Marianne Dépelteau

La plupart des communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) sont mal desservies en formation artistique. 

Il s’agit d’une des conclusions d’un rapport publié par Sociopol en 2021, repris par la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF) dans son mémoire sur les arts et la culture dans l’éducation postsecondaire en français.

Manque de formation

Ainsi, en dehors de l’Université d’Ottawa et de l’Université de Moncton, « aucune autre n’offre de programmes en théâtre, en arts visuels ou en musique », rapporte la FCCF.

Selon le mémoire, seuls trois autres établissements offrent des programmes en études françaises : l’Université de Saint-Boniface au Manitoba, l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse et le Collège Glendon de l’Université York à Toronto. Le Campus Saint-Jean à Edmonton offre quant à lui un programme en arts dramatiques.

La FCCF rapporte toutefois que le collège La Cité à Ottawa offre quelques programmes en animation 3D, en design graphique, en arts numériques et en production télévisuelle. Tandis que le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick propose un programme de conception graphique et un autre de créativité et innovation.

Problème de rétention

Selon la FCCF, ce manque de formation a de lourdes conséquences sur les communautés francophones en situation minoritaire. 

D’une part, « elles se trouvent à perdre ainsi nombre de jeunes francophones qui vont poursuivre leur carrière artistique en anglais ; d’autre part, elles peinent à retenir les autres, qui ont reçu une formation en français, mais qui sont tentés de mener leur carrière ailleurs, au Québec notamment. […] Les artistes formés par les grandes écoles montréalaises ne rentrent presque jamais dans leurs communautés d’origine : ils sont formés en fonction du milieu montréalais, ses besoins et ses normes », déplore la FCCF dans son mémoire.

Selon Joël Beddows, professeur de théâtre à l’Université d’Ottawa, c’est surtout la distribution géographique qui pose problème. 

« Notre mandat comme école, ce n’est pas de nourrir le milieu théâtral d’Ottawa et Gatineau uniquement », insiste-t-il. Le professeur encourage souvent les finissants à aller travailler ailleurs, comme dans leur province d’origine pour fournir les théâtres qui les attendent là-bas.

« On se voit comme un berceau, poursuit-il. De rester trois ans dans un lieu avec des profs qui connaissent les réalités d’ailleurs, qui vous forment en fonction d’un choix de rester ou partir […] on est la seule école qui fait ça ; qui dit : “partez, volez, volez!” » Pour lui, l’Université d’Ottawa « est une école franco-canadienne ».

Pas d’arts, pas de francophonie

« Les arts et la culture ne sont pas un dessert dont on peut se passer. C’est un plat de résistance, surtout en milieu minoritaire », déclare la présidente de la FCCF, Nancy Juneau.

« L’art permet de faire communauté. […] Où sont les lieux où on peut faire communauté? Ben, c’est souvent autour d’un spectacle, autour d’un atelier, affirme-t-elle. C’est ce qui permet aux communautés de s’affirmer, d’avoir un sens d’identité, la résistance à l’assimilation, à l’aliénation et à l’acculturation. »

D’après elle, le manque de formation artistique en français peut être un « frein supplémentaire à créer une relève dans la discipline artistique ».

La culture fait partie des indicateurs de vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire de Patrimoine canadien. 

Selon le ministère, la vitalité de ces communautés se manifeste notamment par « des activités culturelles et de loisirs. »

Former les formateurs

Dorothée Tölgyesi termine un baccalauréat combiné danse-éducation à l’Université de Calgary. Un programme en anglais qui lui permet d’approfondir sa formation en danse contemporaine tout en étudiant les sciences de l’éducation. Avec cette formation, elle aura la possibilité d’enseigner la danse.

« C’est important d’avoir des profs de danse qualifiés qui comprennent le développement des enfants [et des adolescents], souligne-t-elle. Les enfants sont déjà des êtres très vulnérables et mettre des gens en charge d’eux, comme modèles, qui ne comprennent pas l’impact qu’ils peuvent avoir sur des gens vulnérables comme ça, je pense que ça peut être très dangereux. »

Dorothée Tölgyesi espère que son programme sera un jour disponible en français. « Il y a tellement une grande vie culturelle francophone, surtout dans le monde de la danse. Le gros est à Montréal. Il y en a beaucoup à Toronto aussi, mais il y a tellement d’artistes francophones qui n’ont pas la chance de pratiquer en français. »

Elle aurait pu poursuivre une carrière en danse sans poursuivre d’études postsecondaires, mais elle a entendu l’appel de l’éducation. 

« Je voulais me pousser intellectuellement aussi et je voulais voir les autres sphères de la danse. Je trouve que l’université a ouvert mes yeux à tellement de choses, dit-elle. Ça m’a ouvert beaucoup de portes. »

En rencontrant d’anciens étudiants, elle s’est aperçu qu’être interprète n’est pas la seule voie possible. C’est ainsi qu’elle s’est intéressée aux autres spécialités de la danse, comme la pédagogie du mouvement. La formation en éducation lui permet de compter sur une sortie de secours si jamais elle est confrontée à des difficultés d’emploi.

« Le monde a toujours besoin de profs. […] Je pense que ce qui m’inquiète le plus, c’est voir qu’en temps de crises, les arts sont la première affaire à se faire couper. C’est malheureux parce que c’est ça qui tient une société ensemble », déplore l’étudiante.

Certains artistes ne passent pas par le postsecondaire. « On peut apprendre sur le tas, mais c’est beaucoup plus long et la reconnaissance est plus longue aussi », explique Joël Beddows. 

Le programme de théâtre de la capitale offre des cours sur la carrière et affichera bientôt les curriculums vitae des finissants sur le site Web du département. 

« Chaque printemps, on fait une compétition ici et on donne une subvention de 15 000 $ pour un premier projet professionnel à nos finissants au conservatoire, lance-t-il. Il y a des choses qu’on peut faire comme institution, comme école de théâtre, pour les aider, pour bien les lancer. »