C’est la seule manière de savoir qui doit être tenu responsable des actions des élus. L’exemple le plus récent de cette nécessité s’est présenté au début septembre alors que la Banque du Canada s’apprêtait à annoncer si elle hausserait ou non son taux directeur.
Trois Premiers ministres ont alors écrit directement au gouverneur de la banque centrale, Tiff Macklem. Doug Ford de l’Ontario, David Eby de la Colombie-Britannique et Andrew Furey de Terre-Neuve-et- Labrador ont imploré le gouverneur de cesser d’augmenter le taux directeur au nom des effets néfastes des taux d’intérêt élevés sur les familles et les entreprises.
Et, suite à l’annonce que le taux directeur ne serait pas augmenté, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a fait de la petite politique en déclarant que cette décision était un soulagement pour les Canadiens.
Tous ces élus auraient été bien avisés de se taire, car ils ont tous mis en doute l’indépendance de la Banque du Canada, une indépendance qui est fondamentale à sa crédibilité.
Il faut savoir qu’une entente révisée tous les cinq ans entre la Banque du Canada et le gouvernement fédéral encadre cette indépendance. En 2021, cette entente a été renouvelée pour la période 2022-2026; elle maintient la cible d’inflation à 2 %, le point médian d’une fourchette qui va de 1 à 3 %. Jusqu’à nouvel ordre, la Banque doit agir pour atteindre cette cible, d’où sa politique d’augmenter son taux directeur depuis l’an dernier.
En envoyant leur lettre de supplication, les Premiers ministres provinciaux savaient que la réduction du taux directeur de la Banque engendrerait une augmentation du taux d’inflation. Ils savaient aussi que c’est seulement le gouvernement fédéral qui peut modifier la politique monétaire de la Banque. S’ils veulent que le taux directeur soit réduit, ils doivent indiquer la cible d’inflation qu’ils accepteraient, sachant qu’à 4 %, l’indice des prix à la consommation doublerait à chaque 18 ans. Et qu’à 6 %, il doublerait à chaque 12 ans. Le gouvernement fédéral, et non pas les Premiers ministres provinciaux, serait alors responsable des effets néfastes d’un taux d’inflation si important.
Bref, c’est le gouvernement fédéral qui fixe le mandat de la Banque du Canada. La leçon à retenir du coup de théâtre des Premiers ministres provinciaux, c’est qu’il est essentiel, au nom d’une saine démocratie, que la population soit en mesure d’exercer un esprit critique en prenant connaissance des mécanismes qui gouvernent nos institutions. En agissant comme si la Banque du Canada était un apanage politique des gouvernements, les trois Premiers ministres ont miné leur propre crédibilité et contribué à confondre la population sur le fonctionnement d’une de nos institutions les plus importantes.