Une nouvelle percée dans la lutte contre le Sida, qui marque aussi un grand pas vers des recherches plus inclusives.
La lutte contre le Virus de l’immunodéficience humaine (VIH), responsable de la maladie du Sida, vient de faire un nouveau bond important.
Plus tôt cette année 2023, au mois de février, un troisième cas de guérison du VIH avait été recensé. Le « patient de Düsseldorf », des suites d’une greffe de cellules souches, s’était totalement débarrassé du virus.
Recherche scientifique
Dans notre édition du 12 au 18 avril 2023, la virologue et immunologue, Dre Julie Lajoie, expliquait les conditions nécessaires à ces cas de guérison.
Pour rappel, à la surface des cellules immunitaires, se trouve le récepteur CCR5. Celui-ci permet au VIH de se fixer et d’entrer dans les cellules. Dre Julie Lajoie faisait mention d’une mutation génétique rare, qui ne concerne que 1 % de la population caucasienne qui n’exprime pas ce récepteur CCR5.
En cela, les cas de guérison restent exceptionnels, mais l’existence de ce genre de mutation est intéressante pour la recherche scientifique.
Et justement, dans le courant de l’été 2023, une équipe internationale, composée de chercheurs associés au Laboratoire national de microbiologie du Canada, à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, et à l’Imperial College London ont fait, dans le cadre de la lutte contre le Sida, « la première découverte génomique importante en plus de 20 ans ».
Le Dr Guillaume Poliquin est vice-président du Laboratoire national de microbiologie (LNM) à Winnipeg, et il supervise les recherches qui s’y déroulent. Il explique ce que l’on sait à l’heure actuelle du gène concerné. « Le gène CHD1L fait partie du mécanisme de réparation du code génétique des cellules. Il est aussi impliqué dans la transcription des gènes qui permettent la division cellulaire. »
Il se dit « extrêmement fier », de cette découverte, et ce, pour plusieurs raisons.
L’ascendance africaine au coeur de la recherche
La première, c’est qu’il s’agit du premier variant génétique identifié chez des personnes d’ascendance africaine.
« Dans les avancées médicales, souligne le vice-président du Laboratoire national, on a souvent tendance à privilégier l’ascendance européenne plus que les autres. Ce travail-là représente un vrai changement de direction pour être plus inclusif dans la recherche. »
Au total, ce sont près de 4 000 individus d’ascendance africaine qui ont été analysés. « En matière d’étude géno-mique, c’est un chiffre assez impressionnant, mais ce n’est pas encore assez pour se faire une idée de la fréquence de cette mutation. »
Alors que c’est sur le continent africain que le VIH a commencé à se propager dans le courant des années 1920, l’on pourrait penser que les personnes d’ascendance africaine, ayant été exposées au virus pendant plus longtemps, ont développé cette mutation pour s’en prémunir. Mais pour le Dr Guillaume Poliquin, « le VIH ne circule pas depuis assez longtemps pour provoquer une pression évolutive. C’est probablement relié à quelque chose d’autre ».
Enfin, alors que le VIH utilise la machinerie cellulaire, dont le gène CHD1L fait partie, pour se reproduire, il semblerait que ce dernier ait une influence sur le virus.
« La plupart des variants génétiques que l’on découvre sont silencieux, cela veut dire qu’ils n’ont pas d’effets visibles sur la fonction d’un gène. Mais il arrive parfois qu’ils opèrent un changement fonctionnel dans le gène. Ici, le variant a un effet mesurable sur la charge virale du VIH. »
Limiter la charge virale
La charge virale, comme le précise le docteur, joue un rôle clé dans le développement du VIH vers la maladie du Sida, mais aussi dans sa propagation. Le variant découvert va limiter cette charge virale et la maintenir à un niveau relativement bas : « Les personnes porteuses de cette mutation ont un profil qui se rapproche un peu des personnes qui suivent un traitement pour le VIH. »
En effet, si le VIH reste l’un des virus les plus meurtriers de notre histoire, sans pouvoir vraiment en guérir, il est parfaitement possible de vivre avec.
Pareille découverte permet-tra d’ailleurs de continuer à améliorer les traitements existants, ou bien d’en créer de nouveaux, plus efficaces encore. « En premier lieu, lance le Dr Guillaume Poliquin, nous allons approfondir la recherche et tenter de comprendre comment le gène interagit avec le VIH. Si un autre aspect de la machinerie cellulaire est nécessaire pour avoir cet effet de contrôle sur la charge virale. Il nous faut aussi comprendre quelle est la distribution de ce type de variation au sein de la population. »
La prochaine étape consiste dorénavant en la création de modèles cellulaires incluant le CHD1L pour en observer les effets sur le VIH, mais aussi, pourquoi pas, sur d’autres virus. En tout cas, une chose est sûre : « Il va falloir faire des études plus approfondies pour voir ce que l’on peut en apprendre dans notre lutte contre le VIH. »