Inès Lombardo
L’annonce est tombée mercredi en milieu de journée. Un groupe de travail composé d’agents d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) déterminera, au cas par cas, les demandes de permis d’étudiants étrangers frauduleuses.
Ottawa vise une meilleure protection des étudiants étrangers victimes de personnes malveillantes qui offrent souvent leurs services pour faciliter leur processus d’immigration, long et couteux.
Pour remédier aux expulsions d’étudiants étrangers dupés par des fraudeurs, le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, permet aux étudiants dupés d’obtenir un permis qui leur garantit de terminer leurs études.
Autre nouveauté : ils n’auront pas à faire face à l’interdiction de territoire de 5 ans qui s’applique normalement en cas de fausse déclaration.
À cela s’ajoute une livraison de permis de séjour temporaires pour éviter les expulsions imminentes pendant que les dossiers sont examinés.
Les personnes qui participeraient à la fraude sont, en plus des étudiants qui auraient commis de la fraude intentionnellement, des acteurs malveillants qui tentent de faciliter la délivrance des lettres d’acceptation de l’étudiant ou même le processus d’immigration.
Consultants frauduleux
Le soir même, le ministre Sean Fraser comparaissait au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, dans le cadre d’une étude pour clarifier le sujet.
Il a confirmé que des consultants participaient à ces fraudes. Si ces agents malveillants sont au Canada, il prévoit d’avoir recours au Collège des consultants en immigration et en citoyenneté (CICC) pour juger de sanctions appropriées.
Trois pays sont principalement concernés par la fraude, a indiqué sa sous-ministre, Christiane Fox : l’Inde, le Vietnam et la Chine. « Ce sont à 85 % des Indiens qui sont victimes de fraude », a-t-elle précisé. Si des « conversations générales » sont en cours avec ces pays, aucune entente concrète n’est engagée pour lutter contre la fraude.
Mercredi, dans un communiqué de presse, le comité a condamné « fermement les gestes des “consultants fantômes” en Inde qui ont abusé des étudiants internationaux ».
Pas de détails sur le jugement de la fraude
Déterminer les cas de fraude prendra « toutes les preuves pertinentes que nous pourrons identifier, et elles peuvent être très différentes d’un cas à l’autre », a précisé le ministre Fraser en conférence de presse mercredi, avant le comité.
« Par exemple, dans le cas où une personne demande un permis d’études et ne va pas en cours, ce serait un signal fort que leur intention de base n’a jamais été d’étudier. Si vous avez été admis au Canada sur la base d’une fraude et que vous le saviez, vous êtes soumis au processus d’expulsion », a-t-il indiqué.
En comité parlementaire, les sous-ministres interrogés sur l’annonce n’ont pas fourni de réponse précise lorsque le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe leur a demandé les critères pour juger d’un cas de fraude et comment éviter que les agents d’IRCC et ceux de l’ASFC jugent avec des préjugés, notamment raciaux.
L’an dernier, IRCC avait reconnu, après avoir essuyé de nombreuses critiques, que les préjugés raciaux des agents pouvaient expliquer les refus de visas d’étudiants africains.
Pour éviter un tel biais, la sous-ministre Christiane Fox a seulement assuré que « des formations » étaient dispensées à tous les agents d’IRCC qui accordent des visas. Mais aucune règle commune ne suivra, notamment parce que « les preuves varient fortement d’un cas à l’autre », a encore affirmé Sean Fraser.
Situation connue depuis des mois
En comité, ce dernier s’est notamment fait épingler par plusieurs députés d’opposition sur le fait qu’il connaissait l’existence de fraudeurs depuis des mois, et qu’il aurait pu éviter des cas d’expulsion injustifiée.
« On m’a appris cette question au début du printemps [2023], pas à l’automne dernier », a répliqué Sean Fraser.
Selon le ministre, quelques mois de travail ont été nécessaires pour « régler un problème complexe ». Il avait d’ailleurs fait état de la situation dans un gazouillis en mai.
À la mi-mars, la CBC rapportait l’expulsion de 700 étudiants, mais le ministère dispose de chiffres « considérablement plus bas ». « Ce ne sont que quelques dizaines de personnes qui sont sujettes à des ordres d’expulsion », a souligné Sean Fraser en conférence de presse.
Le ministre a fait valoir que seulement huit personnes ont été expulsées sur la base de fraude. « Elles pourront utiliser le nouveau processus puis revenir si elles démontrent qu’elles n’étaient pas au courant de la fraude. »
Le ministre a en outre fait état de 82 personnes qui ont été renvoyées vers la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), le tribunal qui juge de la question. 25 d’entre eux suivent le processus en cours. Il reste 57 personnes visées par des mesures de renvoi.
Une enquête menée actuellement par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) concerne 2000 étudiants touchés par la fraude, a confirmé la sous-ministre Christiane Fox en comité parlementaire.
Un autre processus d’enquête est en cours, cette fois au sein d’IRCC, sur la fraude des lettres d’acceptation. « C’est un processus continu [qui] existe pour tout agent qui voit une tendance [de fraude, NDLR] émerger », a-t-elle encore précisé.
Le ministère de l’Immigration s’attend à ce qu’après l’annonce, les étudiants étrangers deviennent plus « conscients » qu’ils pourraient éventuellement faire l’objet de fraude, et les encourage à dénoncer.
« Le programme des étudiants étrangers est un avantage incroyable pour le Canada, mais sa réputation dépend de notre capacité à défendre son intégrité », a conclu Sean Fraser.