Par Marion THIBAUT

Les tensions ont soudainement bondi lundi après l’annonce choc du Canada qui a suggéré que New Delhi était impliqué dans l’assassinat de Hardeep Singh Nijjar, un citoyen canadien, devant son temple dans l’ouest du pays, en juin.

En quelques heures, un diplomate de chaque pays a été expulsé et le ton est monté: le gouvernement indien qualifiant ces accusations d'”absurdes” et démentant “tout acte de violence au Canada”.

Cette affaire “est extrêmement grave et a des conséquences importantes, tant sur le plan du droit international que sur d’autres aspects pour le Canada”, a déclaré mardi Justin Trudeau qui demande à New Delhi à la “prendre au sérieux”.

“Nous ne cherchons pas à provoquer. Nous présentons les faits tels que nous les comprenons”, a-t-il ajouté.

L’affaire est prise au sérieux ailleurs dans le monde: mardi, la Maison Blanche s’est dite “profondément préoccupée par les allégations” canadiennes.

“Il est très important que l’enquête du Canada se poursuive et que les coupables soient traduits en justice”, a commenté Adrienne Watson, la porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche.

De son côté, Londres a estimé qu’il est “particulièrement important” de laisser les autorités canadiennes mener l’enquête.

Militant pour la création d’un Etat sikh connu sous le nom de Khalistan, Hardeep Singh Nijjar, arrivé au Canada en 1997, était recherché par les autorités indiennes pour des faits présumés de terrorisme et de conspiration en vue de commettre un meurtre.

Des accusations qu’il niait, selon l’Organisation mondiale des Sikhs du Canada, regroupement à but non lucratif qui vise à défendre les intérêts des sikhs canadiens.

– “Enquête complète” –

Très mobilisée depuis cet assassinat, la communauté sikhe s’est réjouie des déclarations canadiennes.

“Ce n’était qu’une question de temps avant que la vérité éclate”, a déclaré Balraj Singh Nijjar, le fils de la victime, pour sa première prise de parole publique. “J’espère que vous pourrez aller plus loin et mettre la main sur des individus précis”, a-t-il ajouté à l’adresse des autorités canadiennes.

“L’annonce de Justin Trudeau a peut-être surpris de nombreux Canadiens mais pas la communauté sikhe”, a renchéri Mukhbir Singh, de l’Organisation mondiale des sikhs du Canada. “Depuis des décennies, l’Inde cible les Sikhs au Canada par l’espionnage, la désinformation et maintenant le meurtre”, a-t-il dénoncé lors d’une conférence de presse au parlement canadien.

Ottawa a déjà promis un suivi de l’enquête pour “que les responsables rendent des comptes”, a déclaré Justin Trudeau.

Selon ce dernier, le Canada s’appuie sur des “éléments crédibles”. Il a précisé lundi avoir partagé ses préoccupations avec les alliés du Canada et le gouvernement indien avant de les rendre publiques.

Ces accusations “visent à détourner l’attention des terroristes et extrémistes khalistanais, qui ont trouvé refuge au Canada et continuent de menacer la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Inde”, a dénoncé le gouvernement indien.

Selon la diplomatie indienne, M. Trudeau avait déjà porté ces accusations auprès du Premier ministre Narendra Modi à l’occasion du récent sommet du G20 à New Delhi, lesquelles avaient été “complètement rejetées”.

– “Vives inquiétudes” –

L’Inde s’est souvent plaint de l’activité de la diaspora sikhe à l’étranger, notamment au Canada, susceptible selon New Delhi de relancer le mouvement séparatiste grâce à une aide financière massive.

L’Etat indien du Pendjab, qui compte environ 58 % de Sikhs et 39 % d’Hindous, a été secoué par un violent mouvement séparatiste dans les années 1980 et au début des années 1990, qui a fait des milliers de morts. Aujourd’hui, les partisans les plus virulents du mouvement sont principalement issus de la diaspora de cette région.

Narendra Modi avait exprimé ses “vives inquiétudes quant à la poursuite des activités anti-indiennes des éléments extrémistes au Canada” lors de sa rencontre avec Justin Trudeau.

Signes de la crise qui couvait, Ottawa a suspendu récemment les négociations en vue d’un accord de libre-échange avec l’Inde et la ministre du Commerce a annulé la semaine dernière un déplacement prévu dans le pays en octobre.

Le Canada abrite la communauté sikhe la plus importante du monde en dehors de l’Inde. Lors du recensement de 2021, 770 000 Canadiens se revendiquaient du sikhisme, soit 2 % de la population du pays.

bur-tib/gl