Étudiante en dernière année de maîtrise à l’Université de Winnipeg et elle-même Métisse de la Rivière-Rouge, Annie Martel écrit sa thèse de maîtrise sur les connaissances des Métis, l’évaluation des risques liés au changement climatique et la planification de l’adaptation dans les communautés michif du sud-est du Manitoba.

« J’étudie les connaissances traditionnelles générales des Métis et je vois comment elles sont réutilisées pour s’adapter au changement climatique, explique l’étudiante. Et dans les entrevues que je fais, l’eau revient très souvent. C’est un élément clé. »

L’eau est en effet centrale dans la vie de nombreux Métis, et l’impact du changement climatique sur l’eau les affecte.

« Beaucoup de Métis vivent de la pêche. Ils comptent sur le poisson pour vivre. C’est le cas de ma famille. Beaucoup de ce qu’on mange vient de l’eau. »

L’eau est également utilisée pour l’agriculture et le jardinage, un autre élément clé de la tradition métisse car ceci permettait de nourrir la famille et la communauté.

En hiver aussi, les Métis continuent de vivre autour de l’eau. « On se rencontre souvent sur la rivière gelée l’hiver, raconte Annie Martel. On fait beaucoup de pêche sur glace. C’est un lieu de rassemblement important. Il y a plein de choses à faire sur l’eau, toute l’année! »

L’eau était si centrale pour les Métis que les lots de maisons dans les communautés métisses au 19e siècle étaient tous très étroits et allongés les uns à côté des autres, plutôt que carrés ou rectangulaires. Et ce, « pour que tout le monde puisse avoir un accès à l’eau, explique Annie Martel. Tous les lots touchaient la rivière ».

On y voit les lots de rivière très allongés des Métis.
Une carte des paroisses de Saint-John, Saint-James et Saint-Boniface en avril 1974. On y voit les lots de rivière très allongés des Métis. (photo : Société historique de Saint-Boniface)

Par ailleurs, l’eau était historiquement la voie de transport privilégiée, voire unique, des Métis. C’est d’ailleurs à La Fourche, lieu de rencontre des rivières Rouge et Assiniboine, que la Nation métisse a pris naissance.

Membre de la Brigade de la Rivière-Rouge et Métis, Georges Beaudry, de son nom de voyageur, Michel Baudry, raconte que « quand La Vérendrye, le premier homme blanc dans l’Ouest, est venu en 1731, il n’y avait aucun chemin ou voie ferroviaire pour se rendre ici. Seule la rivière pouvait l’apporter ».

Georges Beaudry
Georges Beaudry, alias Michel Baudry, est membre de la Brigade de la Rivière-Rouge. Avec la Brigade, mais aussi en famille, il fait beaucoup de voyages en canot et de canot-camping. (photo : Camille Harper)

L’eau était également au cœur d’une activité commerciale majeure du peuple Métis : la traite des fourrures.

« Quand les Métis se sont développés comme peuple, ils se sont fait embaucher pour transporter les fourrures en canot ou en bateau d’York car ils avaient une grande connaissance des cours d’eau et de la nature, explique Georges Beaudry. Ils étaient les experts des rivières.

« Jusqu’à l’invention de la charrette de la Rivière-Rouge, c’est aussi par radeau ou gros canot que les Métis ramenaient le résultat de leur chasse au bison dans les plaines, en descendant la rivière Assiniboine. »

Ils utilisaient aussi le canot pour chasser l’orignal. Georges Beaudry explique en effet que « le canot, c’est très silencieux. Tu peux vraiment surprendre la nature. C’est pourquoi les Métis l’utilisaient. Ils pouvaient se rapprocher de l’habitat de l’orignal sans qu’il entende ».

Désormais cependant, la chasse est interdite depuis un canot.

Un héritage qui se transmet

Aujourd’hui, beaucoup de familles métisses continuent de vivre de la pêche, été comme hiver, et beaucoup aiment se déplacer en canot pour le plaisir. Les Métis n’ont jamais cessé depuis la naissance de la Nation métisse d’aller sur les rivières et de canoter. Ce savoir-faire continue de se transmettre de génération en génération.

« Pour certains Métis, le canot reste un des modes de communication entre le Cheval Blanc (près d’Headingley), Winnipeg et Saint-Boniface, ou encore entre Sainte-Agathe et Saint-Adolphe », révèle Georges Beaudry.

Il précise que faire du canot est tout de même « bien plus simple aujourd’hui. On n’a plus besoin de savoir le construire, on peut juste l’acheter au magasin!

De plus, les canots qu’on achète sont en fibre de verre, pas en écorce comme c’était le cas à l’époque. C’est beaucoup plus sécuritaire et léger pour les portages ».

Pour sa part, Georges Beaudry a pour habitude de faire des voyages en canot en famille et avec la Brigade de la Rivière-Rouge. « À la Brigade, on a tous deux ou trois canots chez nous. Ma femme et moi, on fait du canot-camping au Nord avec nos enfants, et eux le font avec leurs enfants. Ça fait partie de notre héritage.

Beaucoup de familles font du canot-camping comme nous. C’est une expérience incroyable, mais il faut bien savoir lire une carte topographique.

« Et avec la Brigade, on fait des voyages de canot-camping avec au moins 20 personnes, poursuit-il. On aime beaucoup ça. On peut revivre notre culture, notre héritage. D’ailleurs, on a une tradition à la Brigade : comme le faisaient les voyageurs autrefois, quand on met nos canots à l’eau, on fait toujours une offrande à l’eau et à la vieille, la mère de tous les vents. « On offre du tabac ou quelque chose de symbolique et on prend un moment de silence pour remercier la nature. Historiquement, l’eau, c’est notre entrée et sortie du pays. C’est très important. »

Pour les jeunes Métis, l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba offre pour sa part un camp de canotage dans le Parc provincial Quetico en été.

Un équilibre menacé

Si les Métis ont toujours vécu avec et sur l’eau, et continuent d’y être très attachés, Annie Martel ne peut s’empêcher de déplorer l’action de l’homme Blanc qui est venue menacer l’équilibre naturel. « À cause du changement climatique, les étés sont souvent très secs et les rivières manquent d’eau. Les lacs sont aussi plus pollués, et tout ceci affecte les poissons et la pêche, observe-t-elle.

« Les Métis et autres peuples autochtones sont beaucoup plus sensibles et respectueux de toutes les parties de l’écosystème, affirme-t-elle. Ils comprennent mieux l’eau et la nature. Avec le développement industriel et urbain, les non-Autochtones ont asséché les marécages, or ceux-ci faisaient éponge lors des inondations et permettaient de filtrer les toxines. Si on avait écouté les peuples autochtones et gardé les marécages, on aurait aujourd’hui moins d’inondations, de sécheresses et de pollution. »