Vous êtes ambassadeur de la France au Canada depuis septembre 2022, c’était votre premier voyage à Winnipeg. Quel était le but de ce séjour? 

Avant d’avoir ce poste, j’étais ambassadeur de la France au Brésil. Et je remarque plusieurs points communs entre le Brésil et le Canada, pas en termes de thermomètre! (rires), Mais ce que j’ai appris là-bas, c’est que si vous voulez connaître un peu le pays et en tout cas mener la politique que vous demande de mener votre gouvernement, le gouvernement fédéral, c’est nécessaire, mais pas suffisant.

Beaucoup de choses se font avec les gouvernements provinciaux. Surtout dans les domaines de l’éducation ou l’économie. Je suis donc dans un exercice d’investissement et de découverte du pays et de mes interlocuteurs. 

À Winnipeg, vous avez découvert une communauté franco-phone très diverse, qu’en avez-vous pensé? 

Je l’ai trouvée très vivante et pas très simple. Entre les Franco-manitobains, les Métis, les francophones qui viennent d’Afrique subsaharienne ou d’Afrique du Nord, il y a un mélange intéressant. Mais ce qui est très important, c’est qu’on voit qu’il y a une vraie vitalité. 

Et je pense que la première ministre française viendra bientôt à Ottawa. Je veux faire pour elle un dîner avec des parlementaires manitobains, acadiens et d’autres pour qu’elle réalise que la francophonie au Canada, ce n’est pas juste l’accent québécois. C’est plus complexe que ça. 

Vous êtes venu à Winnipeg pour la Journée internationale de la francophonie. En quoi il était important de venir à ce moment-là? Et qu’est-ce que représente la francophonie pour vous? 

La facilité pour moi était de rester à Ottawa et de participer aux grandes manifestations qu’offrait Mélanie Joly. J’ai préféré le Manitoba et rencontré les communautés francophones locales. Ça fait partie de mon rôle de faire briller la langue française, c’est très enthousiasmant. Mais la francophonie, ce n’est pas uniquement la langue, c’est une vision de la société. 

J’ai des instructions très précises du président de la République qui visent à en faire plus et développer le nombre d’enfants éduqués en français. L’objectif est de le doubler. 

Comment faire pour améliorer et aider l’éducation en français? 

Je ne suis pas à la place du gouvernement du Manitoba, mais ce que je peux faire, c’est aider à la certification du niveau. Voir aussi dans quelle mesure nous pouvons promouvoir la formation d’enseignants ou leur maintien. Dans certaines provinces, la politique d’immersion a été contestée, car trop médiocre. Ce n’est pas le cas au Manitoba, car je comprends qu’ici ça fonctionne et que c’est efficace. De plus je cherche à promouvoir une francophonie offensive qui n’est pas que pour les francophones. Je cherche aussi à capter les communautés anglophones qui veulent et qui trouvent un intérêt dans cette forme d’enseignement.

On a notamment ouvert une nouvelle école au Nouveau- Brunswick. Et on ne l’ouvre pas à Moncton, mais à Saint John. Il faut donc que ce bilinguisme canadien qui est constitutionnel soit effectif. On pense aussi à des coopérations universitaires ou encore de la réflexion sur la reconnaissance de certains diplômes. 

Le Canada et la France sont deux pays amis et alliés, quel est le niveau de relation entre les deux pays présentement? 

La relation est très bonne, excellente. Mais c’est finalement, pour un diplomate, ce qu’il y a de plus difficile. Quand les relations fonctionnent, il y a de la paresse. On pense que les choses se font parce que ça se passe bien, mais ce n’est pas du tout le cas. 

Aujourd’hui, nous avons des intérêts majeurs sur la guerre en Ukraine, nos liens avec l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), notre accord de commerce bilatéral France-Canada (CETA). Nous avons une relation animée par plusieurs moteurs. Il y a aussi une pression migratoire et le souci de recruter plus de Français, encore faut-il que l’administration fédérale suive. Mais elle est elle-même prisonnière de choix courageux notamment sur l’immigration ukrainienne. 

Les Français des prairies peuvent parfois se sentir isolés d’un point de vue administratif notamment. Il n’est pas facile d’aller régulièrement à Toronto ou Montréal pour refaire un passeport par exemple. Est-ce un sujet sur lequel vous travaillez? 

Je voudrais quand même rappeler quelque chose : le système consulaire français est sans doute celui qui offre le plus de services au monde à ses compatriotes. Nous sommes en train de travailler sur des procédures de dématérialisation pour traiter les dossiers rapidement. Mais il ne faut pas penser qu’il y aura une évolution majeure.

Dans l’apprentissage de la nationalité, il y a aussi un certain nombre de responsabilités du citoyen. C’est aux personnes de regarder quand ils doivent refaire leur passeport, et à ce moment-là, il y a un site pour prendre rendez-vous. Nous faisons aussi des visites consulaires à Winnipeg deux fois par an. On ne peut pas en faire plus, car nous n’avons pas assez de personnel. 

Aussi, pour le bureau de vote, c’est quelque chose de très compliqué à mettre en place. La seule solution, c’est d’utiliser au maximum les procurations. À chaque élection, il y a une visite consulaire qui vient pour prendre les procurations. Je ne sous-estime pas le coût prohibitif d’un billet d’avion surtout au dernier moment. Mais les derniers moments et les urgences, vous pouvez joindre le consulat général, nous répondons. 

La fonction d’ambassadeur est souvent entourée de mystères, de secrets et de beaucoup de fantasmes. À quoi ressemblent vos journées? 

C’est un des métiers où vous travaillez sept jours sur sept. Le danger est de toujours garder le détachement entre ce que vous êtes et la fonction que vous représentez. On est au milieu de beaucoup de monde et il y a une forme de solitude. C’est un métier passionnant, car vous devez rapporter ce que vous voyez. C’est un métier formidable où il faut aimer écrire, aimer les autres, écouter, décrypter et expliquer sa politique. C’est un métier qui évolue profondément. Il faut dire quand on n’est pas d’accord et s’intéresser à tous les sujets.