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Si chaque individu sur Terre est unique, chaque trouble du spectre de l’autisme (TSA) l’est aussi. Au Manitoba, en 2023, l’organisme Asperger Manitoba estime qu’environ 27 380 enfants et jeunes adultes ont déjà reçu ou recevront un diagnostic de TSA. Si des ressources se mettent en place pour soutenir les plus jeunes jusqu’à leurs 18 ans, une fois l’âge adulte atteint, les ressources sont plus limitées.
Kathy Hanson est atteinte d’un TSA et a reçu un diagnostic tardif. « De mon côté, j’ai été diagnostiquée à 30 ans. J’ai grandi dans un petit village en Alberta où il y avait très peu de services de santé. De plus, même le TSA n’était pas vraiment sur le radar des médecins.
« Cependant quand tu es dans l’âge adulte avec un diagnostic TSA, les services tendent à disparaître comme si les adultes atteints d’un TSA n’avaient pas besoin d’aide. Par conséquent, souvent, ces personnes retournent dans leur famille pour subvenir à leurs besoins.
« Même quand j’ai eu mon diagnostic, mon médecin de famille m’a dit : Ce diagnostic est juste pour votre tranquillité d’esprit. Il n’y a aucun service de soutien pour les personnes adultes. »
Une réalité que confirme Eric Douglas, président et animateur du groupe de pairs pour Asperger Manitoba. « Il y a des groupes de soutien, mais plutôt pour des personnes adultes qui ont un diagnostic de TSA avec un autre trouble. Rien uniquement pour l’autisme. »
Eric Douglas pointe le fait que « le trouble du spectre de l’autisme peut être un handicap invisible alors il y a une tendance à ne pas vraiment s’en préoccuper, sauf quand il devient visible. Ce qui crée des enjeux de société. »
Le défi de l’employabilité
Animateur pour le groupe de pairs d’Asperger Manitoba, Eric Douglas entend souvent les préoccupations des adultes atteints de TSA. « La préoccupation qui revient le plus souvent est l’employabilité, que ce soit trouver un emploi ou le garder. Étant donné qu’il n’y a aucune obligation à révéler son TSA lors d’une entrevue d’embauche, souvent des per- sonnes peuvent penser que c’est plus une question d’attitude.
« En effet, certaines personnes ne se sentent pas à l’aise de passer par un entretien classique, de regarder les gens dans les yeux. Même avant l’entretien, certaines personnes vont se dire qu’elles doivent remplir absolument toutes les conditions pour candidater. Alors que les personnes sans TSA vont postuler même si elles ne remplissent pas toutes les conditions. »
En effet, d’après un rapport de la firme Deloitte avec auticon Canada, publié en mars 2022, les personnes atteintes de TSA ont un taux d’emploi beaucoup plus faible que les adultes non handicapé(e)s (1).
En 2017, un(e) Canadien(ne) sur trois atteint(e)s de TSA et âgé(e)s de 20 à 64 ans a déclaré avoir un emploi. Bien que ce soit une augmentation par rapport à 2012, où le taux n’était que de 14,3 %, ce taux est bien en deçà du taux d’emploi du reste de la population en 2017, qui était de79%.
De plus, ce rapport note que bien que le taux d’employabilité se soit amélioré, 41,7 % d’entre eux occupent des emplois à temps partiel, sur une base contractuelle ou temporaire. Pour les personnes qui ne sont pas atteintes de TSA, ce taux descend à 18,4 %.
Un mal invisible
D’ailleurs, Kathy Hanson vit une situation que décrit Eric Douglas. « Vu que mon TSA ne se voit pas vraiment, les gens peuvent penser que j’ai une attitude étrange en société. En fait, je dirais que plus vous êtes indépendant, plus vous passez dans les failles du système. Être indépendant ne veut pas dire ne pas avoir besoin d’aide.
« Je reviens sur le problème de l’employabilité : en ce moment, je ne travaille pas. Pour moi, c’est énormément de stress de regarder quelqu’un dans les yeux. Je reconnais que c’est important, sauf que ce n’est pas possible. Les entrevues sont un moment très stressant. »
Eric Douglas tient cependant à souligner les qualités que possèdent des personnes atteintes de TSA. « Chaque personne avec un TSA est unique et ces qualités peuvent ou non être présentes chez chacun d’entre eux. Mais il y a des qualités communes que l’on peut retrouver.
« Je pense notamment à un grand souci du détail, une approche logique et mathématique, une excellente mémoire, une concentration et une détermination, des connaissances
approfondies dans des domaines spécifiques, une intégrité et une cohérence, de la créativité, ou encore des approches novatrices de la résolution de problèmes.
« L’organisme Rethinking Disability a mené une étude sur les entreprises employant des personnes en situation de handicap au sens large. Les principales conclusions sont qu’il n’y a pas de différence globale de productivité entre les travailleurs, que le taux de rotation est plus faible, que les coûts d’adaptation des travailleurs sont faibles ou nuls, ce qui constitue un avantage en matière d’innovation, qu’il est possible d’accéder à une main-d’œuvre qualifiée inexploitée et d’accroître les possibilités de marketing auprès des personnes handicapées ou directement liées à une personne handicapée. »
Lueur d’espoir
Cependant, Kathy Hanson reconnaît que les choses vont bon train dans la société. « Le travail fait par Asperger Manitoba ou d’autres organismes de soutien permet qu’aujourd’hui, des employeurs soient conscients de cette réalité et adaptent leur entrevue ou leur offre d’emploi.
« J’aimerais évidemment que le gouvernement manitobain finance du soutien supplémentaire dans les organismes qui font du lobbying, et dans le système de santé pour lever les barrières d’un diagnostic. Pareil pour les enseignants, j’aimerais voir du financement pour leur formation avec des élèves atteints de TSA. »
Eric Douglas complète. « Il est vraiment difficile de naviguer dans ce système. Certains sont chanceux et sont accompagnés dans ce processus, d’autres non. Et ces personnes sont complètement perdues. Il faut que la société manitobaine soit plus consciente de ces manques à certains endroits. Je pense qu’agir de manière organique serait vraiment bénéfique pour les personnes atteintes de TSA. »
Parmi les manques, Kathy Hanson pointe notamment la question du genre dans le diagnostic. « Quelque chose que j’ai remarqué comme mère, parce que j’ai deux enfants, un garçon de 14 ans et une fille de 12 ans. La procédure de diagnostic est différente pour les garçons et les filles.
« Les garçons sont plus susceptibles d’être diagnostiqués plus tôt parce qu’ils montrent des symptômes dits classiques. Mon garçon a été diagnostiqué alors qu’il n’avait même pas deux ans. Alors que chez les filles, l’autisme peut se traduire par des symptômes complètement différents et le corps médical n’est pas forcément sensibilisé à cette réalité. Ma fille a donc reçu son diagnostic alors qu’elle avait dix ans. »
Kathy Hanson laisse un message pour commencer à déconstruire des préjugés autour de l’autisme. « Si vous rencontrez une personne avec de l’autisme, vous rencontrez UNE personne avec de l’autisme. Nous sommes tous uniques. Ce qui marche pour une personne ne s’applique pas forcément à tout le monde. Il faut garder cette réalité bien en tête avant de vouloir forcer les gens à rentrer dans des cases. »