Les deux pays sont en effet beaucoup trop différents, et leurs intentions aussi. 

Depuis 2008, l’IEP calcule les indices de paix négative, par l’indice de paix globale (Global Peace Index, GPI), et de paix positive de nombreux pays du monde. « On a aujourd’hui les données de 163 pays, qui représentent 99,7 % de la population mondiale », signale Serge Stroobants, directeur de l’IEP pour les régions Europe et Moyen-Orient/Afrique du Nord et directeur global pour la Défense, la sécurité et le renseignement. 

Il précise les notions de paix positive et paix négative : « La paix négative, c’est l’absence de violence ou la peur de la violence. On regarde l’implication du pays dans un conflit interne ou externe, le niveau de sécurité interne, et le niveau de militarisation. 

« Pour l’indice de paix positive, on regarde les mesures concrètes prises par un pays pour développer une société pacifique, son investissement dans un futur plus pacifique : les institutions mises en place, les structures, les attitudes, etc. 

« On a analysé 80 000 indicateurs et on a identifié ceux qui avaient un niveau de corrélation plus élevé avec une création systémique de la paix au niveau des sociétés. On parle ici de bon niveau de gouvernance, de libre circulation de l’information, de respect du droit d’autrui, de bonnes relations avec ses voisins, ou encore d’absence de corruption. » 

Les deux Corées dans le GPI 

En 2023, la Corée du Nord est au 149e rang sur 163 dans le classement du GPI de l’IEP, alors que la Corée du Sud est au 43e rang. 

« On voit vraiment une grande différence entre le Nord et le Sud, et quand on regarde à l’index de 2022, on voit que la Corée du Nord a diminué de quatre positions en un an », indique Serge Stroobants. 

Il précise toutefois qu’« il y a 15 ans, au premier classement de l’IEP, la Corée du Nord était au même rang qu’aujourd’hui. Donc ça fluctue, mais ça reste stable sur le long terme ». 

Quelle conclusion en tire-t-il? « Il n’y a pas eu de volonté claire de la part de la Corée du Nord d’investir dans la paix, ce qui est tout à fait en ligne avec la politique interne et externe du pays. Plus précisément, on voit que les indicateurs de participation à un conflit interne ou externe et d’insécurité interne ont empiré. Par contre, il y a une petite amélioration du niveau de militarisation. La Corée du Nord investit moins dans le militaire qu’il y a 15 ans. » 

Quant à la Corée du Sud, elle est toujours restée stable dans le classement, au 43e rang depuis 2008. 

Une excellente nouvelle selon le spécialiste. « Si on pense à la région dans laquelle la Corée du Sud se situe et aux tensions qui ont émergé dans les 15 dernières années, à son voisin du nord, et à la taille de l’industrie de défense sud-coréenne, qui est très développée par nécessité, c’est vraiment un succès que le pays ait réussi à maintenir son rang dans le GPI. 

« Quand on a la malchance d’être localisé dans une région du globe avec des tensions permanentes et un risque constant de conflit, pour tenir son rang, il faut vraiment prendre des initiatives de paix positive pour pouvoir compenser. » 

« Je pense qu’il y a une vraie volonté au Sud d’arrêter ce conflit, de trouver une solution plus pacifique. Ce n’est pas du tout la volonté du Nord, pour des raisons de politique extérieure, mais surtout intérieure. Et tant qu’il n’y aura pas de changement de régime en Corée du Nord, de changement d’attitude, le Nord ne cherchera pas la paix avec le Sud. » 

Serge STROOBANTS 

Une paix presque impossible 

Au niveau des indicateurs, la Corée du Sud est au rouge pour sa relation avec ses voisins, ainsi que pour son investissement militaire en pourcentage du PNB et son exportation d’armes. Des données qui n’annoncent généralement pas une paix. 

« L’investissement dans la défense était presque obligé dans les circonstances régionales, pour dissuader le voisin d’attaquer, estime Serge Stroobants. La Corée du Sud devait développer sa propre industrie de défense. » Aujourd’hui, le pays exporte aussi beaucoup d’armes. 

En revanche, l’indicateur d’implication dans des conflits externes s’est amélioré. « Ça veut dire que même si le voisin a un effet hyper négatif, il y a quand même eu du côté de la Corée du Sud des initiatives de paix pour essayer de déminer – au sens propre et figuré – la situation et trouver des ouvertures », commente Serge Stroobants. 

L’absence d’une possible résolution de conflit se confirme au nord, où les indicateurs de relation avec le voisin et de militarisation sont également au rouge. Mais contrairement au Sud, « la Corée du Nord fait beaucoup moins d’exportation d’armes. Il s’agit donc surtout d’une militarisation à l’interne. Le Nord dépense beaucoup pour s’armer lui-même ». 

Quant à la sécurité interne, la Corée du Sud s’affiche très stable, mais ce n’est pas le cas du Nord. « Les problèmes de sécurité interne déstabilisent clairement la Corée du Nord depuis 15 ans, analyse Serge Stroobants. L’échelle de terreur politique est à un haut niveau, l’instabilité politique, le niveau d’incarcération, la perception de la criminalité et le nombre d’homicides aussi. Il n’y a de paix ni à l’extérieur, ni à l’intérieur du pays. On ne retrouve pas ça au sud. » 

Ajoutons qu’au niveau même de l’approche de la situation actuelle, les deux pays sont à l’opposé. « Je pense qu’il y a une vraie volonté au Sud d’arrêter ce conflit, de trouver une solution plus pacifique. Ce n’est pas du tout la volonté du Nord, pour des raisons de politique extérieure, mais surtout intérieure. Et tant qu’il n’y aura pas de changement de régime en Corée du Nord, de changement d’attitude, le Nord ne cherchera pas la paix avec le Sud. » 

L’IEP s’est en effet rendu compte au fil des années que les niveaux de paix dépendaient en partie des régimes en place. « Plus le régime est autoritaire, plus le niveau de paix diminue. À l’inverse, une démocratie libérale, bien qu’elle ne soit pas parfaite, reste encore la meilleure garantie pour des sociétés pacifiques », révèle Serge Stroobants. 

Les Corées du Nord et du Sud sont donc diamétralement opposées, ce qui rend quasi-impossible la paix entre les deux pays. En résumé, « l’une est une démocratie, l’autre, une autocratie; l’une a une circulation libre d’information, et d’information correcte, l’autre n’a pas de flux d’information du tout; l’une respecte les droits des autres, l’autre non; dans l’une il n’y a pas de corruption, dans l’autre, beaucoup; l’une a des intentions positives envers son voisin, l’autre, des intentions négatives. 

« En plus, il y a toute la question des tensions régionales et mondiales qui entre en jeu. La péninsule coréenne n’a jamais été un conflit juste local, ça a toujours été un théâtre de l’affrontement entre le monde occidental mené par les États- Unis, qui soutient la Corée du Sud, et le monde communiste mené par la Chine et la Russie, qui soutient la Corée du Nord. Une résolution du conflit juste entre les deux Corées ne sera donc jamais possible, ce conflit est bien plus grand qu’elles. » 

En Corée du Sud, près de la zone de démilitarisation, une gare flambant neuve est prête pour l’envoi de trains vers la
capitale de la Corée du Nord, Pyongyang.
En Corée du Sud, près de la zone de démilitarisation, une gare flambant neuve est prête pour l’envoi de trains vers la capitale de la Corée du Nord, Pyongyang. (photo : Gracieuseté Serge Stroobants)

Le Sud garde espoir 

Malgré tout, la Corée du Sud a déjà lancé plusieurs initiatives de paix vers son voisin du nord. Serge Stroobants, qui a visité le pays, en témoigne : 

« On voit que tout est en place pour reconnecter les deux pays. Il y a même une gare de train hyper moderne qui a été construite, avec une ligne Séoul – Pyongyang prête à être lancée dès que le feu sera vert. Et ça, c’était il y a déjà quatre ou cinq ans. » 

La Corée du Sud a également pris l’initiative de créer un centre industriel juste à l’intérieur de la Corée du Nord, dans la zone de démilitarisation. « Ainsi, les Nord-Coréens pouvaient travailler dans une industrie sud-coréenne, mais en Corée du Nord. C’était une collaboration socio-économique pour essayer de créer un rapprochement. Mais l’initiative s’est arrêtée il y a cinq ou six ans suite à un incident. 

« Il y a vraiment de la part de la Corée du Sud une volonté de collaborer, d’investir pour la paix. Malheureusement, à la moindre tension, tout s’arrête. » 

D’ailleurs, la société sud-coréenne est elle aussi prête pour la réunification. « On le ressent vraiment en Corée du Sud, rapporte Serge Stroobants. Le message, c’est : Il faut arrêter ça, on est tous Coréens. Il faut que nos familles puissent revivre ensemble et que les gens du Nord puissent profiter aussi du développement économique qu’on a connu au Sud dans les derniers 70 ans. Il n’y a pas deux Corées, mais une Corée divisée artificiellement en deux. On a les mêmes familles, les mêmes traditions ancestrales, la même langue. »