Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté
Environ 14 000 âmes vivent à Thompson, dans le nord du Manitoba. Cette ville est encerclée de lacs et isolée au milieu de la forêt boréale. Malheureusement, les services d’incendies et de secours de la ville croulent sous les appels et les interventions.
En comparaison au hangar, dans lequel sont stationnés trois camions de pompiers, deux ambulances et un bateau de sauvetage, le bureau du chef de service d’incendie de Thompson, Steve Molloy, paraît bien étroit. « L’an passé, nous avons reçu 8 000 appels pour des services médicaux d’urgence et plus de 500 alertes incendie. Nous sommes le deuxième département le plus chargé de la province derrière Winnipeg. » 8 500, c’est plus de la moitié du nombre d’habitants de la ville.
Alors si le nombre d’appel n’en reste pas moins élevé, la cheffe adjointe des services d’incendie, Ashling Sweeny, lui apporte un peu de contexte : « Nous sommes entourés par les communautés de Manitoba Keewatinowi Okimakanak Inc. qui représente 26 communautés du Nord du Manitoba, le Keewatin Tribal Council lui, en représente 11. » Les interventions menées par les services d’incendie et de secours de Thompson ne s’arrêtent donc pas à la jupe extérieure de la ville, mais à toute la région environnante. Ashling Sweeny estime que cela représente « entre 54 000 et 56 000 individus de plus. »
Pour faire face à ce volume d’appel, le département compte aujourd’hui 24 pompiers « soit quatre pelotons de six », précise Steve Molloy. À ces 24 professionnels, s’ajoutent 19 pompiers volontaires. Au moment de son entretien avec La Liberté, le chef des services d’incendie, précise toutefois que le département fait face à un taux de vacance de 17 %. « Nous avons quatre positions à remplir, et 16 volontaires disponibles. »
À titre de comparaison, en 2022, les services d’incendie et de secours de la Ville de Brandon, comptaient 72 membres du personnel et ont pris en charge à peu près 8 000 appels pour des services médicaux d’urgence et une centaine d’interventions incendies.
Manque de personnel
Lors de la dernière fin de semaine de juin, les pompiers de Thompson ont reçu 104 appels. Or, les hommes et femmes de Steve Molloy ne peuvent pas être partout à la fois. « Chaque ambulance doit être opérée par deux pompiers, et quatre ou cinq doivent être assignés par camion. » Pour que les rouages de la machine tournent comme il se doit, les pompiers de Thompson n’ont d’autres choix que d’accumuler les heures supplémentaires. « Au cumulé, trois de nos pompiers ont dépassé les 700 heures supplémentaires. Il nous faudrait huit pompiers de plus. »
« Au moins! », enchérit l’adjointe.
Ce manque de personnel entraîne avec lui son lot de problématiques. D’abord, il y a la santé mentale des soldats du feu qui composent avec des temps de repos plus rares. De plus, les délais d’interventions sont eux aussi affectés, ils sont plus longs. Le chef de service incendie précise tout de même que ses hommes et femmes « ne refuseront jamais une intervention » tant qu’ils en auront les ressources nécessaires.
« L’expérience acquise ici est inestimable, et elle est acquise en peu de temps. C’est ce qui attire beaucoup des nouvelles recrues qui sacrifient quelques années de leur vie loin de leur famille et leurs amis avant de s’en rapprocher plus tard. »
Steve Molloy
Recrutement et rétention
C’est que pour la caserne de Thompson, le recrutement n’est pas simple. D’abord, pour être pompier dans cette ville manitobaine, il est nécessaire d’avoir une double certification. Une formation en lutte incendie, et une en services médicaux d’urgence. La raison à cela est simple, les pompiers de la caserne de Thompson sont aussi en charge des transports et interventions en ambulances. Il incombe donc à ces derniers de pouvoir intervenir à la fois dans le cadre des luttes contre les incendies mais aussi pour les urgences médicales. Or, le Manitoba Emergency Services College (MESC), à Brandon, est le seul établissement manitobain qui propose cette double certification dans son curriculum. Cela pose plusieurs problèmes.
« Une classe sera diplômée cette année de MESC, explique Steve Molloy. Les départements de service d’incendie principaux de la province (Winnipeg, Brandon, Portage La Prairie) vont puiser dans ce vivier de diplômés. » Alors que les classes accueillent au maximum quarante élèves, le nombre de recrues disponible chaque année reste variable et par conséquent, il en va de même pour le taux de recrutement. D’autant plus que « la plupart sont recrutés par les plus gros départements », conclut-il.
Ashling Sweeny, est originaire de la Première nation de Cross Lake, elle a grandi à 200 kilomètres au sud de Thompson. « J’ai suivi ma formation à Brandon, j’ai commencé en tant que pompier volontaire, mais je savais que je voulais faire carrière ici, j’ai donc déposé ma candidature dès que j’ai eu mon diplôme. »
Si celle qui est aujourd’hui cheffe adjointe avait dès le départ l’intention de vivre et travailler dans le Nord, ce n’est pas le cas pour la grande majorité des pompiers, qui ne sont que de passage. « L’expérience acquise ici est inestimable, et elle est acquise en peu de temps, lance Steve Molloy. C’est ce qui attire beaucoup des nouvelles recrues qui sacrifient quelques années de leur vie loin de leur famille et leurs amis avant de s’en rapprocher plus tard. »
Former ici pour travailler ici
Que faire? La réponse est instinctive : puisque la plupart des pompiers à Thompson viennent d’ailleurs, il faut recruter ici, dans le Nord. Car si Ashling Sweeny n’a pas hésité à se rendre à Brandon pour obtenir ses diplômes, certains ne peuvent pas se permettre de s’éloigner de leur famille pendant deux ans, où n’en n’ont simplement pas les moyens.
L’option de rendre disponible, à Thompson, un programme permettant la double certification requise avait déjà été explorée en 2018 par l’initiative Thompson 2020, une initiative de développement économique, et les membres des services d’incendies et de secours. Après deux ans de travail, les fonds avaient été récoltés, le MESC avait donné son accord pour l’utilisation de son curriculum. C’est l’UCN (University College of the North) qui aurait dû s’occuper de dispenser le programme. Néanmoins, en 2020, l’UCN déclarait ne pas être en mesure de le faire, mettant le projet tout entier à l’arrêt. Dans une lettre adressée à Colleen Smook, mairesse de la Ville de Thompson en août 2020, l’UCN avait déclaré la chose suivante : « Bien que nous nous engagions à offrir une aide en nature pour soutenir la réalisation d’un tel programme, notre soutien pourrait inclure des espaces et d’autres ressources disponibles sur le campus de l’UCN, nous n’avons pas actuellement la capacité d’offrir ce programme indépendamment. »
Deux ans après les faits, Steve Molloy confie, sans préciser les acteurs, que « nous essayons de ramener le projet sur la table. »
À l’heure d’aujourd’hui, UCN offre, sur son campus à Le Pas, une formation en services médicaux d’urgence. Interrogé quant à leur position actuelle sur la possibilité de voir ou non naître un programme similaire à celui de MESC à Thompson, UCN a répondu ceci : « L’University College of the North collabore avec les parties intéressées pour mettre en place un programme élargi de paramédical en soins primaires à Thompson. »