Jusqu’au 26 mail, les Winnipégois et Winnipégoises sont invités à s’exprimer grâce à un sondage en ligne sur l’avenir de l’intersection Portage et Main (1). La célèbre intersection a souvent fait les manchettes, notamment en 2018, lorsque la Ville de Winnipeg avait organisé un référendum pour l’ouverture aux piétons de l’intersection. À 65 % les Winnipégois avaient dit Non.

Alors que la couche d’étanchéité des souterrains approche de la fin de sa vie, la Ville de Winnipeg en profite pour consulter les Winnipégois sur ce qu’ils aimeraient y voir.

Débat public

Pour Marc Vachon, professeur en urbanisme à l’Université de Winnipeg, l’intersection mérite un débat public, et ce, pour plusieurs raisons. « Il y a bien évidemment un enjeu au niveau du transport. Portage et Main sont utilisées comme des autoroutes. Cette question a déjà beaucoup été abordée.

« Outre le transport, il y a la question d’avoir un centre-ville qui donne une personnalité à notre ville. D’après moi, avoir un centre-ville qui ne donne pas accès aux piétons, qui n’est même pas fait pour les piétons, qui est fait pour les autos, c’est un raté. »

Surtout qu’avec les changements climatiques, la Ville de Winnipeg va devoir se pencher sur la question de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs villes ont d’ailleurs commencé à fermer leurs rues aux voitures pour en faire des rues piétonnes comme l’indique Marc Vachon. « En Amérique du Nord, il y a eu un courant où les villes voulaient toutes avoir des rues piétonnes. L’une des premières a été Ottawa, ensuite la rue Prince-Arthur à Montréal, etc. Outre des rues piétonnes, le courant actuel est qu’il faut des rues accessibles pour des transports actifs.

« Du côté de Winnipeg, la Ville fait beaucoup pour les pistes cyclables. Mais elle n’a pas fait beaucoup d’efforts pour ses connexions avec le centre-ville. Par exemple, à Osborne, la piste cyclable s’arrête aux ponts. Le message est clair : On veut une ville d’autos, pas de transports actifs. »

Bon sens

Pour Marc Vachon, c’est une question de bon sens que d’investir dans l’intersection Portage et Main. « Il faut imaginer un touriste qui arrive à Winnipeg et qui est à l’hôtel sur Portage et il va vers le centre- ville et il ne peut même pas traverser pour aller de l’autre côté! Sauf que ce qui attire le tourisme, ce sont les centres- villes. Il n’y a aucun touriste qui dit : Les banlieues de telle ville sont extraordinaires. Sauf que l’impression du centre-ville de Winnipeg n’est pas extraordinaire, à part La Fourche.

« Aussi, récemment, il y a une tour qui a été construite, le 300 Main. Le but est de meubler ces appartements-là. Sauf qu’à un moment, ses résidents ne pourront même pas traverser la rue pour se rendre à des commerces parce qu’elle est fermée aux piétons. Ils devront emprunter les souterrains qui ne sont pas forcément praticables pour les personnes à mobilité réduite. Ces personnes-là pourraient sûrement faire pression pour rendre cette intersection piétonne. »

Dans son discours, Marc Vachon fait également ressortir une autre problématique : l’attraction de personnes vers le centre-ville. « Il n’y a pas grand- chose pour attirer les piétons au centre-ville. Sauf qu’ensuite, l’argument est de dire que les piétons ne vont pas au centre-ville, donc que ce n’est pas intéressant d’aménager quelque chose pour les piétons. » C’est donc le serpent qui se mord la queue.

Il faut cependant rappeler qu’il existe un réseau de souterrains qui permettent aux piétons de traverser la rue Portage et la rue Main.

Rappel historique

Marc Vachon tient à faire un petit point historique sur ces souterrains. « Les souterrains sont le résultat d’un architecte de Montréal, Vincent Ponte.

« Il était connu pour être un partisan des villes à plusieurs niveaux. Il avait alors proposé à la Ville de construire un échange autoroutier pour les voitures, qui se dresserait au-dessus de l’intersection. Il imaginait que les voitures qui étaient sur Main monteraient vers l’échange autoroutier et débarqueraient sur Portage. La Ville a refusé, a inversé son plan et l’a fait pour les piétons en sous-sol. C’est pour cette raison que les souterrains sont circulaires. » D’ailleurs, à l’époque les travaux avaient débuté en 1977 et entraîné la fermeture temporaire des rues Portage et Main. »

Mais les souterrains ne sont pas une solution pour l’urbaniste. « Il y a de l’entretien qui vient avec des souterrains. Aujourd’hui, c’est la couche d’étanchéité, plus tard ce sera autre chose. Avec des travaux d’entretien, l’intersection risque d’être fermée pendant un moment. Finalement, la fermeture spontanée de cette intersection semble inévitable.

« Un autre aspect qui peut paraître assez anodin est la question de l’orientation dans les souterrains. Le design circulaire pose des soucis. Je pense que la plupart des personnes empruntent un chemin et elles n’arrivent pas au bon endroit. Finalement, elles sont obligées d’aller plus loin pour traverser la rue. C’est, encore une fois, un manque d’attention envers les piétons. »

Être réaliste

Aujourd’hui, la Ville de Winnipeg présente huit projets pour aménager l’intersection Portage et Main. La proposition n ̊1, qui fait le plus parler d’elle, propose qu’un jardin suspendu soit construit au-dessus de l’intersection, les piétons pourraient ainsi traverser les rues. Pour Marc Vachon, rien ne sert de se projeter si loin. « Nous sommes dans une période où il y a beaucoup de projets discutés à la Ville de Winnipeg. Mais pour l’instant, il n’y a pas de pelle dans le sol. Que ce soit la Baie d’Hudson, la Place Portage ou encore le projet Portage et Main, il faut être réaliste, il y a déjà beaucoup d’infrastructures à entretenir.

« La première proposition me questionne déjà. Imaginez- vous marcher au-dessus de Portage et Main par -40 ̊C, je ne suis pas convaincu. Il y a d’autres aspects à considérer et il faudrait également avoir davantage de détails pour se prononcer. En dehors de tous ces aspects, oui c’est très beau.

« Les piétons devront monter pour traverser, c’est quand même drôle. La Ville ne porte aucune attention aux piétons. On préfère mobiliser les gens plutôt que les autos. »

(1) Il est possible de remplir le sondage en anglais à l’adresse suivante : https://winnipeg.surveymonkey.com/r/QBQ3CS6

Trains et centre-ville

Le déraillement de 12 wagons d’un train sur la rue McPhillips, à la fin du mois d’avril, a remis sur le devant de la scène la question de la place

du train dans la ville. Marc Vachon, professeur en urbanisme à l’Université de Winnipeg, tient à rappeler : « Historiquement, beaucoup de villes canadiennes, surtout dans l’Ouest, ont été construites par l’établissement du chemin de fer. À Winnipeg, il y a eu le débat de savoir si la gare serait construite à Winnipeg ou à Saint-Boniface. Toutes les villes canadiennes voulaient avoir leur train à l’intérieur des villes. »

Mais un changement de paradigme s’opère dans les années 1980 comme le souligne le professeur : « Dans les années 1980-1990, il y a eu un mouvement dans les grandes villes de déplacer les gares et les voies ferroviaires en dehors de la ville. Certaines ont juste gardé la gare. Mais les grands centres ferroviaires se sont déplacés. Ce mouvement s’est fait grâce à la collaboration du Fédéral, Provincial et Municipal. Winnipeg ne l’a pas fait parce que les enjeux n’étaient pas les mêmes à cette période et il n’y avait peut-être pas cette volonté. »

Marc Vachon estime que le train n’est pas la priorité de la Ville de Winnipeg. « Aujourd’hui, il y a un peu plus de volonté. Mais le coût est énorme, il faut compter des milliards $ et il faut beaucoup de temps. Sauf que l’enjeu de la Ville actuellement c’est l’assainissement des eaux qui coûtent déjà des milliards $.

« De plus, il y a beaucoup d’emplois liés au ferroviaire dans la ville. Si le réseau ferroviaire venait à être déménagé, les emplois seraient certainement déplacés aussi. Ce n’est pas forcément ce qui est voulu. »

Une nouvelle PDG pour l’urbanisme

La Ville de Winnipeg a annoncé à la fin du mois d’avril l’embauche d’une nouvelle PDG pour la planification, l’immobilier et le développement.

Hazel Borys prendra ses fonctions à la fin du mois de juillet. Elle succédera à Marc Pittet, qui occupait le poste de directeur intérimaire de la planification, de la propriété et du développement de Winnipeg depuis le départ à la retraite de John Kiernan en 2022

Pour Marc Vachon, l’arrivée de Hazel Borys est une bonne nouvelle. « Elle arrive à point pour l’urbanisme de Winnipeg. C’est quelqu’un qui comprend l’enjeu des piétons, sans exclure les voitures. C’est un bon compromis pour les Winnipégois.

« De plus, elle comprend que l’urbanisme est rendu politique. Elle s’embarque dans quelque chose qu’elle maîtrise. Elle sait donc qu’elle va devoir prendre en compte beaucoup d’enjeux. »