Chantallya Louis

Francopresse : Quelques semaines avant l’annonce des cibles en immigration, vous disiez ne pas être confiant de pouvoir atteindre 6 % en 2024, qu’est-ce qui a changé?

J’ai plus confiance aujourd’hui que j’avais il y a [quelques] semaines, parce que j’ai pu parler avec mon ministère davantage sur les différentes pistes où on pourrait aller chercher dans les bassins de francophones hors du Québec, afin de s’assurer qu’on travaille davantage pour solliciter ces gens, de les attirer au Canada et remplir nos cibles.

Ce que j’ai dit très clairement aussi, c’est que j’aime mieux rater la cible avec les mécanismes en place pour une certaine pérennité [francophone] que d’atteindre la cible avec peine et misère, comme quand on a atteint le 4 % et quelques miettes, parce que ce n’est pas quelque chose qui peut durer de cette façon.

Ce sont des cibles qu’on n’avait jamais, jamais, mais jamais atteint auparavant, alors c’est nouveau et avec tout ce qu’il y a de nouveau, je pense qu’il faut être aux aguets et s’assurer qu’il y a quelqu’un qui fait du monitoring [gestion], qu’on soit sur la bonne voie et ne pas attendre à la toute fin, quitte à présenter des excuses pour des cibles qui sont ratées.

C’est un objectif personnel de ma part, professionnel aussi. Je veux m’assurer qu’on va pouvoir atteindre ces cibles puis même les dépasser.

J’ai aussi dit lors d’une entrevue que dans un an, je serais même prêt à réviser les cibles plus agressivement si jamais j’avais l’assurance qu’on pouvait le faire.

Cela a pris au gouvernement fédéral près de 20 ans pour atteindre la cible d’immigration francophone de 4,4 %. Maintenant, vous visez 6 % en 2024, 7 % en 2025 et 8 % en 2026, comment en êtes-vous arrivé à ces chiffres?

Premièrement, on a consulté une panoplie d’organisations dans le contexte des cibles pour les francophones hors Québec.

Deuxièmement, on a regardé nos ressources à l’interne pour voir comment on avait atteint le 4,4 %, si c’était un modèle qui pouvait se reproduire du jour au lendemain, et voir comment durant l’année à suivre on pourrait mettre en place des mécanismes pour faciliter l’augmentation et respecter la nouvelle Loi sur les langues officielles.

[Je veux aussi] respecter le désir de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) et des autres institutions francophones d’avoir l’immigration comme canal très important pour travailler et revitaliser les communautés francophones hors Québec.

Ce que j’ai demandé à la fonction publique, c’est de dépasser leur façon de penser et d’aller piger dans l’inventaire des gens qui sont francophones et voir comment on pourrait de façon réaliste augmenter les cibles d’année en année.

Il y a eu beaucoup de discussions, évidemment avec des gens qui sont passionnés par la langue française, dans mon ministère et ailleurs, pour voir comment on pourrait faire ça, mais de façon réaliste.

J’ai trop de respect pour la FCFA pour l’induire en erreur.

Mon équipe a donné le coup de barre à mon ministère pour demander de faire un effort supplémentaire, mais surtout de le faire de la bonne façon. C’est-à-dire d’avoir les mécanismes en place pour, un, pouvoir assurer la pérennité de cet « inventaire », mais aussi d’avoir des pistes de solutions, ce qu’on ne faisait pas auparavant, pour devenir des résidents au Canada.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises mettre en place « des mécanismes » pour atteindre votre objectif. Quels sont-ils et quand seront-ils effectifs?

Des mécanismes pour s’assurer qu’on ait la cible ne sont pas encore en place. Je ne peux pas vous donner de date fixe pour le moment.

Il va falloir faire plusieurs nouvelles politiques publiques pour s’assurer qu’il y ait, par exemple, un chemin plus ambitieux pour les étudiants qui parlent français vers la résidence permanente; qu’on aille puiser dans des bassins à l’extérieur, en Europe, mais aussi à l’extérieur de l’Europe, en Afrique de l’Ouest et d’autres régions qui ont des sources de francophones.

[Il faut] qu’on continue d’enrayer le racisme systémique qui est [un problème] pour l’acceptation de certaines personnes de ces régions.

Il va falloir les mettre en place rapidement, ça dépendra évidemment de la complexité et mon équipe est en train de travailler dessus.

Dans moins de deux ans, les Canadiens seront appelés aux urnes, alors que les conservateurs sont nettement en avance dans les derniers sondages. Est-ce que cela vous inquiète par rapport aux cibles?

C’était justement parce que je ne voulais pas être électoraliste que je voulais être réaliste avec les gens. Il n’y a rien de pire qu’un politicien qui fait de fausses promesses quitte à devoir présenter des excuses l’année après pour avoir déçu tout le monde.

Il y avait des gens qui me disaient en catimini : « Mettons donc les objectifs à 10-15 %, même si on ne va pas les rencontrer, parce que ça va nous donner un certain crédit auprès de certaines gens, surtout de la francophonie hors Québec. » J’ai horreur de ce genre de politique.

C’est la raison pour laquelle je ne voulais pas coute que coute mettre des cibles qui n’étaient pas réalisables et c’est la raison pour laquelle, peut-être, je suis quelque peu critique quant à l’ambition de ces cibles. Mais je les estime réalistes et ambitieuses en même temps.

Donc c’est quelque chose je pense qu’on devrait célébrer, mais ce n’est pas la fin de la discussion en même temps.

En conclusion, êtes-vous confiant d’arriver à vos objectifs?

Je suis confiant de l’équipe que j’ai pour pouvoir être à la hauteur des attentes que j’ai. On se reparlera dans un an.