De Grey Owl, écrivain, à Mary Ellen Turpel-Lafond, avocate et ancienne juge à la Cour provinciale de Saskatchewan, et plus récemment Kevin Klein, homme politique manitobain, toutes ces personnes se sont présentées comme Autochtones à un moment de leur vie. Cependant, après plusieurs enquêtes, aucun lien n’a pu être confirmé. Pour Me Jean Teillet, avocate spécialisée dans les droits autochtones, c’est un affront envers les personnes autochtones. « J’aimerais évidemment comprendre pourquoi ces personnes prétendent être Autochtones. La réponse la plus simple est qu’elles le font dans le but d’obtenir quelque chose.

« Dans le monde académique, il y a l’attrait de l’argent par les bourses, de postes importants et du prestige. Dans le monde politique, il y a l’attrait d’avoir un statut particulier. Elles le font pour se démarquer de l’ensemble des personnes. Ce sont donc principalement pour des raisons de cupidité, d’argent, de position, de pouvoir et de statut. »

Cependant, Me Jean Teillet ne peut expliquer la raison psychologique qui pousse les personnes à mentir sur leur identité. « C’est une question extrêmement complexe. Surtout qu’elles ont menti pendant une longue période, à beaucoup de personnes. Je ne pourrais pas expliquer le phénomène psychologique. »

L’avocate explique d’ailleurs que ces cas de figure ne sont pas uniques au pays et demandent davantage d’attention.

« Des milliers de personnes au travers du Canada prétendent être Autochtones alors qu’elles ne le sont pas. Malheureusement, c’est quel-que chose qui existe depuis longtemps. Prenons l’exemple de Grey Owl, né dans les années 1880. Son vrai nom était Archibald Stansfeld Belaney. Il n’était absolument pas Autochtone, c’était un anglais qui s’était inventé une histoire.

« Dans le cas de Kevin Klein, il utilise cette identité pour parler de la mort atroce de sa mère. Il semble qu’il ait créé un lien de cause à effet : elle a été tuée donc elle est Autochtone. Non, malheureusement, des femmes blanches meurent chaque année à cause de leur conjoint ou de leur ex-conjoint.

« Il assume que seuls les traumas peuvent définir les Autochtones. C’est terrible d’assumer ça. Et dans beaucoup de cas de personnes qui se prétendent Autochtones, elles parlent beaucoup à propos des traumas comme si c’était tout ce qui définissait les Autochtones. Ce n’est pas le cas. »

| Des préjudices considérables

Si l’exemple de Kevin Klein n’est pas unique, ces usurpations d’identité sont loin d’être anodines. Outre le fait que ces personnes prennent la place d’Autochtones, il y a des effets à plusieurs niveaux, comme l’explique Me Jean Teillet. « Dans toutes ces histoires, ce qui est certainement le plus triste, ce sont les préjudices qu’elles peuvent causer aux Autochtones.

« Lorsque les personnes ont des positions importantes, elles ont accès à un public. Les gens écoutent et en se prétendant Autochtones, elles volent la voix de vraies personnes Autochtones.

« Mais dans ces discours, il y a aussi le fait qu’en disant : Je suis Autochtone, ces personnes assument qu’elles connaissent leur réalité, qu’elles parlent en leur nom. Sauf que leurs discours vont évidemment être faussés puisqu’elles n’en ont aucune idée. Alors, lorsque vous êtes élus, que vous avez la responsabilité d’établir des politiques qui peuvent déterminer l’avenir des gens et que tout est basé sur un mensonge, c’est possiblement dévastateur pour les Autochtones. »

Dans cette même veine d’impact sur les politiques d’une province, Me Jean Teillet met en exergue une réalité inquiétante. « Ce qui a été observé à Terre-Neuve-et-Labrador, c’est qu’une grande partie de la population s’identifie Qalipu. Et maintenant, les données démographiques montrent donc que les Autochtones sont mieux éduqués, mieux logés et qu’ils ont de meilleurs emplois. Sauf que ce n’est pas la réalité, c’est simplement parce que des personnes s’auto-identifient comme Autochtones alors que c’est faux.

« Le résultat est que le gouvernement explique qu’il n’a plus besoin de venir en aide aux Autochtones puisque les données montrent que tout va bien. Sauf que ceux qui sont vraiment Autochtones ont besoin de cette aide. »

D’une certaine manière, ces usurpations d’identité autochtone font partie de l’assimilation, comme l’explique l’arrière-petite-nièce de Louis Riel. « Si tout le monde au Canada se prétend Autochtone, cette identité même va disparaître. C’est étrange. Mais c’est ce qui arrive en ce moment. »

| Une véritable éducation

Si ces histoires ont réussi à passer les années et à duper plus d’une personne, c’est sans aucun doute parce que les Canadiens et les Canadiennes en connaissent très peu au sujet des Autochtones. Pour Me Jean Teillet, aucune excuse n’est possible. « Les Canadiens et Canadiennes sont tellement ignorants à propos des Autochtones. Ils en savent si peu qu’on arrive à des situations pareilles. Il est grand temps que toute la société canadienne en apprenne davantage pour qu’il n’y ait plus personne qui puisse abuser du système. »

Me Jean Teillet a d’ailleurs rédigé un rapport pour l’Université de la Saskatchewan sur l’usurpation d’identité autochtone et a proposé des solutions pour la sphère académique qui peuvent s’appliquer à tous les milieux. « C’est très important de dénoncer ces personnes et de les confronter à leurs propres mensonges. Mais un travail en amont devrait être fait pour que ces situations n’arrivent pas.

« Il y a quelques pistes qu’il est possible de mettre en place pour vérifier l’identité d’une personne. Il faut des preuves. Je reconnais que ce n’est pas aux gouvernements ou aux sphères académiques de déterminer qui est Autochtone et qui ne l’est pas. Mais dans un processus de vérification, il faut demander des preuves. Il y a certainement l’auto-identification. Sauf que dans l’Est, il y a un assez grand problème d’organismes non reconnus qui vendent des cartes d’identité autochtone. Historiquement, ces orga-nismes ont commencé à se mettre sur pied lorsqu’il y a eu des droits reconnus pour la pêche et la chasse.

« C’est alors important de demander leurs connexions avec la communauté et s’ils sont reconnus et acceptés par cette communauté. C’est une vérification vraiment importante à faire.

« Les Autochtones sont des Nations qui existaient avant que le Canada n’ait sa forme actuelle. Être Autochtone n’est pas qu’une question de généalogie, c’est une question d’être membre d’une Nation à part entière. »