Marianne Dépelteau

Pour Lindsay Tremblay, directrice générale de l’Association des théâtres francophones du Canada (ATFC), la situation est plutôt bonne, « pour l’instant » : « Nos compagnies ont accès à des fonds de relance qui leur donnent un immense coup de main. »

« Le problème, c’est qu’il n’y a pas de fonds de relance annoncés pour la prochaine année », nuance-t-elle.

« J’ai vraiment peur que ce soit en déclin dans les prochaines années, confie-t-elle. Pas parce qu’il n’y a pas d’offres [ou] de bonnes idées, de bonnes visions artistiques. C’est vraiment au niveau des capacités financières et opérationnelles des compagnies qui ne pourront pas suivre la demande artistique des communautés. J’espère qu’il y aura d’autres annonces. »

Selon elle, un manque de financement dans le théâtre se traduit par une diminution du nombre de projets qui sont montés, mais aussi mène à des coupures de postes. « Ça affecte tout ce qui est offre culturelle francophone dans une ville qui vit en situation minoritaire. »

« Si tout le monde est obligé de réduire, comment est-ce qu’on veut contribuer au développement de la francophonie?, s’interroge la directrice générale. Les compagnies jouent un rôle identitaire et de développement de la langue très important. »

De nouveaux défis

« Ce qui est de plus en plus difficile, ce sont les conditions de tournée. L’accès au financement des tournées n’est pas évident, lance Lindsay Tremblay. Les bailleurs de fonds n’arrivent pas à suivre le cout de la vie. »

Lindsay Tremblay souligne que les conditions de tournée sont de plus en plus difficiles pour les artistes. Les compagnies de théâtre et les producteurs éprouvent parfois de la difficulté à accéder à du financement pour faire circuler un spectacle parce que « les bailleurs de fonds n’arrivent pas à suivre le cout de la vie », précise-t-elle.

« Depuis la pandémie, […] les gens veulent leur propre chambre, pis c’est correct, ils ont raison. Ça coute plus cher per diem parce qu’avoir un hôtel à 90 $ la nuit, ça n’existe plus nulle part. Manger pour 50 $ par jour tes trois repas, ça n’existe pas non plus. »

La pandémie aurait aussi changé le comportement du public. « Les salles se remplissent, mais à la dernière minute, remarque Lindsay Tremblay. Pour tout ce qui est des abonnés, on a vu une baisse importante, évidemment pendant la pandémie, mais les gens ne reviennent pas […] Leur fidélisation n’est pas la même qu’avant. »

La baisse des abonnements, qui assurent une certaine de garantie aux compagnies, « ajoute un stress à l’équipe », se désole la directrice générale de l’ATFC.

Pour Joël Beddows, professeur de théâtre à l’Université d’Ottawa, « un savoir-faire a été perdu » quant au développement de publics : « [Certains disent] “je crée une ou deux fois et je cherche à vendre mon show. Je veux tourner, et je laisse ce travail de mise en rapport avec le public à d’autres”, comme si ça avait quelque chose d’un peu vulgaire. »

Le professeur a aussi l’impression « que les directions artistiques sont plus intéressées parfois par faire venir des spectacles d’ailleurs que de créer des spectacles ». Pourtant, selon son expérience à la direction du Théâtre la Catapulte, les créations locales attirent plus de spectateurs.

La disparition du théâtre jeune public est l’une des causes potentielles des difficultés de fidélisation des publics.

« Il y avait un temps où on faisait beaucoup [de théâtre pour les jeunes], ce qui a été essentiel à maintenir et à créer un public. Là, il y a beaucoup de compagnies qui en font moins. Il faudrait deux fois plus de théâtre jeune public que de théâtre pour adultes », ajoute le chercheur.

Manque de formation

Pour la directrice générale de l’Association des théâtres francophones du Canada (ATFC) Lindsay Tremblay, il y a un manque d’offres de formation francophone en théâtre.

Après la disparition du programme en la matière de l’Université Laurentienne de Sudbury, seules l’Université de Moncton et l’Université d’Ottawa proposent aujourd’hui des études en théâtre dans la francophonie minoritaire.[PF1] 

« Il faut que [les étudiants suivent] une formation en anglais […] ou ils doivent s’expatrier, à l’Université d’Ottawa ou au Québec, et après on espère qu’ils vont revenir », précise-t-elle.

Dans un tel contexte, l’ATFC essaie d’offrir de la formation continue aux artistes, comme les stages qui ont eu lieu au Centre des arts de Banff, en Alberta pendant dix ans.

S’il manque de programmes de formation d’interprètes des arts de la scène, Lindsay Tremblay remarque que la situation est encore pire pour les techniciens et autres artisans du théâtre, mais aussi pour l’administration des arts, où « il n’y en a pas pantoute » de formation.

Les jeunes et le théâtre

Également conseiller spécial en francophonie au décanat de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa, Joël Beddows déplore le manque d’exposition des jeunes au théâtre francophone : « Un show par année, par groupe d’âge, ce n’est pas assez. »

« Le théâtre, c’est quand tu le fréquentes souvent que ça prend un sens. Mais tu dois composer avec le réseau scolaire, les enseignants, les autobus et il y a des gens qui ne veulent pas faire ça », rapporte le professeur.

Le théâtre étant beaucoup moins accessible que la musique ou le cinéma, il « est à peu près le seul domaine où on peut arriver à l’âge adulte sans ne l’avoir jamais affronté, confronté, absorbé », rappelle Tibor Egervari, professeur émérite de théâtre à l’Université d’Ottawa.

Cela est d’autant plus vrai en situation linguistique minoritaire : « Si vous êtes minoritaire, même dans un environnement urbain, il y a des chances que vous ne voyiez jamais de spectacle dans votre langue au théâtre », regrette le professeur.

« Le théâtre est une rencontre, dit-il. Ce n’est pas simplement d’absorber quelque chose, c’est de participer à une sorte de cérémonie, et il faut qu’on arrive à instiller chez les personnes que c’est un plaisir. »