Inès Lombardo

Sabrina Geremia, vice-présidente et directrice nationale de Google Canada, et Jason J. Kee, gestionnaire des politiques publiques de la société, devaient comparaitre le 7 mars devant le Comité permanent du patrimoine canadien. Mais à cause de soucis techniques, la réunion a été annulée puis repoussée au 10 mars.

Cette convocation est attendue, puisque les dirigeants devront s’expliquer sur la décision de Google de bloquer l’accès à des nouvelles en ligne à des milliers de Canadiens pendant cinq semaines fin février.

Une décision prise en réaction au projet de loi C-18, la Loi sur les nouvelles en ligne, qui déplait fortement aux géants du Web, car le gouvernement canadien les contraint à négocier avec les médias la redistribution des revenus générés par les contenus d’actualités qu’ils repartagent.

« L’idée du projet de loi est de permettre à autant de médias que possible de bénéficier de cette mesure. Il donne aux médias d’information un plus grand pouvoir de négociation. Les plateformes n’aiment pas ça, donc elles résistent, avec toute la force de leurs moyens numériques et juridiques », affirme Colette Brin, professeure titulaire et directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval à Québec.

« C’est vraiment prendre les Canadiens en otage », s’est quant à lui indigné le ministre du Patrimoine canadien, également parrain du projet de loi, Pablo Rodriguez, dans une entrevue aux Coulisses du pouvoir.

« Campagne de dénigrement »

Selon Colette Brin, ce blocage représente une «sorte de moyen de pression de Google. […] Ça démontre que Google a beaucoup trop de pouvoir dans notre accès à ce qui se passe dans le monde. Une grande partie des recherches se font par moteurs de recherche […] on n’a plus à démontrer que Google en situation de monopole. »

Pendant la pandémie, Google et d’autres plateformes avaient accepté de mettre de l’avant les contenus scientifiques. « C’était justement pour combattre la désinformation », observe la professeure, qui s’interroge sur la réaction de la population si Google Actualités était amené à fermer au Canada. « Cela m’apparait inconcevable tellement c’est au cœur des activités quotidiennes. »

Pour Colette Brin, des entreprises comme Google et Meta s’opposent au principe du projet de loi C-18 et dès qu’il y a des contraintes financières, s’attèlent à « une campagne de dénigrement ».

« Ils se trouvent des alliés au sein des partis d’opposition. En l’occurrence au Canada, le Parti conservateur. Ils ont un argument de libre marché qui, à mon avis, ne tient pas la route. Ça se tiendrait si le marché était dynamique avec plusieurs joueurs alors qu’ici, c’est Google qui a le monopole », décrit la spécialiste.

C’est pourquoi la convocation du 10 mars est très importante selon la professeure ; « pour obliger Google à se justifier devant le peuple ».

Colette Brin pense néanmoins que l’on n’apprendra pas « grand-chose », puisque Google a déjà joué cette manche dans d’autres pays, notamment en Australie en 2021. « Ils ne sortiront probablement pas de leur ligne », prévoit-elle.

Les petits médias sans intérêt pour Google

Selon Colette Brin, comme en Australie, le projet de loi C-18 « oblige les plateformes comme Google à négocier avec les médias d’information sur les modalités de redistribution des revenus. Des ententes existent déjà avec les grands médias. Il va falloir qu’elles s’élargissent à d’autres médias qui n’ont pas d’entente. »

C’est le cas de médias locaux dont les équipes et les chiffres d’affaires sont plus petits. « C’est clair que pour Google, les petits médias n’ont pas beaucoup d’intérêt, car ils ne représentent pas de grands marchés », pointe-t-elle.

Elle assure également que les marchés médiatiques d’informations francophones, même au Québec, sont très petits. « Et dans ces marchés-là, le consensus est fort autour du fait qu’il y a un monopole des GAFAM [Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, NDLR]. Mais vu que leur marché est petit, le pouvoir de négociation l’est aussi. Les experts disent que ce cas nécessite une concertation internationale pour protéger ces petits joueurs. Mais c’est très compliqué sur le plan légal et au niveau de leurs intérêts, qui sont différents. »

Colette Brin rappelle un élément de taille : « Les grandes plateformes ont des ressources financières et une expertise technologique et juridique qui dépasse ceux des plus petits. »