Arrivée à l’âge de dix ans, elle s’est nouée d’amitié avec une Franco-Manitobaine, Irène Roy. Depuis, elles ne se sont jamais plus quittées.
Toutes les deux sont désormais âgées de 91 ans. Mais réunies ensemble, ce sont deux jeunes enfants qui se chamaillent, enfin d’après deux des enfants d’Irène Roy, Luc Roy et Monique Roy. Alena Takatsu vit à Winnipeg dans sa maison et Irène Roy, née Catellier, vit à Saint-Malo dans le foyer Chalet Malouin.
Si tout les séparait, c’est un hasard malheureux qui va réunir leurs deux familles en 1942.
Après l’attaque de Pearl Harbour par le Japon en décembre 1941, le gouvernement canadien et une partie de la population canadienne craignent une invasion japonaise. Une méfiance se répand envers les personnes d’origine japonaise installées au Canada, principalement du côté de la Colombie-Britannique. Cette méfiance mène à la mise en place de politiques racistes.
En 1942, le gouvernement fédéral promulgue un décret permettant de déplacer toute personne n’importe où au pays. Si le décret est large, il vise principalement les personnes d’origine japonaise. Certaines seront enfermées dans des camps d’internement, d’autres se verront offrir la possibilité de travailler dans des exploitations de betteraves sucrières au Manitoba. C’est le cas de la famille d’Alena Takatsu.
La famille d’Alena Takatsu est arrivée au Manitoba, le 19 avril 1942, par le train, avec très peu de choses comme d’autres familles à l’époque. « Nous avions dû nous débarrasser de tout ce que nous possédions. Nous ne pouvions emporter qu’un certain nombre de kilos de bagages et autres. On a donc pratiquement tout laissé et nous en avons vendu une partie, mais le reste est resté là. C’était très triste pour mes parents, parce que nous avions laissé de belles choses, de la vaisselle, des livres. C’était vraiment une période très triste pour mes parents. Mais comme je n’avais que dix ans, je ne me rendais pas compte de la gravité de la situation. »
Alena Takatsu se souvient être tombée malade durant son voyage en train. « Je suis tombée malade dans le train parce qu’il n’était pas propre, il était très poussiéreux. C’était horrible. »
La Rochelle
À leur arrivée à Winnipeg, Alena Takatsu et sa famille sont logés dans un hôtel qui a, aujourd’hui, disparu. Après quelques jours, le père d’Irène Roy, Lucien Catellier, est venu chercher toute la famille et leur a fourni tout ce dont ils avaient besoin pour recommencer une vie. « Il nous a ramenés à la maison et nous a donné des choses dont nous avions besoin. » Contrairement à d’autres familles, celle d’Alena Takatsu a pu trouver un semblant de paix en arrivant à La Rochelle. « Notre vie à La Rochelle était vraiment très amusante. Je me souviens de Blanche, la mère d’Irène. Elle m’a traitée comme l’une des siennes. Elle était si gentille. Et M. Catellier était si gentil. Nous avons eu beaucoup de chance d’être dans une famille qui nous traitait bien. Parce que ce n’était pas le cas dans toutes les familles. »
C’est là qu’Irène Roy et Alena Takatsu se sont rencontrées, comme le raconte Irène Roy. « Mon père, Lucien, leur avait donné une maison pour qu’ils puissent vivre dignement. Nous avions le même âge, alors nous allions à l’école ensemble. Nous étions toujours toutes les deux. Même quand ses parents ont déménagé à Middlechurch, Alena est restée avec nous pour finir son année scolaire. Nous avons eu beaucoup de plaisir ensemble. »
Vie difficile
Cinq ans après leur arrivée à La Rochelle, les parents d’Alena Takatsu, Shunsuke et Tatsu, ont déménagé à Middlechurch grâce à un nouvel emploi offert à son père. Irène Roy se souvient encore d’une anecdote. « Je devais me rendre à Middlechurch en bus. Je ne sais pas ce qui est arrivé, le bus a été annulé et je me suis rendue à pied. À un moment sur le chemin, quelqu’un m’a pris dans sa voiture et d’un seul coup, j’ai vu la robe d’Alena qui séchait sur une corde à linge! En y repensant maintenant, je me demande comment mes parents m’ont laissée faire ça (rires). »
Mais la vie à Middlechurch n’a pas toujours été facile pour la famille, comme se souvient Alena Takatsu. « Nous vivions dans une étable, avec un sol en terre battue. C’est ce qu’ils nous ont donné pour vivre. Ils avaient mis un poêle dans une sorte d’évier. C’était tout simplement horrible, l’odeur! Et nous devions dormir là. Au bout de deux ou trois mois, mon père a décidé que nous ne pouvions plus vivre là. Alors nous sommes partis. Pendant des années, lorsque je passais devant cet endroit à Middlechurch, j’avais une boule dans la gorge. »
Une amitié hors du temps
Les années ont passé et l’amitié d’Alena Takatsu et Irène Roy n’a pas cessé. Chacune a fait sa vie avec des enfants et un mari. Pourtant, elles ont toujours essayé de se voir, comme le raconte Irène Roy. « Quand nous élevions nos familles, nous essayions toujours de nous voir un minimum. Mais chacune était très occupée avec nos enfants et nos familles.
« Mais nous avons toujours été présentes l’une pour l’autre dans tous les grands moments, que ce soit mariages ou enterrements. »
Alena Takatsu ajoute : « Nous nous téléphonions et nous essayions de nous voir aussi souvent que possible. Ce n’était pas aussi souvent que nous voulions. Mais c’était bien.
« Irène est l’une de mes amies les plus précieuses. Nous avons un lien particulier. Nous nous comprenons sans mots. C’est une femme forte et admirable. »
Encore aujourd’hui, Alena Takatsu et Irène Roy se rencontrent une fois par année. Et chaque fois, les séparations sont difficiles, comme l’explique Irène Roy. « À chaque fois qu’on se voit, le temps file trop vite. C’est toujours dur de se laisser l’une et l’autre. »