Il est assez rare de se rendre à l’école un samedi matin, d’autant plus rare d’y aller avec le sourire. C’était pourtant le cas pour 17 élèves de l’École Dugald School (EDS) le samedi 29 avril. Inaugurée au mois de mars, ce n’était pas bien compliqué de trouver la salle d’esport, il suffisait de marcher en direction du joyeux brouhaha qui résonnait dans les couloirs vides.

« C’est la dernière semaine de compétition de la saison », lance Nathan Koblun, ensei- gnant d’anglais auprès des élèves de 7e et 8e années, et aussi directeur de la branche esport de l’EDS.

Ce n’est donc pas pour rattraper leurs devoirs que les élèves sont présents à l’école en fin de semaine, ils sont là pour jouer la phase finale du championnat provincial de la Manitoba School Esports Association (MSEA) sur Rocket League : un jeu dans lequel les joueurs contrôlent des voitures pour disputer une rencontre de soccer.

Les moyens mis en place sont impressionnants : des écrans de télévision de salon, des ordinateurs ou des consoles de jeux pour chaque élève. Les rencontres des élèves sont rediffusées en direct sur l’un des murs de la pièce, via un projecteur, mais aussi en ligne sur une plateforme dédiée, « pour que les parents d’élèves puissent suivre les rencontres ». Pour ce faire, du matériel de professionnel est mis à disposition des élèves et, notamment, de H. Rowan. Âgé.e de 13 ans et en classe d’immersion française, H. est responsable de commenter les rencontres de ses camarades et au micro, face à l’écran, iel a tout d’un.e animateur.rice aguerri.e : « J’ai commencé en septembre et je joue aussi aux jeux vidéo, mais je préfère le streaming (1). J’ai assez de mal à être attentif.ve, je préfère faire des blagues. »

Parce que dans cette salle de l’EDS, même si l’atmosphère est détendue et bon enfant, les élèves sont aussi là pour la compétition.

Santé et sécurité

Plus que quelques minutes avant le début des hostilités, Nathan Koblun rameute ses troupes, six équipes au total, composées d’entre deux et quatre joueurs. Un ultime discours de motivation. Il rappelle les différentes stratégies sur lesquelles lui et ses équipes ont travaillé, il exhorte les capitaines à communiquer et se faire confiance, mais aussi, « surtout, prenez le temps de vous étirer, levez-vous, marchez un peu entre deux parties et surtout surveillez votre posture.

« Nous prenons très au sérieux le côté santé physique. En plus de parler d’alimentation saine et équilibrée, nous nous assurons d’incorporer des exercices d’étirement et de mouvement pendant les pauses. » Mais les risques liés à la santé ne sont pas les seuls. Jouer en ligne c’est aussi potentiellement s’exposer à de la cybercriminalité.

Akim Laniel-Lanani travaille pour la Chaire de recherche de l’Université de Montréal en cybercriminologie, et est également cofondateur de la Clinique de cyber-criminologie. À ce propos, il est formel. « Dès lors que l’on a une présence en ligne, on s’expose à des risques. » Ces risques sont d’ailleurs sensiblement les mêmes que lors d’une connexion internet classique, comme l’hameçonnage ou le leurre informatique, mais avec une petite différence qui a toute son importance : « Sur les jeux en ligne, vous avez des interactions directes avec des inconnus dont on ne peut vérifier ni l’identité, ni les intentions. » L’expert en cybercriminologie mentionne aussi les problèmes de cyberharcèlement, qui peu- vent être fréquents dans le cadre de parties compétitives.

Citoyens numériques

Mais étant lui-même un grand joueur, Nathan Koblun a bien conscience de ces problématiques. « Nous n’utilisons jamais le vrai nom de nos élèves, et ce, même lors des inscriptions en ligne aux com- pétitions. Ils ont des pseudonymes que l’on utilise pour les rediffusions en direct.

« Nous essayons d’attaquer ces questions à travers l’éducation aussi. Nous leur parlons des risques, mais aussi du comportement à avoir en ligne. Par exemple, leur utilisation des réseaux sociaux, les photos qu’ils publient. En bref, comment protéger au mieux leur identité numérique. » L’enseignant assure que le maximum est mis en œuvre pour placer l’école entre les élèves et les dangers d’Internet. Il conclut : « On essaie de leur apprendre à être de bons citoyens numériques. »

Cela fait maintenant trois ans que le programme extracurriculaire d’esport existe à l’EDS. Il concerne, aujourd’hui, environ une cinquantaine d’élèves. Même si beaucoup ne prennent pas part aux compétitions, tous seront confrontés à un moment donné au monde d’Internet.

Si aujourd’hui le jeu vidéo fait partie intégrante du paysage culturel, l’image du gamer est longtemps restée négative dans l’imaginaire collectif. Pourtant, les enfants ici portent tous le maillot des Dragons de l’EDS alors qu’ils ont des âges différents, des gabarits différents. Difficile de dégager un archétype.

Levi Rosenthal, par exemple, ne joue pas seulement aux jeux vidéo, il pratique aussi le Jiu-Jitsu, un art martial brésilien. C’est ce que raconte sa mère, Jodi Rosenthal, venue l’encourager pour la compétition. « Ce n’est pas très différent d’une rencontre de soccer, dit-elle. C’est un sport d’équipe aussi, et les joueurs s’y préparent avec tout autant de sérieux. » Un sérieux qui se ressent dans l’ambiance de la salle et dans les bribes de phrases que l’on entend. Du haut de ses 12 ans, avec le ton d’un général d’armée, Isaac Suderman lance : « Nous rencontrons des difficultés techniques. Ben a encore quitté la partie sans faire exprès! » Ben Unruh, juste à côté, imperturbable, a fini par se reconnecter.

Athlètes adjacents

« Nous nous adressons à une population un peu différente des sports classiques. J’aime dire que nous sommes des athlètes adjacents, lance le professeur. C’est une autre façon de leur faire découvrir le monde la compétition. C’est un milieu dans lequel certains élèves, qui ont par exemple des besoins additionnels, peuvent être mis en avant et briller. »

L’aspect social et fédérateur des jeux vidéo est également un point que soulève le professeur et que Jodi Rosenthal appuie : « Mon fils est un peu timide et réservé. Je sais qu’à travers les jeux, il a rencontré des enfants à qui il n’aurait pas eu l’occasion de parler autrement. Puis c’est super de les voir tous se réunir de cette manière. »

Quoi qu’il en soit, pour celui qui porte en ce jour la casquette de coach, l’esport a tout à fait sa place dans les programmes scolaires : « Les jeux vidéo permettent d’améliorer leurs capacités de communication, ils leur donnent la possibilité d’être des meneurs, de gérer une équipe, de développer leurs compétences organisation- nelles. Ils apprennent à gagner avec humilité et perdre avec dignité, à soutenir leurs cama- rades. Autant de compétences dont ils auront besoin dans le monde du travail. »

La compétition s’est finalement terminée aux alentours de 15 h. L’équipe de Levi Rosenthal a terminée deuxième de sa poule, sur huit. L’équipe d’Isaac Suderman et Ben Unruh, malheureusement, a terminé dernière de la sienne. Sûrement des problèmes techniques… Une chose est sûre, les élèves de Dugald auront tout donné.

(1) Le streaming est un procédé de diffusion d’un flux audio ou vidéo en « direct » ou en léger différé.