Marianne Dépelteau, avec des informations d’Inès Lombardo
En 2017, le Commissariat aux langues officielles (CLO) a reçu quatre plaintes concernant l’entente entre Netflix et Patrimoine canadien (PCH).
L’un des plaignants, l’ex-député fédéral néodémocrate François Choquette, accusait PCH de ne pas avoir respecté la partie VII de la Loi sur les langues officielles (LLO). Celle-ci oblige PCH à considérer les communautés de langues officielles en situation minoritaire dans le cadre de l’entente.
En 2019, l’enquête du commissaire conclut que la plainte de François Choquette est non fondée. Le plaignant remet maintenant en question la rigueur du CLO dans le processus d’enquête et demande à la Cour fédérale d’intervenir.
Entente Netflix
En 2017, Netflix a accepté d’investir 500 millions de dollars en production au Canada au cours des cinq années suivantes, à la condition que le gouvernement ne perçoive pas de taxes sur ses services.
Le géant américain s’était engagé à injecter 25 millions de dollars de cette somme dans le marché francophone, mais à ce jour, il est toujours impossible de connaitre la somme qui y a été réellement investie.
L’entente de cinq ans, conclue entre Netflix et Patrimoine canadien, est arrivée à échéance en 2022.
La préservation des relations en cause
En vertu de la Loi sur Investissement Canada, qui garantit la confidentialité de l’entente avec Netflix, Patrimoine canadien a refusé de fournir tous les documents nécessaires à l’enquête du Commissariat.
En mars 2018, dans une note de synthèse adressée au commissaire Raymond Théberge, des fonctionnaires du Commissariat remettent en question l’intérêt d’insister auprès de PCH pour obtenir les informations manquantes.
« Maintenir une relation de collaboration avec PCH est important, et faire appel aux pouvoirs d’enquête pour obtenir plus d’infos pourrait porter atteinte. […] s’il s’avère que nous pouvons utiliser nos pouvoirs d’enquête, cela entrainera des couts et pourrait miner le niveau de collaboration avec PCH (dans ce dossier et/ou d’autres) », indique la note.
Dans ce même document obtenu par Francopresse, les fonctionnaires préviennent le commissaire que l’information recueillie est insuffisante pour tirer des conclusions, et qu’aller de l’avant pourrait créer un précédent, limitant ainsi les pouvoirs d’enquête du CLO.
« Le fait d’accepter l’argument de la confidentialité risque de créer un précédent avec PCH pour les dossiers liés aux investissements étrangers », lit-on dans la note.
Dans ses commentaires sur le rapport préliminaire du Commissariat, François Choquette partage ses préoccupations avec ce dernier : « Sans ces pouvoirs d’enquête, votre rôle et l’utilité de votre mandat ne deviennent, en quelque sorte, que symboliques. Ainsi, il ne suffit pas pour une institution fédérale d’invoquer un privilège de confidentialité pour éviter de communiquer tout renseignement et document fondamental à vos enquêtes. »
Pouvoirs du commissaire
La Loi sur les langues officielles permet au commissaire aux langues officielles de contraindre des témoins à produire les « documents et autres pièces qu’il estime indispensables pour instruire à fond toute question relevant de sa compétence » (article 62).
Pourtant, dans son rapport final paru en février 2019, le CLO affirme ignorer «dans quelle mesure Netflix a été informé des besoins propres aux communautés francophones hors Québec, et PCH n’a fourni aucun renseignement pour clarifier ces éléments durant l’enquête, même s’il a été prié de le faire».
Techniquement parlant, le CLO aurait pu être sévère dans sa demande d’informations.
Le bureau du CLO a décliné notre demande d’entrevue, indiquant que le dossier était présentement devant les tribunaux.
L’affaire devant les tribunaux
Aujourd’hui, l’ex-député demande la réouverture de l’enquête, et ce, pour deux raisons : la raisonnabilité de la décision du CLO et son omission d’enquêter sur l’article 43 de la LLO, qui vise des mesures spécifiques que Patrimoine canadien peut prendre en matière de langues officielles.
« Les 25 millions pour moi, c’était un écran de fumée, une pilule empoisonnée, de la poudre aux yeux de la part des ministres pour nous faire avaler ce remède de cheval, déclare François Choquette. Ce qui est intéressant, c’est l’ensemble des investissements de Netflix Canada au pays. »
François Choquette attend que sa demande de rouvrir l’enquête soit entendue par la Cour fédérale. « On veut que le CLO refasse son travail en fonction des articles 41 et 43 principalement », explique-t-il.
Ce dernier met la table avant l’audience : « L’idée est de faire le constat des dégâts commis, des mesures positives qu’on aurait dû mettre en place, les protocoles de consultation et les obligations linguistiques qui auraient dû être mises en place et ce qu’il faut faire pour la suite des choses. »
La date de l’audience devant les tribunaux, fixée au 4 juillet dernier puis annulée, n’est pas encore connue.