Par Delphine PAYSANT
Frelon asiatique, écrevisse américaine mais aussi ambroisie, renouée du Japon ou mignons écureuils et ratons-laveurs : les envahisseurs prolifèrent, favorisés par la mondialisation ou le changement climatique, ravageant cultures et forêts, propageant des maladies et menaçant la qualité de la vie sur Terre.
Pour évaluer et contrer cette « urgence immédiate », l’IPBES, surnommée le Giec de la biodiversité, a publié lundi 4 septembre un rapport inédit, synthèse de plus de 13 000 études réalisé par 86 experts internationaux de 49 pays.
On dénombre 37 000 espèces exotiques (introduites par l’homme sur un territoire) dans le monde. Moins de 10 % (3 515) sont considérées comme invasives, c’est-à-dire qu’il existe « des preuves » des « effets négatifs, et dans certains cas irréversibles » qu’elles provoquent, selon ce panel qui conseille la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB).
Parmi ces ennemis publics, 6 % sont des plantes, 22 % des invertébrés, 14 % des vertébrés et 11 % des microbes.
Cauchemar de Darwin
Les espèces invasives sont une grave menace pour la biodiversité : elles jouent un « rôle majeur » dans 60 % des extinctions et dans 16 % des cas, elles en sont même l’unique cause.
Leurs principaux méfaits sont de bouleverser les écosystèmes (27 %), d’entrer en compétition avec les espèces indigènes (24 %) ou la prédation (18 %), selon l’IPBES qui alerte « sur les effets en cascade ».
Exemple emblématique : le récent incendie meurtrier à Maui (Hawaï) a été alimenté en partie par des plantes importées pour nourrir le bétail, qui se sont propagées dans les plantations sucrières abandonnées.
Car les espèces invasives ont également une incidence négative sur les humains, affectant « les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau, l’économie et la santé », souligne le rapport.
La liste des dégâts est longue : forêts américaines ravagées par des vers sauteurs asiatiques, herbiers mangés avidement par le poisson-lapin en Turquie, cercle vicieux lié à l’introduction de la perche du Nil dans le lac Victoria qu’avait décrit le documentaire Le cauchemar de Darwin, etc.
En 2019, leur coût global a été estimé à 423 milliards de dollars, l’équivalent du PIB du Danemark ou de la Thaïlande. Un montant « probablement grandement sous-estimé », qui quadruple chaque décennie depuis 1970.
Surnommés « tueur silencieux », comme le Batrachochytrium dendrobatidis, un champignon microscopique qui décompose la peau des amphibiens, « cancer vert » comme le Miconia calvescens, un arbre mexicain qui menace les forêts tahitiennes ou « fléau » porteur de maladies comme le moustique-tigre, les espèces exotiques envahissantes résultent d’introductions volontaires mais aussi de simples accidents.
La Méditerranée regorge de poissons et de plantes non-indigènes, tels le poisson-lion ou les algues dites « tueuses », qui ont voyagé en passagers clandestins dans les cales des cargos, depuis la mer Rouge via le canal de Suez.
Combat perdu?
L’Europe, les Amériques et l’Asie centrale abritent les plus grandes concentrations de ces nuisibles. Et les îles et les peuples indigènes très dépendants de la nature sont particulièrement vulnérables.
« Les menaces liées aux invasions biologiques progressent à un rythme sans précédent » partout dans le monde « et c’est certain, les choses vont encore grandement s’aggraver », déclare à l’AFP Helen Roy, l’une des trois co-présidents du rapport. Si rien n’est fait, l’IPBES estime que leur nombre aura augmenté de 36 % en 2050 comparé à 2005.
Le combat est-il pour autant perdu d’avance?
Pas forcément. « Gérer les invasions biologiques est réaliste et atteignable, avec à la clé des bénéfices substantiels pour la nature et les personnes », estime l’IPBES, qui liste trois lignes de défense : la prévention, l’éradication et le confinement, la première restant « l’option la plus rentable ».
Mais encore faut-il s’y atteler. Pour l’instant, seuls 17 % des pays ont adopté des stratégies nationales pour s’attaquer frontalement au problème et près de la moitié (45 %) ne font rien, est-il indiqué.
« Le coût de l’inaction est vraiment élevé », souligne Anibal Pauchard, coprésident du rapport. « Les humains sont au cœur du problème mais ils sont également au centre de la solution », renchérit Helen Roy.
L’accord de Kunming-Montréal, adopté par la communauté internationale fin 2022, fixe comme objectif de réduire de 50 % le taux d’introduction d’espèces exotiques envahissantes d’ici 2030.
Selon Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’IPBES, cet engagement est « essentiel, mais aussi très ambitieux ». Le rapport fournit « les preuves, les outils et les options nécessaires » pour le rendre « plus réalisable ».