Marianne Dépelteau – Francopresse
En 2010, un rapport de l’UNESCO identifiait 86 langues autochtones au Canada, selon les données du recensement de 2001. Ces langues se trouvaient soit en situation « vulnérable », « en danger certain », « sérieusement en danger » ou en « situation critique ».
À l’époque, les langues en danger n’étaient parlées que par 10 % des locuteurs, l’autre 90 % ayant comme première langue parlée une langue autochtone viable.
Aujourd’hui, le Canada enregistre un déclin continu du nombre de locuteurs.
Selon le recensement de 2021, environ 237 420 Autochtones déclaraient « pouvoir parler une langue autochtone assez bien pour pouvoir tenir une conversation ». Une baisse de 4,3 % comparativement à 2016.
Le nombre d’Autochtones ayant déclaré une langue autochtone comme la première langue apprise à la maison durant l’enfance a baissé de 7,1 % par rapport à 2016, et une hausse de 6,7 % a été enregistrée pour les langues autochtones comme langue seconde.
Une réappropriation des langues autochtones
Selon Belinda kakiyosēw Daniels, professeure nēhiyaw en éducation autochtone à l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique, cette augmentation vient de locuteurs et d’apprenants qui se réapproprient la langue et qui la rapportent à la maison.
Elle constate un développement lent, mais certain, de programmes de langue seconde, d’immersion et de cours de langues autochtones : « Il y a un intérêt grandissant. »
« Il y a aussi la récente Loi sur les langues autochtones, ça va aider, assure-t-elle. On a aussi un commissaire aux langues autochtones et trois directeurs. Toutefois, on a besoin de politiques à travers le pays ou par province. »
Elle rappelle qu’en 2022, le mi’kmaw est officiellement devenu langue d’origine en Nouvelle-Écosse. Selon la professeure, il faut « plus d’occasions et d’expériences de ce genre dans chaque province ».
« Je ne sais pas pourquoi le gouvernement canadien pense que c’est si compliqué. Si tu vas en Europe, c’est très multilingue. Le Canada peut être de cette façon aussi. »
La Loi sur les langues autochtones a reçu la sanction royale en juin 2019 et découle d’appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.
Maintenant, « il faut de nouvelles politiques, des provinces, des conseils scolaires, des lois sur l’éducation qui aident à implanter la Loi sur les langues autochtones », détaille Belinda kakiyosēw Daniels.
La professeure indique également un besoin d’occasions et d’incitations liées à l’emploi où ces langues peuvent être employées.
Manque de formateurs
Aujourd’hui candidat aux élections provinciales manitobaines, Robert-Falcon Ouellette est professeur agrégé en éducation autochtone à l’Université d’Ottawa et membre de la nation crie Red Pheasant en Saskatchewan. Il explique que la perte d’une langue engendre une perte de fierté.
« Le monde se questionne s’ils sont de vrais autochtones : “Ça fait trois générations, nous ne vivons plus sur des réserves, je suis autochtone mais je ne participe pas, je ne suis pas pratiquant dans les cérémonies traditionnelles” […] Ils ont le sentiment de ne pas être de vrais participants dans leur propre culture. »
L’ancien député fédéral libéral est heureux de constater une initiative de conseils scolaires qui invitent des Ainés autochtones et des conseillers pédagogiques spécialisés sur les questions autochtones dans les écoles.
« [Les Ainés] vont dans des classes d’école et font des présentations, parlent avec les jeunes, organisent des activités, parfois enseignent la langue, l’histoire, les enseignements traditionnels autochtones, la connaissance traditionnelle. »
Mais il s’interroge : qui forme ces intervenants?
« Il n’y a pas d’université ou de collège qui octroie un diplôme à un Ainé pour dire qu’il est qualifié et qu’il sait de quoi il parle, rappelle le professeur. C’est la même chose avec les conseillers pédagogiques. Ils ont peut-être beaucoup lu sur les Autochtones dans des cours universitaires, peut-être qu’ils ont suivi un microprogramme. […] Ils peuvent démontrer dans les livres ce que sont les Autochtones, mais est-ce qu’ils connaissent vraiment la vie ou les vraies traditions, les anciennes traditions des peuples autochtones? »
D’après lui, dans le cadre de la réconciliation, ça peut être très encourageant pour un jeune Autochtone de constater qu’un non-Autochtone a appris « au moins quelques mots ».
« Ça devient un moment important pour le jeune de dire que sa langue est importante et que lui aussi devrait la connaitre. »
Mais la même question lui revient à l’esprit : qui sont les enseignants qualifiés?
Le pouvoir de la langue
« Si tout le monde parlait sa langue autochtone, nous aurions un sens d’identité et de connexion à la terre, et nous serions capables de nous exercer avec souveraineté », affirme Belinda kakiyosēw Daniels.
Selon elle, « ça ne serait pas l’intérêt de la Couronne britannique », qui a longtemps tenté d’assimiler les peuples autochtones.
« Il y a une raison pour laquelle nos langues ont été attaquées, pour laquelle nos enfants ont été pris, volés, kidnappés et trafiqués, explique-t-elle. Ça nous a pris un moment pour nous relever et nous réapproprier qui nous sommes, et la langue est la chose la plus importante pour la Nation. »
La chercheuse appelle le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités à davantage mettre en œuvre la Loi sur les langues autochtones afin de les revitaliser, mais doute du travail effectué actuellement.
« La question que je me pose, c’est qui s’en occupe? Qui fait le travail? Parce que de mon expérience et de ce que je vois, de l’endroit où je suis, c’est principalement les Premières Nations qui font le gros du travail quand il s’agit de revitaliser nos langues. »
Le statut des langues autochtones
Les débats entourant le projet de modernisation de la Loi sur les Langues officielles (LLO), adoptée en juin dernier, ont laissé place à une discussion sur la place des langues autochtones dans le préambule de cette loi.
La sénatrice innue-québécoise, Michèle Audette, a proposé des amendements de reconnaissance des langues autochtones dans la nouvelle Loi sur les langues officielles. Ses propositions d’amendements ont été rejetées, n’ouvrant pas la porte vers un statut plus officiel pour les langues autochtones.
« La langue est ce qui nous donne notre identité, notre culture, notre relation à un territoire, nos responsabilités, une histoire, une vie contemporaine et nos aspirations pour demain », avait déclaré la sénatrice lors de la troisième lecture du projet de loi C-13 au Sénat, le 15 juin 2023.
« Je suis convaincue que dans 10 ans, les langues autochtones seront ajoutées comme langues officielles, avait-elle dit. Le fait qu’il y ait la Loi sur les langues autochtones est encourageant, cependant les droits et pouvoirs ne seront pas égaux à ceux que possèdent les langues officielles. »
L’esprit de la langue
Pour Belinda kakiyosēw Daniels, la langue n’est pas juste un moyen de communiquer, mais aussi un moyen de comprendre le monde dont nous faisons partie.
Elle explique que plusieurs termes de langues cries font référence à des éléments de la nature, comme « miskîk » pour les yeux et kîsik pour le ciel.
La langue reflète alors le rapport à la nature : « Nous faisons partie de la nature. Les colons croient posséder la nature. »
« Apprends une langue autochtone et tu apprendras une autre vision du monde quand tu vois l’environnement. Tu comprendras que cet arbre, cette montagne, sont des esprits vivants, dit-elle. Apprendre une langue autochtone aide à découvrir cette manière de voir le monde, et d’être connecté à lui. »