Inès Lombardo
Avec des informations de Mélanie Tremblay
Les organismes qui desservent les francophones en situation minoritaire au pays s’accordent pour dire que les investissements du Plan d’action pour les langues officielles 2023—2028 n’ont jamais été aussi forts.
Sur cinq ans, 1,4 milliard de dollars s’ajoute aux 2,7 milliards du Plan précédent qui sont devenus permanents. Les nouvelles sommes sont toutefois temporaires.
Une communauté « entendue »
Liane Roy, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, se sent « entendue » par le gouvernement avec ce nouveau Plan : « Lors des consultations avec la ministre, on avait identifié quatre axes et on les retrouve presque tous dans le Plan d’action! »
Même réaction du côté de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF) : « Assez heureuse de voir quand même des investissements significatifs, nouveaux aussi », lance Marie-Christine Morin, directrice générale de l’organisme.
Cette dernière se réjouit surtout de la reconduction de programmes comme PassepART et Les vitrines musicales du Fonds de la musique, ainsi que de la bonification de l’enveloppe pour le projet La Ruchée, une « avenue intéressante » pour travailler de façon intersectorielle avec le milieu de l’éducation.
La présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), Marguerite Tölgyesi, se dit reconnaissante du premier investissement de 5 millions de dollars pour la mise en place d’une stratégie jeunesse visant le rapprochement des communautés linguistiques. « Je pense que ça va avoir un réel impact si la mise en œuvre est bien faite », affirme-t-elle.
La part du lion pour l’immigration
Pour Liane Roy, le « grand gagnant » est le secteur de l’immigration, qui reçoit des investissements totaux de 221,5 millions dans le Plan.
La présidente de la FCFA sent un changement de ton : « On n’a jamais autant entendu parler de rétablissement de poids démographique. Avec C-13, et avec le Plan d’action, on est sur la bonne voie pour attaquer le déclin du poids démographique. Certains éléments du Plan devraient aider à atteindre des cibles plus hautes [que le 4,4 % d’immigration francophone hors Québec, NDLR]. »
Mais pour la FCFA, le Plan n’est pas l’endroit pour l’annonce de nouvelles cibles. Il y a un an, l’organisme avait demandé des cibles «de réparation» progressives au gouvernement fédéral de 12 % en 2024, puis de 20 % d’ici 2036. « On n’appuiera pas de cible en dessous de 8 % », affirme Liane Roy.
Inquiétudes autour du financement des organismes
Le Plan d’action a dévoilé 62,5 millions de dollars en financement de base pour les organismes pour les cinq prochaines années. L’augmentation du financement pourrait aller jusqu’à 25 % d’augmentation.
La FCFA se dit malgré tout inquiète, car le financement « ne change pas les défis structurels que connaissent nos organismes ».
Marie-Christine Morin soulève aussi un « soupçon d’inquiétude », notamment pour des organismes qui n’ont pas accès au financement de base.
« Les montants pour le financement de base, donc les opérations des organismes, sont quand même limités. Ça ne répond pas à l’ensemble des besoins de ces organisations qui sont un peu les metteurs en œuvre du Plan d’action sur le plan local, régional, national, en déployant des activités très concrètes pour que les gens puissent continuer à vivre en français », lance-t-elle.
La FJCF pose le même frein : « La prochaine étape va être de participer aux consultations pour savoir si nos organismes peuvent avoir le 25 % d’augmentation. On veut s’assurer que les jeunes vont avoir leur place pour la mise en œuvre de ce plan-là », a fait savoir Marguerite Tölgyesi.
Le postsecondaire en français « partagé »
Martin Normand, directeur de la recherche stratégique et des relations internationales à l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), se dit plutôt « partagé » quant au nouveau Plan d’action.
L’organisme a été « entendu d’une certaine manière » sur plusieurs de ses demandes, comme l’appui à la recherche en français, une nouveauté financée à hauteur de 8,5 millions dans le Plan d’action et plusieurs programmes de formation en petite enfance ou en santé.
« Le bémol, c’est que toutes ces initiatives-là ne sont pas permanentes », déplore le directeur.
Mais l’immense déception concerne davantage la promesse non tenue des libéraux pendant la campagne électorale de 2021 d’octroyer 80 millions par an de façon permanente pour le postsecondaire en français. Ce ne sont plus que 32 millions par année pendant quatre ans qui se retrouvent dans le Plan d’action.
Le gouvernement ouvre la porte en reconnaissant qu’il devra faire des efforts pour appuyer le secteur à long terme.
Par ailleurs, le gouvernement n’a pas corrigé le tir en finançant un programme de bourse de français langue première pour les étudiants francophones qui souhaitent fréquenter un établissement postsecondaire en français. Ce programme existe pourtant pour les étudiants anglophones depuis le Plan 2018 – 2023.
Martin Normand déplore également l’absence de référence aux étudiants étrangers dans le Plan : « On espérait des mesures pour attirer, retenir et appuyer les étudiants internationaux vers l’obtention de la résidence permanente. »
Ceci, dans un contexte où les étudiants étrangers francophones ont connu bien du mal pour rester au Canada, entre racisme de la part d’IRCC, reconnu l’an dernier par le ministre de l’Immigration, et obstacles administratifs.