Un résultat sans grande surprise, puisque c’était ce que les sondages d’intention de vote laissaient entrevoir. Heather Stefanson, première femme Première ministre du Manitoba cède donc sa place à Wab Kinew, premier Premier ministre issu des Premières Nations, dans une élection où le taux de participation est d’environ 55 %, comme en 2019.

Une victoire synonyme de pari gagnant pour le Parti néo-démocrate selon Félix Mathieu, professeur adjoint en sciences politiques de l’Université de Winnipeg : « L’opération de recentrage du NPD a fonctionné. Que ce soit sa posture centriste modérée, le fait de ne pas trop mettre en avant les politiques de lutte contre le changement climatique, ou l’équilibre budgétaire.

« Non seulement il n’a pas perdu sa base partisane, qui est davantage à la gauche de l’échiquier politique, mais il a aussi réussi à réconcilier cette base partisane avec une population plus large. » L’expert estime également que l’appui de Gary Doer, ancien Premier ministre néo-démocrate du Manitoba, a pesé dans la balance.

Historique au Canada

À 41 ans, « Wab Kinew est le premier à être issu des peuples autochtones depuis le Métis John Norquay en 1878. Mais que cela arrive dans le sillage des discours autour de la Vérité et la Réconciliation, c’est une véritable première », affirme Félix Mathieu. Il a remporté sa circonscription de Fort-Rouge avec 70 % des voix.

Dans son discours de victoire, Wab Kinew n’a d’ailleurs pas manqué de faire remarquer que « le Manitoba a fait quelque chose de plus progressiste que n’importe quelle autre province, ce soir » : élire un chef autochtone.

Avec 34 sièges, le NPD pourra désormais former un gouvernement majoritaire avec à sa tête Wab Kinew, qui a misé sur une campagne axée sur l’amélioration du système de santé.

D’ailleurs, lors de son premier discours en tant que Premier ministre à la fin de cette campagne électorale, Wab Kinew a réitéré son engagement envers la santé : « À tous ceux qui travaillent dans le secteur de la santé et ceux qui pensent y faire carrière, j’ai un message simple pour vous : Nous avons besoin de vous. »

Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé sa promesse de campagne de construire trois nouvelles salles d’urgence et un nouveau centre pour ActionCancerManitoba (CancerCare).

« Heather Stefanson a beaucoup été absente de la campagne. De plus, sa popularité était à la baisse, non seulement au niveau provincial, mais aussi au niveau de sa circonscription »

Michel Durand-Wood

Plusieurs têtes tombent au Parti conservateur

Heather Stefanson et le Parti progressiste-conservateur ont obtenu pour leur part 22 sièges sur les 57, soit 13 de moins qu’au moment de la dissolution de l’Assemblée. Parmi les sièges perdus ce soir, on note plusieurs ministres : Rochelle Squires, Jon Reyes, Kevin Klein, Audrey Gordon, Scott Johnston, Janice Morley-Lecomte et James Teitsma.

Pour autant, cette élection n’est pas une défaite cuisante pour le PC. « Ce sont les ministres urbains qui ont perdu leur siège, pas les ministres au rural, explique le commentateur politique, Michel Durand-Wood. C’est surtout le signe que les électeurs qui ne voulaient pas de gouvernement conservateur se sont ralliés au NPD plutôt que de s’éparpiller. Dans l’absolu, les votes n’étaient pas si différents d’avant. On n’a pas vu un désaveu total des Conservateurs. »

En effet, le vote populaire du Parti conservateur n’est descendu que d’environ 3 points de pourcentage par rapport à 2019, ce qui lui a quand même fait perdre 13 sièges.

Michel Lagacé, éditorialiste de La Liberté et commentateur politique, renchérit : « À Winnipeg, il y a un nombre d’électeurs qui ne votent pas toujours de la même façon, et ce sont eux qui font la différence, eux qui font le revirement d’une élection à l’autre. »

Un discours de défaite au ton humain

Lors de son discours de défaite, Heather Stefanson a dignement félicité Wab Kinew pour sa victoire et annoncé sa démission de la chefferie du Parti progressiste-conservateur.

Selon Michel Durand-Wood, son discours de défaite montrait « le côté humain et conciliateur de Heather Stefanson », par opposition à sa campagne « agressive ». Michel Lagacé confirme : « Elle a fait un discours de défaite très gracieux. Elle aurait eu avantage à se montrer comme ça dès le début de la campagne. »

Par ailleurs, bien que Heather Stefanson ait remporté sa circonscription de Tuxedo avec 40 % des votes, les résultats ont été très serrés. La candidate conservatrice n’a remporté que 291 voix de plus que son opposante néo-démocrate, Larissa Ashdown, sur un total de 16 358 voix. « Heather Stefanson a beaucoup été absente de la campagne. De plus, sa popularité était à la baisse, non seulement au niveau provincial, mais aussi au niveau de sa circonscription », explique Michel Durand-Wood.

« À Winnipeg, il y a un nombre d’électeurs qui ne votent pas toujours de la même façon, et ce sont eux qui font la différence, eux qui font le revirement d’une élection à l’autre. »

Michel Lagacé

Le chef du Parti libéral démissionne

Côté libéral, un seul siège a été remporté, celui de Cindy Lamoureux, avec 55 % des voix, dans la circonscription de Tyndall Park. Le chef du Parti libéral Dougald Lamont a non seulement concédé la victoire au candidat du NPD Robert Loiselle dans sa circonscription de Saint-Boniface avec 52 % des voix, mais il a aussi annoncé sa démission comme chef du Parti.

« Je savais que ça allait mal. On me disait souvent : La dernière fois j’ai voté pour toi mais cette fois, je vais voter NPD. Je savais qu’on perdait un peu de notre soutien. C’était très difficile. Je comprends aussi que ce n’est rien de personnel, c’est simplement de la politique. »

Michel Lagacé n’est pas surpris de sa décision : « Dougald Lamont est un soldat très loyal et intègre qui est arrivé à un moment où la vague néo-démocrate était irrésistible. Les gens avaient décidé qu’il fallait se débarrasser du gouvernement conservateur. Il est une victime collatérale de cette décision.

« Je ne suis pas surpris qu’il démissionne de la chefferie du Parti libéral. Après avoir été un chef élu, c’était impossible pour lui de devenir un chef en coulisses. Il a donné tout ce qu’il avait et il a reconnu que les électeurs de Saint-Boniface avaient d’autres priorités. »

Quel avenir pour le Parti?

Quant à l’avenir du Parti libéral, Dougald Lamont admet : « Je n’en ai aucune idée, nous verrons. Je pense que Cindy Lamoureux sera élue cheffe, mais je ne sais pas. Nous sommes toujours en train de construire et de déconstruire. »

Dougald Lamont était député de Saint-Boniface depuis l’élection partielle de 2018 et chef du Parti libéral depuis 2017. Un autre député libéral de longue date, Jon Gerrard, à River Heights, a concédé la victoire à Mike Moroz, candidat néo-démocrate. Il était député de sa circonscription depuis 1999.

Pour Michel Lagacé, « Dougald Lamont et Jon Gerrard ont montré qu’il était possible d’être honorables en politique, à une époque où règne le cynisme ».

Interrogé sur ses plus grandes fiertés durant son mandat de cinq ans, Dougald Lamont n’a pas hésité : « Lorsque nous avons aidé à nourrir 75 Premières Nations et à passer une loi contre le vol des métaux ici à Saint-Boniface. »

Le Parti vert, quant à lui, a subi une défaite écrasante avec un taux de suffrages inférieur à 1 %. En comparaison, en 2019, ils avaient obtenu plus de 6 % des votes. Selon Michel Lagacé, « le Parti vert est lui aussi une victime collatérale du vote stratégique des Manitobains lors de cette élection ».