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L’attente fut longue, très longue. Elle aura duré 153 ans. Le 3 juin 2023, et pendant deux jours, Winnipeg a été le théâtre du plus grand rassemblement de Métis de la Rivière-Rouge « depuis la chasse au bison ». En effet, plus de 5 000 individus s’étaient réunis en présence et en ligne pour ratifier, à l’unanimité, le Traité de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis de la rivière Rouge.
Ce traité est la manière moderne de revenir sur les promesses faites par le gouvernement fédéral aux Métis lors de la création du Manitoba en 1870. Promesses qui globalement n’ont jamais été respectées, notamment sur la question des terres.
Une seule ombre au tableau : « pas un seul mot de français n’a été prononcé au cours de cette célébration historique de deux jours ».
« Pas un seul mot de français »
C’est le constat qu’a exprimé Monique LaCoste pendant l’évènement, lors de sa prise de parole, en français, en sa qualité d’historienne amateure et de membre au sein du Conseil Elzéar-Goulet, établi en 2003. Un triste constat, mais qui ne voulait en rien retirer de la joie à la fierté ambiante. Monique LaCoste le dit elle-même dans son discours : « Il faut allumer une bougie plutôt que de maudire l’obscurité. Toutefois, je veux m’assurer qu’on inscrive au procès verbal le fait que quelqu’un ait félicité et remercié notre gouvernement dans la langue de nos ancêtres, le français. »
Il n’est jamais vain de le rappeler, les Métis sont un peuple d’origine autochtone et européenne, les descendants des premiers Voyageurs et Coureurs des bois, des Français, des Écossais ou encore des Irlandais qui ont vécu parmi les communautés autochtones de l’Ouest canadien à l’époque de la traite des fourrures. Alors comme pour tous les peuples, être Métis, c’est avoir un patrimoine, une culture, mais aussi une langue, ou, dans ce cas-là, plusieurs : le français, le mitchif et l’anglais.
« Je pense que le temps est venu de s’assoir à la table avec la Fédération des Métis du Manitoba pour s’interroger sur les priorités des Métis d’expression française et s’assurer que nous soyons visibles et entendus dans les années à venir. »
Monique Lacoste
Une place pour tous
Ce n’est donc pas sans raison que l’intervention de Monique LaCoste était teintée d’une légère inquiétude. Car le français n’a pas toujours été minoritaire au sein du peuple métis bien au contraire : « En 1870, la langue était parlée par 60 % des habitants de la Colonie de la rivière Rouge. » Mais des années de politique anglocentrée et de répression du français ont suffi à inverser la tendance. « On parle souvent des Métis comme d’un peuple autochtone invisible. Ceux d’expression française le sont encore plus. Nous sommes les invisibles parmi le peuple invisible. »
Pour Monique LaCoste, les raisons à cela sont multiples : « une vision très anglo-saxonne de l’histoire et notamment des évènements de 1869-1870. Les Métis eux-mêmes citent souvent Louis Riel en anglais, sans faire référence au fait français qui était au cœur des préoccupations des Métis à l’époque. Dans bien des cas, ses paroles ont été prononcées en français. »
Vision
Dans l’équation, la membre du Conseil Elzéar-Goulet pointe aussi du doigt le fait que « les pas de géant » accomplis par la Fédération Métisse du Manitoba (FMM) devant la Cour suprême et les tribunaux pour aboutir à ce traité moderne « dépendaient beaucoup d’une certaine homogénéité de ce qu’est un Métis de la rivière Rouge.
« La Fédération a dû vendre une vision des Métis dans laquelle tout le monde parlait mitchif. Le fait que nous sommes un peuple qui a créé et qui parle une langue unique, c’est ce qui a permis d’être reconnu comme un peuple à part entière et, par extension, a pavé la voie vers l’autodétermination. Par exten- sion, la Fédération a vendu une vision des Métis dans laquelle le mitchif était la langue principale de tous les Métis. Les contributions importantes des Métis d’expression française semblent être tombées dans l’oubli », regrette-t-elle. Alors bien que le résultat de cette approche ait abouti, de toute évidence, sur une grande victoire, cette dernière s’est en partie obtenue au détriment de la langue française.
Vers une meilleure représentation
Or cette langue française, aux côtés du mitchif et de l’anglais, fait partie intégrante de l’identité métisse. L’existence de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJM), fondée le 17 juillet 1887 et doyenne des organisations métisses dans tout le pays, est là pour le rappeler. Et ce n’est pas par hasard si Paul Desrosiers et David Dandeneau ont cofondé le Conseil Elzéar-Goulet en 2003. Déjà à l’époque, il s’agissait de donner de la voix aux Métis d’expression française au temps d’une FMM où l’anglais était la langue de fonctionnement.
Les problématiques de l’époque transpirent encore aujourd’hui, comme le souligne Monique LaCoste : « À titre de Métisse d’expression française, je ne me sens pas toujours représentée par la FMM. »
Un sentiment dont elle a fait part directement à la Fédération érigée en gouvernement, lors de consultations publiques qui se sont tenues au mois d’avril 2023. Un sentiment qui trouve écho chez Paulette Duguay, présidente de l’UNMSJM, qui rappelle que l’inclusion du français n’était pas une priorité pour la FMM et que c’est sous la pression de l’UNMSJM que les choses ont changé. « Aujourd’hui les choses évoluent un peu, lance la présidente. Il semble y avoir une certaine volonté d’inclure plus ouvertement le français. »
Optimisme
Paulette Duguay souligne aussi que des discussions entre l’Union et la Fédération existent, « reste à voir où cela va mener ». La présidente note quand même une certaine « ouverture » de la part de la FMM. « On est optimiste. »
Rappelons tout de même que l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, « n’a pas été invitée à la table des discussions » et n’a donc pas participé à la création du Traité de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis de la rivière Rouge.
Mais Monique LaCoste le souligne avec force, son intervention lors de la ratification n’était en rien une attaque. Et, à en juger par les réactions obtenues le jour J, et notamment la réponse du président de la FMM, David Chartrand, elle n’a pas été perçue comme telle. Le président aurait assuré à l’assemblée que l’intégration des Métis d’expression française était une priorité pour son gouvernement.
Des négociations
Des propos que la Fédération corrobore dans un courriel adressé à La Liberté, qui a sollicité une entrevue. « Tous les gouvernements du Canada, y compris celui des Métis de la rivière Rouge, ont des responsabilités envers la langue française. C’est pour cela que nos lois, et nos futures communications, seront aussi disponibles en français. » À la question de savoir si des services en français seront disponibles, aucune réponse ne nous a été donnée. Cela dit, le bureau de la présidence confirme que « le traité en lui-même ne prévoit pas de subventions pour soutenir du contenu en langue française », mais que l’obtention de ces services fera partie intégrante des négociations qui s’appuieront sur le traité existant.
Mission donc a priori presque accomplie pour Monique LaCoste, qui souhaitait ouvrir la conversation sur la place du fait français, à la fois au sein du gouvernement métis, mais aussi plus largement, dans le processus de réconciliation. D’autant que les différences entre Métis francophones et anglophones vont au-delà de la langue.
Celle qui se dit historienne de cœur, souhaite plutôt se concentrer sur « ce qui nous unit. Les éléments sont là et je pense que le temps est venu de s’assoir à la table avec la FMM pour s’interroger sur les priorités des Métis d’expression française et s’assurer que nous sommes visibles et entendus dans les années à venir ».