Par Anne-Sophie THILL

A la fin de l’année, environ 8 % de la population québécoise décédée devrait avoir eu recours à l’aide médicale à mourir (AMM), selon les projections du gouvernement.

Ces statistiques placent le Québec, où cela est possible depuis 2015, loin devant les Pays-Bas (4,8 %) ou la Belgique (2,3 %), qui ont pourtant dépénalisé l’euthanasie il y a bien plus longtemps.

“Prolonger de quelques mois, ça ne me tentait pas du tout. Mon bout de chemin est fait”, raconte dans un souffle Colette Julien, que l’AFP a rencontrée quelques jours avant de recevoir l’injection létale.

“Ressentir une paix, une unité, voilà ce à quoi j’aspire”, explique encore cette femme menue de 77 ans aux courts cheveux gris. Une décision mûrement réfléchie et qu’elle a prise terrifiée de “perdre son autonomie, sa liberté”.

“Quand tu es malade, il faut que tu dépendes des autres. Moi, dépendre des autres, à outrance? Non, non, non, non”, martèle cette infirmière à la retraite, atteinte d’un cancer du poumon sans espoir de rémission, avec des métastases au cerveau.

Nancy Carpentier, sa nièce qui l’a accompagnée ces derniers mois, a toujours soutenu Colette dans sa démarche, notamment après avoir été témoin de la souffrance de son père pendant ses derniers mois de vie.

L’aide à mourir est “un beau processus” car il lui a permis d’avoir “un temps de qualité” avec sa tante, “un moment de réflexion” mais aussi d’échange, raconte cette Québécoise de 52 ans qui espère “avoir le même courage” si elle tombe malade un jour.

– “Soin de dernier recours” –

En 2022, 4.810 personnes ont reçu l’aide médicale à mourir au Québec, où elle fait l’objet d’un large consensus social. Et le 7 juin, le dispositif a été élargi et notamment ouvert aux personnes handicapées. Par ailleurs, les personnes souffrant de maladies neurodégénératives, comme Alzheimer, pourront désormais faire une “demande anticipée”.

Le texte prévoit également que les maisons de soins palliatifs et les hôpitaux privés devront obligatoirement proposer un accès à l’AMM. Et les infirmiers seront désormais autorisés à effectuer la procédure, au même titre que les médecins.

“L’aide médicale à mourir est considérée comme un soin de dernier recours”, a rappelé à l’AFP Sonia Bélanger, ministre québécoise déléguée à la Santé et aux Aînés.

Près de 90 % des personnes qui ont reçu l’aide à mourir étaient atteintes de cancer, de maladies neurodégénératives ou neurologiques, de maladies respiratoires ou cardiaques et la grande majorité était en phase avancée ou terminale de leur maladie.

“Il faut être prudent. L’objectif avec l’élargissement de la loi n’est pas d’augmenter le nombre, pas du tout. Il s’agit vraiment de répondre aux besoins des personnes qui en font la demande”, ajoute-t-elle.

Malgré le large consensus autour du texte, son élargissement inquiète certains. C’est une “déception” pour le Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ), organisme qui défend les personnes en situation de handicap.

“Non seulement c’est permissif, c’est dangereux, mais c’est presque encourager les gens qui sont à bout à mourir” déplore son directeur général Steven Laperrière.

– “Long processus” –

Mais “on ne se lève pas un matin en disant +tiens, je vais demander l’aide médicale à mourir aujourd’hui+”, souligne Georges L’Espérance, neurochirurgien à la retraite qui a accompagné de nombreux malades.

“C’est un long processus” de réflexion, ajoute-t-il.

Les médecins sont au cœur de ce dispositif qui est le dernier niveau des soins palliatifs. Deux d’entre eux doivent instruire la demande.

Georges L’Espérance explique s’assurer d’être “toujours très près du patient” afin qu’il “sente une présence réconfortante” au moment de l’administration des trois piqûres.

Sandra Demontigny, atteinte d’Alzheimer précoce, milite depuis plusieurs années pour pouvoir déposer une demande anticipée, ce qui sera bientôt possible. Mais le gouvernement québécois s’est toutefois donné un délai de deux ans pour mettre en œuvre cette mesure.

Jusqu’ici, seuls les malades jugés aptes à consentir pouvaient recevoir l’aide à mourir.

L’ancienne sage-femme n’a qu’une angoisse: se retrouver “prisonnière de (s)on corps pendant cinq, dix, quinze ans”.

Cette femme de 44 ans à la chevelure rousse, relevée en chignon, reste très marquée par le décès de son père, emporté à 53 ans par cette maladie incurable à un stade où il n’avait “presque plus d’autonomie”.

“Pour moi, il n’y a pas de plus-value à vivre ça et je ne veux pas non plus le faire vivre à mes proches.”

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