Inès Lombardo

Au fil de ses 13 recommandations, le rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM) est clair : il faut durcir la politique pour les personnes qui passent la frontière canadienne aux points d’entrée irréguliers.

Le rapport appelle ainsi le gouvernement à «moderniser» l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS), sans fermer le chemin Roxham. Le rapport a été basé sur une étude menée en automne 2022, soit avant l’accord entre le Canada et les États-Unis de fermer les points de passage non officiels à l’immigration irrégulière.

Plusieurs experts qui ont témoigné devant le Comité avaient prévenu que la fermeture du chemin Roxham aurait pour effet un « [accroissement] des risques pour les demandeurs d’asile, qui contourneraient probablement les barricades et emprunteraient plutôt d’autres itinéraires dangereux ». Ce dont convenait à l’époque Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

Le gouvernement fédéral a tout de même fermé le chemin Roxham le 25 mars dernier, à travers un élargissement de l’Entente aux points de passage irréguliers de la frontière avec les États-Unis.

Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS)

L’Entente, qui vise les demandeurs d’asile les oblige à présenter leur demande « dans le premier pays sûr où ils arrivent, à moins d’être visés par une exception prévue par l’Entente ».

L’Entente a pour mission de répartir et protéger les réfugiés qui tentent d’immigrer au Canada, souvent pour des questions de sécurité. Seuls les États-Unis ont été désignés comme tiers pays sûr par le Canada en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Conclue entre les États-Unis et le Canada en 2004, l’Entente est actuellement devant la Cour suprême du Canada, car elle est considérée comme une violation à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment son article 7, qui garantit « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ».

Des chiffres à la baisse

Le rapport n’a pas pu peser dans la décision d’IRCC de passer l’accord avec les États-Unis, puisque l’élargissement de l’Entente est entré en vigueur en mars, tandis que le rapport a été déposé mi-mai.

Déjà en novembre dernier, Christiane Fox, sous-ministre d’IRCC, avait rapporté devant le comité que le chemin Roxham concentrait « 90 % des entrées irrégulières au Canada ».

Le bureau d’IRCC a affirmé que depuis l’élargissement de l’Entente aux points d’entrée non officiels du Canada, le nombre d’immigrants qui passent la frontière de manière irrégulière a décru.

Les interceptions de ces personnes par la GRC sont passées de 4,173 en mars, à 85 en avril.

Pour Luisa Veronis, professeure agrégée de géographie à l’Université d’Ottawa et spécialiste en immigration canadienne, il est normal que ces chiffres aient diminué, vu le changement annoncé en mars.

Mais impossible d’avoir les chiffres véritables : « Le Canada n’intercepte pas tous les immigrants qui passent tous les points de la frontière de façon irrégulière », nuance-t-elle.

Le Bloc québécois et le NPD en désaccord avec le rapport

Selon Jennifer Lopes, anthropologue à l’Université d’Ottawa, le rapport présente des contradictions, dont une majeure : la mise en avant des conditions inhumaines causées par l’Entente sur les tiers pays sûrs.

« Mais [en parallèle] on va tenter de justifier le renforcement de ce cadre législatif. On souligne la sécurité des migrants, que cette entente est là pour les protéger alors que de l’autre côté, les conditions vont se dégrader de plus en plus avec la fermeture du chemin Roxham. »

C’est aussi l’avis du Bloc québécois et du NPD qui ont chacun rédigé un rapport dissident en réaction à celui du Comité.

Les deux partis, notamment le NPD, mettent de l’avant leurs inquiétudes sur les conditions dans lesquelles les personnes traversent la frontière.

« Le fait que le rapport du Comité ne reflète pas une telle recommandation illustre clairement le fait que la majorité des membres ont des préjugés préexistants », conclut le NPD dans son rapport.

« Le rapport [officiel] ne reflète pas du tout les témoignages qui ont été entendus en comité », laisse tomber de son côté Alexis Brunelle-Duceppe, membre du Bloc québécois au Comité.

Le gouvernement fédéral sourd aux demandes de levée de l’Entente

Par ailleurs, dans le rapport du Comité, plusieurs témoins d’organismes d’aide aux immigrants réguliers ou irréguliers plaident pour une levée de l’Entente. Ce à quoi le gouvernement n’a jamais entendu accéder, vu qu’il avait déjà conclu l’élargissement de l’Entente en février 2022, un an avant son entrée en vigueur.

À quelques recommandations près, les deux partis d’opposition souhaitent également suspendre l’Entente.

« Les personnes venant au Canada par les États-Unis pouvaient alors faire une demande d’asile et vice-versa, illustre Luisa Veronis, professeure à l’Université d’Ottawa. C’était le cas avant que l’Entente ne soit signée, c’est conforme avec le droit international de la Convention de Genève de 1951 référant aux réfugiés, de laquelle le Canada et les États-Unis sont signataires. »

Le Bloc québécois et le NPD demandent également qu’IRCC et l’Agence des services frontaliers du Canada émettent un permis de travail et des documents de demandeur d’asile aux migrants réguliers ou irréguliers sans différence, tout en réduisant les délais.

De leur côté, les conservateurs assurent dans le rapport être « d’accord avec toutes les recommandations », sauf une demande liée à la livraison de documents aux demandeurs d’asile.