Après sept ans de gouvernement progressiste-conservateur, des Manitobains et Manitobaines souhaitaient un changement qui s’est concrétisé lors des élections provinciales du 3 octobre. C’est désormais un gouvernement majoritaire néo-démocrate qui occupera l’Assemblée législative.

Parmi les 34 sièges remportés par le Nouveau Parti démocratique se trouve la circonscription de Saint-Boniface, qui après cinq ans sous la bannière libérale, retombe dans les mains des néo-démocrates.

Comment vous sentez-vous après cette soirée électorale?

La première chose que je veux dire, c’est que je suis extrêmement reconnaissant de tous ceux et celles qui ont embarqué avec moi sur cette aventure. Parce que des fois, quand une personne prend une décision, ça fait un peu comme un coup de tonnerre. C’est le bon moment, c’est la bonne idée.

Maintenant, on a gagné. Et c’est une victoire non seulement pour Saint-Boniface, mais c’est une victoire pour le Manitoba. Je suis tellement fier d’être élu à Saint-Boniface, au sein d’un parti divers, inclusif, capable, avec un nouveau Premier ministre anishinabee. C’est aussi un très bel acte de réconciliation.

Est-ce que vous envisagez déjà un poste ministériel?

Ça fait 48 heures que j’ai été élu [NDLR : l’entrevue avec Robert Loiselle a été réalisée le jeudi 5 octobre]. Une chose est sûre : je vais faire exactement ce que notre nouveau Premier ministre me demande de faire quand viendra le temps de le faire. J’ai entièrement confiance en lui. Je le connais bien, il me connaît bien et je sais qu’il a entière confiance en moi également.

Il a d’ailleurs montré à plusieurs reprises son intérêt pour la francophonie…

Exact. Lors de ma cérémonie de nomination, Wab avait fait une promesse. Il a dit : La prochaine fois que je reviens à Saint-Boniface pour faire une annonce au sujet de la francophonie, l’affichage va être en français. Et il l’a fait durant la campagne. Ce sont ces actes, ces gestes et ces paroles-là qui nous disent jusqu’à quel point Wab est quelqu’un d’intègre, que c’est un bon leader. Il reconnaît non seulement que Saint-Boniface est le cœur de la francophonie où se trouvent nos institutions comme notre journal, notre université, notre organisme porte-parole, etc, mais il montre qu’il a Saint-Boniface à cœur aussi, et il sait que j’ai Saint-Boniface à cœur également. Mon intention a toujours été de prendre soin de ma communauté.

Justement, vous devez déjà avoir des dossiers en tête que vous voulez voir avancer…

Il y a évidemment le grand dossier qui nous a suivi durant toute cette campagne : celui de la santé. On est passé à travers une pandémie qui nous a fait mal. Il y a eu beaucoup de coupures sous le gouvernement progressiste-conservateur bien avant la pandémie, qui ont conduit à notre système actuel qui est effrayant.

On va donc investir dans l’Hôpital Saint-Boniface, dans le centre cardiaque, pour en refaire un centre d’excellence.

C’est très personnel pour moi, mon frère Richard, mon père Lucien et ma mère Lucienne sont passés par ce centre. Mais avant de bâtir des nouvelles salles d’urgence, on va d’abord aller chercher les ressources humaines. Il faut des humains avant de penser à des bâtiments et des processus.

Comment attirer justement ces ressources humaines?

Notre plan est d’investir pour former 300 nouveaux infirmiers et nouvelles infirmières. On va recruter au Manitoba. Notre population est jeune, il y a un bassin de population à aller chercher. On va aussi travailler avec l’Université de Saint-Boniface pour former des professionnel.le.s de la santé bilingues.

Vous avez été enseignant, j’imagine que l’éducation est aussi sur votre agenda?

Évidemment. Depuis plus de six ans, il y a eu des coupures en éducation, le projet de loi 64. Toutes ces décisions n’ont servi qu’à diviser les Manitobain.e.s.

Lors du projet de loi 64, c’était la Division scolaire franco-manitobaine d’un côté, protégée par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, et de l’autre côté, les autres divisions scolaires. Mais pour une société en santé, il faut un système de santé fort et un système d’éducation aussi fort.

Adrien Sala [NDLR : le député néo-démocrate réélu de St.James] et moi-même avons déjà rencontré la DSFM avec Alain Laberge et Bernard Lesage, nous avons pu discuter de certains dossiers et il est certain que nous voulons les appuyer de façon inébranlable.

On est là pour la francophonie manitobaine. On le sait qu’on a besoin de nouvelles écoles, ça fait sept ans de luttes pour de nouvelles écoles. Maintenant, c’est le temps de bâtir.

Je questionne cependant une chose, qui a déjà été soulevée par les Néo-Démocrates : un gouvernement NPD ne sera jamais d’accord avec des écoles 3P, c’est-à-dire des ententes entre le public et le privé pour la construction des écoles. Nos écoles doivent rester les nôtres, surtout en tant que communauté de langue officielle en situation minoritaire.

Pendant la campagne électorale, et même en dehors de notre province, il y a eu l’émergence d’un mouvement contre l’éducation sexuelle à l’école, et tout simplement contre l’identité de genre. Comment un gouvernement NPD souhaiterait rassembler les parents sur cette question?

Les Conservateurs ont tout fait pour diviser cette province. Le NPD a toujours dit que nous étions un parti d’inclusion et de diversité. Nous voulons garder nos jeunes en sécurité.

Chaque personne, chaque enfant, chaque être humain doit savoir d’où il vient, qui il est et où il s’en va. Et puis, ce cheminement-là, souvent, est très personnel.

Dans ce cheminement, la personne doit avoir des milieux sécuritaires pour pouvoir se découvrir. Nous voulons que l’école reste l’un de ces milieux. C’est non négociable. Dans nos écoles, il y a des conseillers, des conseillères, des travailleurs sociaux qui sont parfaitement capables d’appuyer les enfants. Parfois, c’est plus facile de parler à une de ces personnes plutôt qu’à un parent. Ça n’enlève rien aux droits des parents dans les écoles publiques qui sont inscrits dans la Loi sur les écoles publiques. Mais il faut s’assurer qu’il existe des milieux sécuritaires pour nos enfants.

Qu’en est-il de la question de l’immigration francophone?

Depuis plusieurs années, on parle d’une cible de 7 % qui n’a jamais été atteinte. Nous, ce qu’on dit, c’est que cette cible devrait être de 15 %. C’est une cible discutée avec la Société de la francophonie manitobaine, que l’on a déjà rencontrée. Nous reconnaissons que nous avons besoin de monde dans notre société manitobaine, autant dans les hôpitaux que dans les écoles.

C’est ambitieux comme cible, encore faut-il avoir des infrastructures pour les accueillir…

C’est certain que nous allons devoir regarder aux barrières qui existent quand un nouvel arrivant francophone arrive au Manitoba. Je pense au logement, au coût de la vie, à l’employabilité, à l’éducation, à la formation continue. Il faut embarquer ensemble et construire ensemble.

Nous allons aussi questionner le système qui est en place quant aux équivalences de diplôme. Des personnes viennent et ne peuvent pas exercer leur métier à cause de certaines barrières. Il va falloir qu’on s’aligne de façon plus stratégique avec les différents ordres professionnels.

Même s’il n’a jamais joué de son identité, avoir un Premier ministre anishinabee va certainement accélérer la question de la réconciliation, et notamment la question des fouilles dans le dépotoir de Prairie Green. D’ailleurs le gouvernement fédéral s’est dit prêt à financer une étude approfondie sur ces recherches…

Au Manitoba, les Autochtones représentent près de 20 % de la population et cette population continue de grandir. Il y a une réconciliation à plusieurs niveaux à faire : économique, culturelle, sociale, etc. Je sais que pendant la campagne électorale, beaucoup de personnes autochtones ont posé la question de savoir pourquoi on ne parlait pas davantage de la situation des Autochtones actuellement. Mais je tiens à dire qu’on attendait juste le moment d’être au pouvoir pour agir.

Pour revenir à la question des fouilles dans Prairie Green, c’est une question de dignité, c’est une question de respect. J’ai perdu ma mère en février, je sais exactement où est enterrée ma mère. Nous devons le même respect et la même dignité à ces personnes qui ont perdu des sœurs et des mères.

Nous voulons favoriser une approche qui ne va pas retraumatiser les familles. On veut reconnaître ce deuil, qu’il y a un grand mal qui a été fait ici, qui s’est propagé et continue de se propager dans la société canadienne, et qui doit s’arrêter. Nous devons tous nous reconnaître comme humains. Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de respect, point final.

Avez-vous une idée du temps que cela prendra pour mettre ces recherches en route?

C’est encore trop tôt pour parler d’un échéancier. Nous allons rencontrer les familles et avancer ensuite.

Parlons culture. La langue est moteur de culture, surtout dans la francophonie. Plusieurs institutions dont le Centre culturel franco-manitobain ont connu des temps difficiles durant le gouvernement progressiste-conservateur, avec un financement qui n’a pas augmenté depuis plusieurs années, qu’est-ce qu’un gouvernement NPD pourrait offrir à cette Société de la Couronne?

J’ai déjà pu discuter avec Ginette Lavack, la directrice du CCFM, qui m’expliquait que le toit de la bâtisse coulait. Elle m’expliquait aussi que le CCFM est sur une liste d’attente qui peut aller d’un à deux ans pour faire réparer le toit. Sauf que le toit coule maintenant.

Le gouvernement NPD s’engage à trois choses : s’assurer que le CCFM reçoive assez d’argent pour maintenir l’édifice, étudier les besoins en termes de programmation, et enfin construire l’atrium de la francophonie.

Vous avez déjà de quoi vous occuper les prochains mois, sans aucun doute…

Il y a tellement de choses à faire! Ça fait sept ans que la francophonie est négligée. Sous-financée, sabotée, mise de côté, mal comprise, comprise comme une plaie alors qu’on devrait embrasser cette diversité.

Il y a toute une stratégie sur le tourisme francophone au niveau provincial qui a été développée. Il faut reconnaître que la francophonie, c’est un engin économique, touristique, c’est une force culturelle. Des gens viennent de partout parce qu’on existe. Alors je vais appuyer la francophonie sans aucun doute.

Les francophones se sont battus pendant des années, c’est le temps de bâtir tous ensemble. C’est le temps d’embarquer et de rêver grand.

Aujourd’hui, il y a un conseiller à la Ville de Winnipeg, Matt Allard, qui veut avancer sur les services en français à la Ville; il y a un ministre fédéral, Dan Vandal, qui comprend la situation de la langue française au pays. Et maintenant, au niveau provincial, il y a quelqu’un qui veut faire mieux pour sa communauté.

J’ai hâte de travailler avec les autres paliers de gouvernement, parce que j’ai envie d’être rassembleur et d’être cet intermédiaire entre Fédéral et Municipal.

À quoi s’attendre pour le cabinet de Wab Kinew?

Dans les prochaines semaines, Wab Kinew, élu Premier ministre du Manitoba, formera son prochain cabinet ministériel. Sur les 34 sièges détenus par les Néo-Démocrates, 17 personnes font leur entrée à l’Assemblée législative (1).

Ce sont donc beaucoup de débutants en politique qui seront au service des Manitobains et Manitobaines. Mais parmi les Néo-Démocrates, il y a tout de même quelques figures de proue, comme l’explique Félix Mathieu, professeur adjoint de science politique à l’Université de Winnipeg. « Il y a des profils qui sortent du lot, comme Nahanni Fontaine, députée pour St. Johns. C’est quelqu’un qui pourrait tout à fait obtenir un ministère. Ou encore Uzoma Asagwara, membre de l’Assemblée législative pour Union Station, qui a été critique en matière de santé. Ce sont des personnes qui ont souvent été en avant dans les débats. C’est tout de même difficile de savoir, puisque ce sont des personnes qui n’ont pas d’expérience dans un gouvernement majoritaire.

« Mais je pense à des personnes nouvellement élues qui pourraient obtenir des postes d’importance sans aller jusqu’à un portefeuille ministériel. »

Si aucune règle explicite n’impose de nombre de personnes pour un cabinet ministériel, Wab Kinew a déjà promis un cabinet plus petit que celui de sa prédécesseure, qui comptait 19 personnes. Félix Mathieu précise qu’« il y a une portée symbolique lorsqu’on constitue un cabinet ministériel. Je pense que monsieur Wab Kinew va chercher à atteindre la parité. Dans son discours, il a voulu montrer que son parti était le plus progressiste. Il va devoir le prouver ».

(1) Au moment de passer sous presse, les résultats de l’élection n’étaient toujours pas officiels.