« Clément Marot a rapporté deux choses d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé… Je pense que c’est le deuxième qui a fait le plus de ravages ».

C’est en effet le poète Clément Marot qui, au 16e siècle, rapporta de son exil en Italie et introduisit dans la langue française la règle de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir. En vertu de cette règle, toujours en vigueur aujourd’hui, le participe passé reste invariable lorsqu’il est placé avant le complément d’objet direct (« j’ai mangé des pommes »), mais s’accorde avec le complément d’objet direct lorsqu’il est placé après celui-ci (« les pommes que j’ai mangées »).

Le facétieux Marot avait même composé un poème pour justifier la règle et en faciliter la mémorisation. En voici quelques extraits (transposés en français moderne) :

Enfants, oyez une leçon :

Notre langue a cette façon,

Que le terme qui va devant,

Volontiers régit le suivant.

Les vieux exemples je suivrai

Pour le mieux : car à dire vrai,

La chanson fut bien ordonnée

Qui dit : mon amour vous ai donnée. (1)

Et du bateau est étonné

Qui dit : mon amour vous ai donné.

Voilà la force que possède

Le féminin quand il précède.

On prouverait par bons témoins

Que tous les pluriels n’en font pas moins;

Il faut dire en termes parfaits :

Dieu en ce monde nous a faits;

Faut dire en paroles parfaites :

Dieu en ce monde les a faites.

Simple en apparence, cette règle d’accord nous contraint en réalité à une gymnastique intellectuelle constante et complexe que même les plus grands écrivains ne maîtrisent pas toujours. Balzac écrivit un jour à son amie Mme Hanska : « Les angoisses que tu as eu, mon Ève, je les ai bien cruellement ressenties… »; et Rimbaud, à sa famille : « Il me semble que j’avais postée dernièrement une lettre pour vous ».

Qui plus est, la règle de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir comprend de nombreuses exceptions, notamment lorsque le participe passé est précédé du pronom en. Exemple : « Les pommes, les invités en ont mangé » (et non pas « mangées »!).

À première vue, les choses sont plus simples lorsque le participe passé est employé avec l’auxiliaire être. La règle de base est que le participe passé s’accorde alors avec le sujet. Exemple : « Les pommes sont tombées ». Mais là encore, la règle s’accompagne de nombreuses exceptions byzantines qui obligent à écrire, par exemple : « elles se sont vues et elles se sont plu; ils se sont rencontrés, parlé, disputés, menti, quittés (2) »!

Lassés de devoir consacrer plus de 80 heures en moyenne à enseigner toutes ces règles inextricables à leurs élèves, des enseignants du Québec ont publié récemment une tribune (3) pour réclamer l’adoption d’une réforme radicale. Elle consisterait notamment à rendre invariables, dans tous les cas, les participes passés employés avec avoir. On écrirait par exemple « les femmes que Picasso a peint » et non plus « peintes ».

Les opposants à cette réforme soulignent qu’elle favoriserait l’effacement du féminin au profit du masculin (comme on le voit dans l’exemple ci-dessus) et affaiblirait la clarté intrinsèque de la langue française qui permet, par exemple, de distinguer à l’aide d’une seule lettre « la part du gâteau que j’ai mangée » et « la part du gâteau que j’ai mangé ».

Entre les deux camps opposés, des esprits conciliateurs font observer qu’on faciliterait grandement l’apprentissage et l’application des règles d’accord du participe passé en réduisant le nombre d’exceptions, voire en les éliminant toutes si possible. En attendant, on peut joindre l’utile à l’agréable en apprenant par coeur le poème mnémotechnique de Clément Marot!

(1) Amour était féminin au 16e siècle.

(2) L’excellent dictionnaire en ligne Usito explique en détail toutes les règles de l’accord du participe passé (usito.usherbrooke.ca/articles/aides_à_la_rédaction/LAccordDuParticipePassé).

(3) « Les profs de français veulent dépoussiérer les participes passés », La Presse, 13 avril 2023 (www.lapresse.ca/actualites/education/2023-04-13/les-profs-de-francais-veulent-depoussierer-les-participes-passes.php). Un collectif d’enseignants et d’intellectuels français a publié une tribune semblable dans le quotidien Le Monde le 25 octobre 2023 (www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/15/pourquoi-il-est-urgent-de-mettre-a-jour-notre-orthographe_6194603_3232.html).