Chantallya Louis

Selon un sondage d’Abacus Data publié le 14 septembre, 37 % des répondants âgés de 18 à 29 ans voteraient pour le Parti conservateur contre 22 % pour le Parti libéral, si des élections devaient avoir lieu.

Pour les 30-44 ans, l’écart est similaire : 40 % voteraient pour le Parti conservateur, 22 % pour les libéraux.

Le sondage démontre aussi que les électeurs, tous âges confondus, dans l’hypothèse que des élections auraient lieu aujourd’hui, 41 % des électeurs engagés voteraient pour les conservateurs, contre 26 % pour les libéraux.

Pourtant selon certains politologues, les jeunes électeurs sont traditionnellement tournés plus vers la gauche que la droite politique.

Inflation et crise du logement

Pour Frédéric Boily, professeur en sciences politiques au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, plusieurs facteurs expliquent l’érosion du vote libéral chez les jeunes, à commencer par la situation économique actuelle.

« La rareté du logement fait en sorte qu’il y a une préoccupation ici qui touche particulièrement les jeunes », observe le chercheur.

« Les jeunes sont touchés comme tout le monde, mais plus de plein fouet par la question du chômage, la question de l’inflation, la question de l’accès à un logement… Même louer un appartement ça devient difficile, ça devient très cher », renchérit Roger Ouellette, professeur en sciences politiques à l’École des hautes études publiques de l’Université de Moncton.

Le bassin d’électeurs dans la trentaine a de la difficulté à s’acheter des propriétés en raison des taux d’intérêt élevés, ajoute le politologue. 

« Les gens de ma génération, on est plus âgé, on est en fin de carrière, la maison est payée, on n’a pas de dettes, le jeune lui commence dans la vie. »

Le vote francophone

Selon Roger Ouellette, la majorité des francophones canadiens vote traditionnellement pour le parti libéral. Que ce soit au Québec ou au sein des minorités, le Parti conservateur n’arrive pas à connecter de manière significative le vote francophone.

Frédéric Boily abonde dans le même sens. « Il y a eu [dans le passé] une mobilisation francophone en milieu minoritaire très forte contre les conservateurs », constate-t-il. Le parti conservateur « était pratiquement un adversaire des communautés francophones ».

Cependant, le professeur franco-albertain n’exclut pas la possibilité qu’il y ait des francophones qui songent à changer de parti pour les mêmes raisons socioéconomiques discutées plus haut.

Le message des conservateurs

Même si les conservateurs concentrent leur message sur les enjeux du logement et de l’économie, ils évitent de parler des valeurs qui touchent principalement les jeunes, tels que le conservatisme social et religieux ou la question de l’avortement, remarque Frédéric Boily.

Bien que les jeunes canadiens gardent les mêmes valeurs qu’auparavant, comme l’environnement, « ils sont préoccupés par des questions de nature économique, plus terre-à-terre », souligne le politologue.

Pour lui, le message porté par le chef conservateur, Pierre Poilievre, peut incarner, « jusqu’à un certain point, une sorte de renouveau ou incarner la jeunesse, par rapport à Justin Trudeau qui commence à être là depuis longtemps dans le paysage politique ».

« L’usure du pouvoir »

Le Parti libéral est frappé par ce que les experts appellent « l’usure du pouvoir ». 

Roger Ouellette rappelle que le premier ministre actuel, Justin Trudeau, avait défait le gouvernement conservateur de Stephen Harper en 2015, alors qu’il entamait sa dixième année au pouvoir.

Après presque 10 ans de gouvernement libéral, « on dirait que les Canadiens ont envie de changer d’équipe ou de changer de premier ministre », lance-t-il.

Le professeur soutient par ailleurs que dans la « nature de notre système politique », quel que soit le parti au pouvoir, ce dernier sera toujours pointé du doigt lorsque les choses ne vont pas bien.

D’ailleurs, le Parti conservateur blâme dans ses communications le gouvernement de Justin Trudeau, soulèvent les politologues.

« Les conservateurs disent “bien voilà, les libéraux ont dépensé sans compter, ils ont jeté de l’argent par les fenêtres et puis la résultante de cela, ça a entrainé ou ça a alimenté l’inflation” », commente Roger Ouellette.

« À la Chambre des communes, Pierre Poilievre utilisait beaucoup l’expression “Trudeauflation” », indique-t-il.

« Les conservateurs marquent constamment que c’est là le problème principal, insiste à son tour Frédéric Boily. Le Parti conservateur répète constamment ce même message-là, et il le répète sur toutes les plateformes. »

Pour lui, le gouvernement libéral est « à court de solutions » et les jeunes électeurs, tout comme la population canadienne, s’interrogent donc sur sa capacité à gouverner.

De plus, les ministres ne sont pas sortis de leur retraite à la fin du mois d’aout « avec nécessairement des solutions », déplore-t-il.