Inès Lombardo
Pour prétendre à ce projet-pilote, les employeurs devront prouver qu’ils ont obtenu trois études d’impact sur le marché (EIMT) positives dans les cinq dernières années, «pour la même profession», précise le gouvernement. Le permis d’embauche qui en découlera sera valide pour trois ans, contre 18 mois actuellement.
Délivrée par le ministère d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), l’EIMT est un document nécessaire dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Elle permet à l’employeur d’embaucher un travailleur étranger quand aucun Canadien ou résident permanent n’est disponible pour le faire.
Comme l’a reconnu en conférence de presse le 8 aout dernier le ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, Randy Boissonnault : les travailleurs temporaires étrangers sont ceux qui subissent « le plus d’exploitation ».
« C’est un problème connu au Canada », confirme Jean-Bruno Nkondi, coordinateur de projet pour la section Emploi au Relais francophone de la Colombie-Britannique.
Mais le nombre de travailleurs rattachés au PTET ne décroit pas pour autant : selon les données fournies par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), 221 933 travailleurs étrangers temporaires ont été visés par des EIMT positives en 2022, contre 89 416 en 2015.
Le ministre Boissonnault s’est toutefois voulu rassurant en affirmant qu’ils continueront d’être protégés en cas d’abus d’employeurs : « On évitera que les travailleurs soient attachés à un employeur en particulier. »
Signalements d’abus
Mais selon Cheolki Yoon, bénévole au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTTI) et professeur adjoint à l’École de communication sociale de l’Université Saint-Paul à Ottawa, le projet aurait dû s’accompagner d’une amélioration des mesures de protection pour les travailleurs temporaires.
« Certes, on pourra désormais voir des employeurs relativement plus fiables que par le passé sur le site de Guichet emploi. À part ça, il n’y a pas de vrai changement. C’est plutôt un projet pilote [qui] avantagera les employeurs. »
« Au CTTI, on avait déjà un grand doute sur la mise en application du règlement [sur l’immigration et la protection des réfugiés, NDLR] par le gouvernement fédéral. Parce que même après des signalements d’abus, des employeurs continuaient à obtenir des EIMT positives, à recruter des travailleurs temporaires après avoir violé le règlement », souligne-t-il encore.
Actuellement, c’est aux travailleurs et travailleuses temporaires de fournir la preuve qu’ils ont été victimes d’abus, pour avoir droit au permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables.
« Un échec »
Pour Cheolki Yoon, c’est « un échec » du gouvernement fédéral, car « le processus de la demande est très compliqué et le fardeau de la preuve d’abus retombe sur les travailleurs et travailleuses ».
« En outre, après un an de permis ouvert, ils doivent retourner au permis fermé », ajoute le professeur.
Ainsi, même après un refus d’EIMT ou une interdiction de recruter, des employeurs qui ont violé les normes du travail provinciales continuent de recruter les étrangers en quête de travail, résume-t-il.
Selon lui, des employeurs trouvent des moyens de recruter à travers les réseaux informels, comme des amis ou membres de la famille de travailleurs qu’ils ont déjà embauchés.
Sur le détachement [des travailleurs temporaires d’un employeur abusif], il y a deux façons de faire selon Cheolki Yoon : délivrer des permis de travail ouverts pour les travailleurs vulnérables et refuser les EIMT après l’enquête qui aura prouvé que l’employeur a abusé de l’employé.
Charges illégales
Jean-Bruno Nkondi assure de son côté que ce sont les salaires les plus bas et les employés les moins qualifiés qui sont les plus exposés aux abus.
« Beaucoup de travailleurs temporaires veulent rester, mais leur statut est fragile. C’est là qu’il peut y avoir des cas d’abus et de chantage », rapporte-t-il.
Et si le ministre Boissonnault a affirmé que les travailleurs temporaires seront toujours « payés au salaire minimum », pour le professeur Yoon, il faut regarder les abus sur les « déductions de salaire et les charges illégales de recrutement ».
« Ça peut aussi être des frais d’hébergement exorbitants, dans des conditions souvent déplorables », dénonce-t-il.