Le bien-être et la santé mentale sont des sujets qui prennent de plus en plus de place dans le débat public. Aujourd’hui, tout le monde est encouragé à parler, à chercher de l’aide, en clair, à être plus attentif à sa santé mentale. Pendant longtemps, la dépression a été perçue comme un signe de faiblesse qu’il fallait taire à tout prix.

Seulement voilà, la dépression est une maladie au même titre que les autres et la recherche scientifique, forcément, s’intéresse aux moyens de la traiter au mieux.

C’est là qu’interviennent Dr Faranak Farzan, titulaire de la Chaire en innovation technologique pour la

santé mentale des jeunes à l’Université Simon Fraser à Vancouver, et ses recherches sur le cerveau et les ondes cérébrales thêta.

Pour bien comprendre la relation entre les ondes thêta et les recherches sur le traitement de la dépression, il faut savoir de quoi il est question lorsqu’on fait référence aux ondes thêta.

Une terminologie complexe

On entre alors dans un univers terminologique particulièrement complexe pour les néophytes. On parle d’ondes pour faire référence à l’activité électrique du cerveau. Cette activité représente comment le cerveau traite l’information. Le terme thêta, quant à lui, fait référence à la fréquence d’oscillation de ces ondes, soit leur rythme.

Alors pour faire simple : les ondes thêta sont des impulsions électriques qui respectent un rythme spécifique.

Depuis 2013, la communauté scientifique sait que les ondes thêta jouent un rôle clé dans la régulation émotionnelle des personnes. Des études ont depuis démontré qu’elles ont un rôle important dans le traitement de la dépression et de ses symptômes chez l’adulte.

Mais comment cela fonctionne-t-il exactement?

Parmi les traitements connus de la dépression, il y a bien sûr les antidépresseurs, inventés en 1957, les consultations de professionnels de la santé mentale comme les psychologues ou les psychiatres, et enfin la stimulation magnétique transcrânienne (SMT).

Stimulation non invasive

Cette dernière méthode est la base de l’expertise du Dr Faranak Farzan, qui a fait ses études à l’Université de Toronto et à l’école médicale de Harvard aux États-Unis. Elle explique le fonctionnement de cette méthode. « À l’aide d’une bobine placée sur le crâne, une impulsion magnétique est envoyée au cerveau. La variation rapide du flux magnétique induit un champ électrique qui se propage dans tous les matériaux conducteurs alentour.

« Le cerveau étant conducteur, les impulsions viennent stimuler les neurones. Avec la stimulation magnétique transcrânienne dite « répétitive » (SMTr), ces impulsions sont envoyées en série et peuvent modifier durablement l’activité neuronale de la région visée. »

Le traitement par ondes thêta, aussi appelé stimulation thêta-burst intermittente (STBi) découle donc de cette technologie, SMT, et est une variante à durée de stimulation plus courte que la SMTr. Ces méthodes font partie de la grande famille des technologies de neuromodulation. « L’avantage de ces technologies, lance la chercheuse, c’est qu’elles sont non-invasives et qu’elles ne comportent pas de sérieux effets secondaires (ndlr : des maux de tête principalement) en comparaison aux traitements pharmacologiques. Elle nous permet aussi d’avoir une zone de traitement plus précise.

« À contrario, dans la prise de médicaments, les produits ingérés se répandent dans tout le corps et touchent d’autres organes que le cerveau. »

Avant de s’interroger sur leur efficacité, il faut donc retenir que ces méthodes sont généralement bien tolérées, avec des effets secondaires légers ou modérés. Pour s’en assurer, des lignes directrices de sécurité sont suivies méticuleusement lors de l’utilisation de la SMT.

Soigner la dépression

Dans cette étude récente, Dr Faranak Farzan a dirigé une équipe de chercheurs et a étudié les effets de la STBi sur un panel de jeunes âgés de 15 à 24 ans souffrant de dépression. Bien entendu, des recherches pareilles ne se mettent pas en place du jour au lendemain, et beaucoup de travail a dû être réalisé en amont.

« Nous avons tout d’abord rassemblé des groupes de jeunes en bonne santé et d’autres souffrant de dépression. Puis grâce à l’électroencéphalographie (1), nous avons observé les différences d’activité dans le cortex préfrontal de ces individus. » Cette partie du cerveau est responsable et joue un rôle actif dans les symptômes de la dépression.

En combinant la SMT et l’électroencéphalographie, les chercheurs ont pu stimuler cette partie du cerveau et observer la réponse de cette dernière. « Nous avons observé que les cerveaux des jeunes atteints de dépression étaient plus réactifs. Cette suractivité dans le cortex préfrontal provoque une activation trop intense des neurones inhibiteurs. À partir de ce constat, il ne nous restait plus qu’à savoir si nous étions capables de réguler ces réponses pour les faire correspondre à celles d’un cerveau sain. » Autrement dit : soigner la dépression.

Une nouvelle option

À ce moment-là, dans la littérature scientifique, des recherches préliminaires sur les adultes ont déjà été réalisées et ont été couronnées de succès. Il faut comprendre que dans le traitement des maladies mentales, certains individus ne répondent pas positivement, voire pas du tout, aux méthodes de traitement classiques. Si ces recherches sont un succès, c’est parce que pour 30 % de ces personnes, la STBi a donné des résultats.

L’importance de ces recherches s’impose donc d’elle-même : en plus de provoquer moins d’effets secondaires, la STBi est une option pour ceux qui n’avaient aucun moyen de se soigner.

Mais si l’on sait que ça fonctionne, en quoi la recherche de Dr Faranak Farzan est-elle intéressante? Et bien c’est la tranche d’âge visée qui est importante.

« La majorité des maladies mentales apparaissent entre 15 et 24 ans. C’est une période de transition de l’enfance vers l’âge adulte, elle est donc particulièrement stressante, explique la chercheuse. Même dans le suivi médical, il n’y a pas d’entre deux, on passe de la pédopsychiatrie à la psychiatrie et il est difficile de combler cet écart.

« Les jeunes ont souvent tendance à chercher de l’aide lorsqu’ils arrivent à l’âge adulte. Intervenir plus tôt, c’est leur éviter des années de dépression non traitée.

« De plus, les traitements pharmacologiques efficaces pour les adultes sont généralement déconseillés pour cette tranche d’âge car ils peuvent provoquer des effets secondaires. Ils ont notamment tendance à augmenter les pulsions suicidaires. Il semblait donc évident que ce groupe d’âge avait besoin d’une nouvelle option de traitement. »

Des résultats encourageants

Le processus de création se met alors en marche. Pour en renforcer les effets, les séances de SMT sont couplées avec des séances d’entraînement cognitif. Alors l’équipe s’agrandit et c’est « un vrai petit village » qui s’attèle au projet.

Au total, les tests sont effectués sur près de 30 personnes, toutes souffrant de dépression, et qui avaient soit refusé de prendre des traitements ou pour lesquelles ils étaient inefficaces.

Pendant quatre semaines, elles ont reçu 10 minutes de STBi, suivies de 30 minutes d’entraînement cognitif quotidien. Un mois seulement, et les résultats sont là : « Les effets ont été impressionnants. 80 % des participants se sont révélés réceptifs au traitement. » Chez eux, les symptômes dépressifs ont diminué de 50 % voire plus.

Lorsque les résultats d’une recherche sont concluants, on peut alors accéder à l’étape suivante. « Pour la prochaine étape, nous allons déposer une demande de financement pour effectuer des essais cliniques randomisés et contrôlés (2). De tels essais sont nécessaires pour déterminer l’efficacité réelle du traitement. De plus, cela permettrait de faire suivre le traitement à un plus grand nombre d’individus et d’avoir un suivi sur le long terme des personnes ayant pris le traitement. » L’apparition de la COVID-19 a un peu bousculé les plans, mais Dr Faranak Farzan assure que cette nouvelle étape est prévue.

En attendant, la recherche ne s’arrête jamais. La docteure en ingénierie poursuit ses travaux d’études du cerveau avec ces technologies de neuromodulation. Au vu de la résilience de certains individus aux formes de traitement classiques, l’étude des réactions du cerveau aux stimulations magnétiques transcrâniennes pourrait permettre de prévoir quelle méthode fonctionnerait pour chaque individu.

Une maladie sérieuse

Il faut souligner l’importance des travaux de recherche concernant les maladies mentales. Selon l’OMS, la dépression est la première cause de morbidité et d’incapacité au monde. Si ces dernières sont de moins en moins stigmatisées par l’œil du public, pour Dr Faranak Farzan, la sensibilisation doit se poursuivre. « Ce sont des maladies qui sont cachées; or même si on ne les voit pas, ça ne veut pas dire qu’elles n’ont pas d’effets physiques. »

La recherche en santé mentale existe depuis longtemps, mais compte tenu de l’ampleur du problème, la Canadienne regrette les engagements gouvernementaux trop timides et les budgets de recherche minuscules ». Car si les choses vont dans le bon sens, le rythme de croisière est encore « trop lent ».

(1) Un électroencéphalogramme (EEG) est un examen qui permet de mesurer et d’enregistrer l’activité électrique du cerveau.

(2) L’essai randomisé contrôlé, de l’anglais randomized controlled trial (RCT), est une technique qui consiste à sélectionner de façon aléatoire, à partir d’une population admissible, le groupe expérimental qui bénéficiera d’une intervention et le groupe contrôle qui servira de point de comparaison, afin d’évaluer l’effet d’un traitement par exemple.