J’ai appris depuis que le mot gosse, synonyme familier d’« enfant » en France, désigne au Canada certains attributs de la virilité. J’ai aussi compris que la plaisanterie inspirée par ce double sens était un rite d’initiation linguistique réservé à tout Français fraîchement débarqué au Canada.

Les mois qui ont suivi mon arrivée m’ont réservé d’autres surprises. Je me rappelle avoir fortement douté des bonnes mœurs canadiennes en apprenant qu’ici les parents laissaient leurs enfants jouer avec des catins. Ce diminutif du prénom Catherine était synonyme de « poupée » en France au 18e siècle. Ce sens est resté au Canada, mais il a totalement disparu en France où catin est aujourd’hui une injure un peu démodée signifiant « prostituée ».

Durant ma première année au Canada, je m’étonnai aussi qu’on me souhaite, le jour de ma naissance, une « bonne fête » plutôt qu’un « bon anniversaire ». En France, on ne souhaite « bonne fête » à une personne que le jour de la fête du saint dont elle porte le nom (en ce qui me concerne, le 10 août, jour de la Saint- Laurent).

Pour beaucoup de néo-Canadiens, la confusion linguistique atteint son comble au moment des repas. Le mot déjeuner est issu, pense-t-on, du latin disjunare signifiant « rompre le jeûne » (l’anglais breakfast est construit sur le même modèle). Au Canada, déjeuner a gardé ce sens originel de « premier repas de la journée, généralement pris le matin ». Le repas de midi est appelé dîner et celui du soir souper.

En France, par contre, l’évolution des habitudes alimentaires a changé le sens de ces mots à partir du milieu du 19e siècle. Les Parisiens ayant pris l’habitude de consommer une petite

collation matinale appelée petit déjeuner, les mots déjeuner et dîner ont été décalés pour désigner respectivement le repas de midi et celui du soir. Aujourd’hui, Canadiens et Français ne s’entendent plus que sur le mot souper comme synonyme de repas du soir.

Toujours dans le domaine alimentaire, je n’ai pas oublié le visage perplexe d’une amie à qui j’avais annoncé mon intention d’apporter des gâteaux secs à une randonnée pédestre, perspective qui lui semblait peu appétissante. Je l’avais rassurée en lui expliquant que mes gâteaux secs étaient appelés des biscuits au Canada et que la glace que je proposais de déguster après la randonnée n’était ni un miroir, ni de l’eau gelée, mais une bonne crème glacée. De son côté, elle me révéla que le blé d’Inde n’était pas vraiment du blé!

Les divergences linguistiques de part et d’autre de l’Atlantique sont aussi très présentes dans le domaine vestimentaire. En France, les espadrilles sont des chaussures de détente en toile et à semelles de corde, parfaites pour jouer à la pétanque, mais peu recommandées pour courir efficacement le 100 mètres. Au Canada, le mot espadrilles désigne les chaussures de sport en général, y compris les Puma de haute technologie qui ont aidé Usain Bolt à gagner ses compétitions. Les Français utilisent dans ce sens les mots baskets et tennis, en référence aux sports pour lesquels ces chaussures ont été conçues.

En été, Canadiennes et Canadiens portent volontiers une camisole, vêtement léger sans col ni manches, alors qu’en France, la camisole est nécessairement « de force » et réservée aux fous furieux. Au Canada, tous les hommes portent aux pieds des bas, terme hérité des bas-de-chausses d’autrefois et que les Français, toujours épris de révolution, ont remplacé par le mot chaussettes.

Quant à la paire de claques que les visiteurs de France se voient parfois offrir par leurs amis canadiens l’hiver venu, elle n’a rien d’hostile, mais sert simplement à protéger leurs chaussures contre la sloche. Pardon : la gadoue!