Un jugement qui laisse sur sa faim. 

Deux questions ont été entendues, le 9 février, devant les juges de la plus haute instance du Canada. La première était l’interprétation de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés sur l’inscription d’élèves non ayant droit. La deuxième portait sur la capacité d’être entendu et compris en français dans les tribunaux. 

Sur la première question, les juges ont donné raison à la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest et affirmé que le ministre de l’Éducation du Territoire aurait dû tenir compte de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés dans sa décision au sujet de l’admission d’élèves non ayant droit dans les écoles francophones du Territoire. Me Guy Jourdain, qui a oeuvré dans le domaine du droit et des langues, souligne l’importance d’une telle décision. « Du point de vue de l’accès à l’école française, c’est une décision excellente. Même quand le ministre se penche sur le dossier des non-ayants droit, il doit tenir compte des valeurs consacrées par l’article 23 de la Charte. Dans ce sens-là, c’est une excellente décision et une belle victoire. » 

Les juges ont d’ailleurs rappelé la portée de l’article 23(3)a). « L’alinéa 23(3)a) de la Charte garantit à certaines catégories de citoyens le droit à l’instruction dans la langue officielle minoritaire, dans la mesure où “le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant”. La jurisprudence de notre Cour a interprété cette disposition constitutionnelle comme comportant un triple objet : le droit a un caractère “à la fois préventif, réparateur et unificateur”. » 

Être entendu directement 

Cependant, sur la deuxième question en litige, la Cour suprême a laissé plusieurs organismes défendant la francophonie en situation minoritaire sur leur faim. Me Guy Jourdain replace la question dans son contexte : « Lorsque la Commission scolaire francophone des TNO a plaidé à la Cour d’appel des TNO, tout s’est fait de manière virtuelle. Certains juges n’étaient pas bilingues, il y a donc eu des services d’interprétation de qualité assez médiocre. C’est pour cette raison que la Commission scolaire francophone a soulevé cette question auprès de la Cour suprême. » 

Cependant, le fond du litige ne se trouvait pas dans cette question, et c’est pour cette raison que les juges de la Cour suprême ont statué qu’« il n’est pas nécessaire ni opportun que notre Cour se prononce sur l’allégation de violation du droit d’employer le français ou du droit d’être entendu ». Me Guy Jourdain explique : « La Cour ne se prononce donc pas sur la question d’être entendu directement devant les tribunaux sans l’aide d’un interprète. Pour les organismes francophones en situation minoritaire, et ceux qui luttent pour l’accès à la justice, c’est décevant. On aurait aimé que cette question soit tranchée et clarifiée. » 

Une question à venir 

Néanmoins, Me Guy Jourdain reconnaît que trancher une telle question est un exercice délicat. « Il faut comprendre que le paragraphe 19(1) de la Charte est calqué sur l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. C’est une question linguistique qui se trouve au coeur même de notre constitution et du pacte entre anglophones et francophones du Canada. La Cour suprême a senti que ce n’était pas la bonne cause ou le bon moment pour se prononcer sur cette question. » 

Pour autant, Me Guy Jourdain reste persuadé que dans les années à venir la Cour suprême va être amenée à se prononcer sur cette question. Plusieurs causes sont d’ailleurs en jeu du côté du Québec. « Certaines de ces causes vont monter à la Cour suprême, sans aucun doute. Il y a un mouvement général au Québec pour que le système judiciaire fonctionne primordialement en français. Il y a des éléments dans cette approche qui sont litigieux. Entre autres, dans le cadre du projet de loi 96, il est exigé à une personne morale qui dépose des documents en anglais aux tribunaux du Québec qu’elle fournisse une traduction certifiée à ses propres frais. A priori, cette exigence semble contraire à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. » 

Deux interprétations

Et si cette question est si fondamentale, c’est que dans les droits linguistiques, il existe deux interprétations. Me Guy Jourdain observe. « Concrètement, il y a deux courants jurisprudentiels qui s’opposent. Tout d’abord, il y a l’arrêt Société acadienne du Nouveau-Brunswick (SANB), qui remonte à 1986. Dans cet arrêt, la Cour avait dit que le droit d’être compris directement n’était pas garanti par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. C’était une décision très restrictive. 

« Depuis, en 1999, la Cour a rendu un jugement, l’arrêt Beaulac, et naïvement, on pensait que cet arrêt venait enterrer celui de 1986. Mais ce n’était pas parfaitement clair. On espérait que cette affaire des TNO aurait pu enterrer l’arrêt SANB. »