Marilyn Gladu (Conservateur), Angelo Iacono (Libéral), Arielle Kayabaga (Libéral), Patricia Lattanzio (Libéral) et Marc G. Serré (Libéral) complètent le Comité.