Lors de sa réunion ordinaire du 24 avril, la Commission scolaire franco-manitobaine (CSFM), a présenté une toute nouvelle ligne directrice sur l’utilisation de la technologie et des téléphones cellulaires dans les écoles et plus particulièrement en salles de classe. Elle est soumise à débat, dès cette semaine, dans les écoles de la DSFM.
Les discussions ont lieu, dans un premier temps, avec les directions des écoles, avant de s’élargir aux parents et aux jeunes leaders de Jeunes manitobains des communautés associées (JMCA).
Alain Laberge, directeur général de la DSFM, affirme que des échanges avaient eu lieu, il y a deux ans, avec les directions des écoles, mais le phénomène de l’utilisation du téléphone cellulaire pendant les cours à des fins non pédagogiques n’avait pas encore pris l’ampleur observée aujourd’hui.
« Actuellement, nous observons même des élèves de 7e et 8e années qui ont des cellulaires dans les écoles. Le bassin des 9e à la 12e année utilisant leurs appareils s’est encore davantage agrandi. Des directions d’écoles nous ont demandé d’intervenir pour encadrer la question », indique- t-il.
Concentration
Une étude de Statistique Canada, en 2020, indique que 71 % des jeunes canadiens âgés de 15 à 24 ans vérifiaient leurs téléphones au moins toutes les trente minutes dans une journée ordinaire. 17 % d’entre eux le font à toutes les cinq minutes.
Alain Laberge comprend le fait que des parents peuvent être rassurés de savoir qu’ils sont en contact permanent avec leurs enfants, via leur cellulaire. Le directeur général offre pourtant un service permanent au niveau des secrétariats des écoles pour les parents qui veulent joindre par téléphone leurs enfants, en cas d’urgence. Les enfants peuvent aussi, quand c’est justifié, prendre leur téléphone cellulaire et appeler leurs parents.
Cependant, si le téléphone cellulaire est posé sur la table, le DG de la DSFM ne croit pas que l’apprenant puisse être totalement concentré sur son cours. En témoignent les plaintes d’enseignants à maintes fois portées à l’administration divisionnaire.
« Les dernières années, nous laissions à nos professionnels le choix d’établir chacun son code de conduite s’agissant de la question d’interdire ou de permettre l’usage des cellulaires en salle de classe. Sauf que cela a créé une certaine structure où les enfants comparent : Monsieur untel nous laisse, mais vous, vous ne nous laissez pas… et des enseignants se retrouvent pris entre l’arbre et l’écorce. Nous avons des écoles où c’est pratiquement hors contrôle et d’autres écoles où c’est très réglementé », assure-t-il.
L’appui des éducateurs
Des enseignants ont fini par demander à l’administration centrale de légiférer. Alain Laberge explique que c’est dans les prérogatives de la DSFM d’imposer une ligne de conduite homogène dans toutes les écoles. Raison pour laquelle il n’exclut pas le fait de voir la ligne directrice, après consultations, aboutir à une directive administrative.
« Une ligne directrice est un certain nombre de mesures fortement recommandées et que les écoles adoptent dans leurs codes de conduites internes, renouvelés à chaque année scolaire. À la différence, une directive administrative est une obligation que toutes les écoles doivent suivre à la lettre. Nous pensons que c’est dans l’intérêt de tous que ce type de règles de conduite soient uniformes », note-t-il.
Pour Emmanuel Komi Kounakou, directeur général de la Plateforme d’Actions et de Formation en Éducation aux Médias pour Enfants (PAFEME), un organisme basé à Montréal, le téléphone crée des problèmes de concentration et de développement chez l’enfant. « C’est pour cette raison que nous trouvons de plus en plus d’élèves avec des défis spécifiques dans les écoles », éclaire-t-il.
En plus du problème de distraction que cause l’utilisation du cellulaire en classe, Emmanuel Komi Kounakou, qui est notamment chercheur en éducation aux médias et à l’information à l’Université du Québec, à Montréal, souligne que « le téléphone devient le deuxième enseignant pour l’élève. Certains jeunes vont préférer même vérifier les réponses sur internet avant de revenir vers l’enseignant ».
Des interrogations connues
Lillian Klausen, présidente des ÉFM, affirme que ce n’est pas la première fois que la question est abordée dans les écoles.
« Nous questionnons les enseignants et nous savons que c’est pour eux une source de frustration de voir les jeunes distraits par les cellulaires pendant les cours », fait-elle savoir.
Pour Lillian Klausen, lorsque l’utilisation du cellulaire devient une source de distraction, la communauté scolaire ne répond plus aux besoins du jeune. « Notre système pédagogique est construit sur un certain nombre d’heures de cours. Nous ne pouvons pas gaspiller ce temps à travers l’utilisation non pédagogique des téléphones cellulaires en salles de classe », ajoute-t-elle.
La présidente des ÉFM considère qu’il faut aussi préparer les jeunes pour l’âge adulte, en leur montrant que le téléphone n’a pas besoin d’être vérifié à la seconde où l’on reçoit le message.
« Nous devons expliquer à nos jeunes que nous avons une vie que nous partageons avec des personnes réelles et que le téléphone peut attendre. Ce sont des comportements que nous devrons modeler dès l’enfance », estime-t-elle.
L’avis d’un parent d’élève
Blair Morais est parent d’élève. Son fils Jayden, 16 ans, est en 11e année à l’école Saint-Joachim, à La Broquerie.
Ce parent d’élève est d’accord sur le principe d’éteindre les téléphones cellulaires pendant les cours, à l’exception de situations où l’élève a besoin de faire de la recherche pédagogique.
« Je trouve que le téléphone constitue une grande distraction en salle de classe. J’ai moi-même quelques fois contacté mon fils à travers l’administration, alors que tous les deux nous avons des téléphones cellulaires », témoigne-t-il.
De toutes les manières, Jayden et ses camarades n’ont pas le choix que de ranger leurs téléphones pendant les cours. L’élève en 11e année affirme que son école est stricte sur la question. Les téléphones sont tolérés uniquement pendant les pauses.
S’occuper autrement
Mais là aussi, la DSFM pourra, dans un avenir proche, interdire l’utilisation des téléphones pendant les pauses.
« Nous allons probablement prendre cette décision, dans un second temps, explique Alain Laberge. Toute la socialisation ne se fait plus au niveau des écoles. Si nous n’occupons pas nos enfants pendant les pauses, ils vont s’occuper eux-mêmes. Est-ce qu’il n’est pas plus intéressant d’avoir plus d’activités sportives à faire, comme le soccer? Pour que les enfants se passent de leurs téléphones, nous allons leur offrir quelque chose d’autre », souligne Alain Laberge.
Jayden n’est pas très favorable à cette initiative. Il veut continuer à utiliser son téléphone pendant les pauses. « Ce serait peut-être bien pour l’élémentaire de la 1e à la 8e année. Mais pour le secondaire, je pense que nous devons avoir le choix de gérer notre propre temps », soutient-il.
Blair Morais est du même avis que son fils. Il pense que « ce serait un gaspillage de ressources », au motif que « les élèves ne vont pas s’investir dans les activités proposées ».
« Tout le monde sait que lorsque les enfants n’ont pas de cours ou de devoirs à faire, ils vont aller regarder leur téléphone pour voir ce qui se passe à l’extérieur de la maison et de leur école », relève-t-il.
Néanmoins, il précise que si la DSFM venait à prendre une telle décision, il ne protesterait pas. « Cela ne va faire mal à personne, après tout… », nuance-t-il.
Emmanuel Komi Kounakou considère que « les téléphones ne peuvent pas être tolérés pour une tranche d’âge et interdits pour une autre ».
Il recommande, comme le propose déjà Alain Laberge, de renforcer les activités sportives et éducatives pour tous les âges pendant les pauses scolaires, pour réduire l’accès au téléphone.
Alain Laberge rappelle, dans ce sens, qu’aucune mesure prise par une division scolaire ne sera populaire à 100 %. « Notre rôle à la DSFM n’est pas de plaire aux gens, mais de nous assurer que nous avons un milieu éducatif qui répond aux besoins des élèves », conclut-il.