Eya Ben Nejm – Francopresse

58 % des répondantes au sondage âgées de 18 à 54 ans ont déclaré que leur situation financière leur causait des défis de santé mentale.

Des résultats qui n’étonnent pas Nour Enayeh, présidente de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC).

« On sort d’une pandémie et on sait ce que les femmes ont dû vivre pendant cette pandémie, que ce soit de la violence ou la charge mentale. Plus, il y a l’inflation. Je ne suis pas du tout surprise de ce chiffre. »

« Dès qu’il y a une situation financière qui change ou qui baisse, ce sont les femmes qui sont impactées le plus dès le début », poursuit-elle.

L’inégalité salariale toujours d’actualité

En 2022, un rapport sur les écarts salariaux de Statistique Canada révélait qu’entre 1998 et 2021, les femmes canadiennes âgées de 25 à 54 ans « gagnaient 0,89 $ pour chaque dollar gagné par les hommes. » Une différence moyenne de 3,79 $ l’heure.

« Les femmes éduquées, les femmes qui se trouvent dans les centres-villes sont moins affectées par cette situation », explique Roger Gervais, professeur adjoint en sociologie à l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse. « Les femmes qui se trouvent travailler dans des emplois où il y a peu d’éducation en comparaison aux hommes [ceux-ci] peuvent avoir un salaire plus élevé. »

Une situation qu’observe aussi Sophie Rousseau, chargée de projets au Réseau-Femmes Colombie-Britannique. « Les femmes sont, beaucoup plus que les hommes, amenées à combiner une série de plusieurs emplois qui sont des emplois à temps partiel et qui sont souvent plus précaires, pas permanents, avec moins de protection de syndicats et moins de bénéfices. »

Nour Enayeh de son côté défend la nécessité de « s’assurer qu’on offre des salaires égaux pour les emplois à valeur égale. La présidente de l’AFFC appelle aussi les personnes à s’outiller pour qu’elles réclament des salaires plus adéquats.

« On sait que beaucoup de femmes sont toujours hésitantes à demander des salaires plus élevés de peur de perdre leur travail », constate-t-elle.

Double journée de travail

« On n’a pas accès aux soins de santé mentale parce qu’on a des emplois précaires et donc ça se précipite, note Sophie Rousseau. On devient de moins en moins capables de soutenir tout ce surmenage et cette charge mentale et on finit par être malades, perdre son emploi et là, tout de suite, c’est immédiat, ça prend un mois et on a perdu son logement parce qu’on ne peut plus payer son loyer », analyse-t-elle.

« On a beaucoup de femmes qui vivent des crises de santé mentale et qui ne peuvent pas se permettre parce qu’elles ont dans des emplois à temps partiel et précarisé et non syndiqué, sans plan de bénéfice, sans plan d’assurance maladie supplémentaire ».

« Les femmes se trouvent souvent à travailler juste pour ne pas perdre leur job et pour payer la garderie. Ce qui impose un stress financier incroyable », observe Sophie Rousseau.  

« Il y a surtout le travail qui se poursuit après le travail, à la maison, ajoute Nour Enayeh. La charge mentale, le travail invisible. Beaucoup de travail qu’elles font est non rémunéré. Ça rajoute un poids en plus du stress salarial. Il y a des femmes qui travaillent presque une deuxième journée de travail. »

Le travail non rémunéré à reconnaitre

Dans un rapport de 2021, le Comité permanent de la condition féminine recommande une reconnaissance du travail non rémunéré chez les femmes.

« La répartition inégale du travail non rémunéré peut avoir une incidence négative sur l’égalité entre les sexes ainsi que sur les femmes, notamment en ce qui a trait à leur salaire, à leur participation au marché du travail, à leur avancement professionnel et à leur sécurité financière à diverses étapes de leur vie. »

Le rapport recommande notamment une meilleure collaboration du fédéral avec les provinces et territoire afin de reconnaitre, réduire et redistribuer la responsabilité disproportionnée des femmes au chapitre du travail non rémunéré et de la prestation des soins.

En 2021, Roger Gervais s’est penché sur la question de la double journée de travail pour le compte de la Fédération des femmes acadiennes de la Nouvelle-Écosse (FFANE).

«Pour expliquer la double journée de travail de la femme, une première idée récurrente est liée à la perception que les hommes sont incapables de bien faire le travail domestique et que, pour économiser du temps, c’est plus facile pour la femme de le faire», indique le rapport auquel 49 femmes de la province ont participé.

Selon le chercheur, les perceptions qui existent encore aujourd’hui sur la charge de travail réservée aux hommes et aux femmes à l’extérieur du milieu professionnel trouvent leurs sources profondes dans l’histoire sociale.

« Lorsqu’elles sont arrivées sur le marché du travail, [les femmes] l’ont fait en maintenant le travail à domicile que leurs mères faisaient avant elles. Elles le maintiennent encore aujourd’hui », indique Roger Gervais.

Selon lui, la reconnaissance et la prise de conscience de notre histoire sociale fait partie de la solution. « Il y a une société qui nous influence, et cette société historiquement avait des structures sexistes. Ces structures ont un impact sur moi, ont un impact sur toi, et en même temps ce sont des choix et des comportements, des fois de manière non consciente et des fois de manière très consciente qui vont nous faire continuer à reproduire ces structures », déclare-t-il.