Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté

Cela fait deux ans et demi, depuis le 14 décembre 2020 précisément, que l’APPUSB et la direction de l’USB sont en négociations pour redéfinir la convention collective de travail des quelque 60 professeurs et professionnels (1) de l’USB représentés. La convention actuelle qui, faute d’un nouvel accord, régit encore les salaires des professeurs et professionnels de l’USB, est entrée en vigueur au 1er août 2016 et aurait dû prendre fin le 31 juillet 2020.

La dernière rencontre entre le comité de négociation de l’APPUSB et la direction de l’Université a eu lieu mardi 13 juin. Il s’agit de la dernière rencontre prévue pour le moment. Au cours de cette dernière, la direction de l’USB a soumis une offre, dite « finale ». Une offre « encore loin de ce que nous jugeons équitable », a déclaré Anne Sechin, chef du comité de négociation de l’APPUSB.

Une offre pas à la hauteur

L’offre a donc été refusée par l’APPUSB. Sa porte-parole, Phi-Vân Nguyen, professeure agrégée d’histoire à l’USB, revient sur les propositions faites et détaille les conditions « équitables » auxquelles les professeurs et professionnels aspirent :

« La partie patronale nous a d’abord proposé une augmentation de salaire de 6 % étalée sur quatre ans. Une offre que l’on a rejetée à deux reprises. La dernière offre proposée mardi était de 7,75 %, toujours sur quatre ans. Ce que nous souhaitons, c’est une rémunération semblable à celle de nos pairs de l’Université de Winnipeg (U of W) et de la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM). »

Patrick Noël, lui aussi professeur agrégé d’histoire et président de l’APPUSB, précise : « Notre dernière demande comprenait une augmentation salariale de 12,75 %, elle aussi étalée sur quatre ans. 7 % la première année, puis 1,75 %, 2 % et une dernière fois 2 %. » Phi-Vân Nguyen souligne d’ailleurs que l’augmentation demandée n’aurait pas même permis de combler l’écart avec les salaires perçus à la DSFM et l’U of W.

Avant d’illustrer les écarts mentionnés plus tôt avec des comparaisons détaillées, il faut noter que les salaires des professeurs adjoints, professeurs agrégés, professeurs titulaires, professionnels et professeurs enseignants varient en fonction de leur échelon. Échelons qui commencent à un, et qui peuvent aller jusqu’à 16 pour les professeurs titulaires et agrégés, à 14 pour les professionnels et professeurs enseignants, et jusqu’à 13 pour les professeurs adjoints.

Les chiffres donnés sont donc basés sur une moyenne calculée en prenant en compte tous les échelons. Les comparaisons de salaires pour les professeurs adjoints, agrégés et titulaires sont faites avec l’U of W, qui offre des postes similaires. Pour la même raison, les salaires des professionnels et des professeurs enseignants seront comparés à ceux de la DSFM.

« Aussitôt que les gens voient la charge de travail et la rémunération qui va avec ici à l’USB… le calcul est vite fait. »

Phi-Vân Nguyen

Peu d’évolution depuis 2014

En 2015, les professeurs et professionnels de l’USB étaient payés 98 % du salaire moyen des professeurs adjoints, agrégés et titulaires de l’U of W. Les salaires entre l’USB et l’U of W étaient alors sensiblement les mêmes à tous les échelons. Depuis, l’écart n’a cessé de se creuser. En 2019, on est à 94 %, pour finalement atteindre les 86 % en 2022.

Pour les professionnels et les professeurs enseignants, la problématique est la même. En moyenne, à l’USB, à poste équivalent, on touche 88 % du salaire proposé à la DSFM. Patrick Noël et Phi-Vân Nguyen parlent tous les deux d’un « retard sur les conventions collectives de nos pairs ».

Les informations concernant les salaires du personnel sont en libre accès à la bibliothèque Alfred-Monnin. La Liberté a donc pu étudier les salaires de 2014 et les comparer à ceux de 2021 (derniers chiffres disponibles). Force est de constater que les salaires des professeurs n’ont pas beaucoup changé depuis : les salaires les plus bas en 2014 et en 2018 pour un professeur étaient de 52 000 $ par an; autrement, ils sont toujours compris entre 60 000 $ et 170 000 $.

La paye est donc restée à peu près la même, or les comparaisons démontrent que ce n’est pas le cas ailleurs. Et avec l’inflation qui fait rage depuis 2019, « ils ont perdu du pou- voir d’achat, c’est sûr et certain, souligne l’économiste Raymond Clément. Dans le contexte économique actuel, si l’on veut retenir ses employés, il faut hausser les salaires. Et si les finances ne le permettent pas, il faut aller chercher l’argent ailleurs, en coupant des services par exemple. C’est val- able ici comme dans tous les domaines ».

Charge de travail

Outre le problème de l’inflation, l’écart de rémunération entre les différentes institutions d’éducation pose deux grands problèmes : celui du recrutement, mais aussi de la rétention du personnel.

Car la charge de travail qui incombe aux professeurs de l’USB est conséquente. On parle d’une charge de « six cours, en général deux fois 1 h 15 en salle de classe, mais aussi tout le travail autour : les heures de préparation, de suivi, les heures dans les laboratoires et la recherche ».

En effet, contrairement aux écoles publiques, pour lesquelles la Province se charge des curriculums, à l’USB ce sont les professeurs qui sont en charge de créer leurs plans de cours. Phi-Vân Nguyen ajoute que les professeurs à l’U of W n’enseignent que cinq cours. « Aussitôt que les gens voient la charge de travail et la rémunération qui va avec ici à l’USB… le calcul est vite fait. »

Patrick Noël renchérit : « Les financements pour les universités ont grandement diminué sur les dernières années, donc nous ne sommes pas les seuls dans une situation difficile, mais nous sommes rendus pires que les autres. Professeurs adjoints, titulaires ou autres, systématiquement, nous sommes moins bien payés que dans les autres universités au Manitoba. »

Les étudiants impactés

En outre, ces problématiques-là n’impactent pas seulement le corps professoral. « Il faut garantir une compétitivité pour l’USB, lance la porte-parole. Ces problèmes existent depuis plusieurs années. De manière répétée, il y a des postes que l’on n’arrive pas à remplir! Ça ne nous concerne plus seulement nous et nos conditions de travail, c’est aussi pour les étudiants! »

La colère et la fatigue se font sentir par moments dans les intonations prises par la professeure agrégée d’histoire. En particulier à la mention des étudiants.

« Quand ils regardent les horaires des cours, il y a des noms qui disparaissent, des gens qui partent à la retraite. Il y a de nouveaux noms qu’on ne connaît pas. Ce sont des chargés de cours (2), par exemple. Et il y a des cours qui doivent être donnés à distance parce que l’on n’arrive pas à attirer les chargés de cours jusqu’ici. Déjà aujourd’hui, il y a un impact qui est réel. »

Ainsi, on voit de moins en moins de professeurs, donc ceux qui restent sont surchargés et le cadre d’apprentissage offert aux étudiants en pâtit. Une affirmation que confirme Michelle Kambire, présidente de l’Association étudiante de l’Université de Saint-Boniface (AEUSB).

Elle confie que certains étudiants lui ont partagé leurs « inquiétudes ». Des inquiétudes dues à l’augmentation du nombre de classes dispensées par des chargés de cours ou des « suppléants » localisés hors province, mais pas seulement. « Nous craignons d’être impactés directement si une solution n’est pas trouvée, lance Michelle Kambire. Si les professeurs ne sont pas d’accord, ce qu’on a peur de voir se passer, c’est que certains démissionnent. Auquel cas des cours risquent d’être annulés. Et des cours annulés, ce sont des cours qu’on ne pourra pas avoir, donc on ne pourra pas graduer à temps. »

Soutien de la communauté

Aujourd’hui, l’APPUSB a fait le choix de se tourner vers la communauté pour obtenir du soutien. Pour ce faire, en plus une campagne sur les réseaux sociaux, l’APPUSB sera présent aux Jeudis de la francophonie. Le syndicat a aussi lancé une campagne de lettres.

« On a créé une interface qui permet aux gens d’envoyer une lettre directement au rectorat. On doit tout essayer avant d’en arriver à des mesures disruptives, confie Phi-Vân Nguyen. L’USB, c’est la vitalité intellectuelle de la francophonie. »

Selon l’APPUSB, aucun retour à la table des négociations n’est envisagé pour le moment. La Liberté a tenté de s’entretenir avec la direction de l’USB. Une porte-parole de l’institution a répondu par courriel. « À l’heure actuelle, par respect pour le processus des négociations collectives en cours, l’Université s’abstient de commenter la situation. »

(1) Des spécialistes dans leur matière, mais qui n’ont aucune obligation de recherche.

(2) Enseignant d’un collège ou d’une université, sans statut professoral, engagé pour une durée déterminée.