Marine Ernoult

Face à ce constat, elles tentent de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de s’adapter, mais leurs ressources humaines et financières ne sont pas toujours à la hauteur.

« Notre territoire se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde », alerte Solomon Awa. Le maire d’Iqaluit, capitale du Nunavut, s’inquiète de la fonte du pergélisol, du manque chronique de précipitations et de l’érosion.

« Nous n’avons pas d’autres choix que d’agir pour le bienêtre de nos habitants », insiste l’édile.

Selon Marielle Papin, professeure adjointe en sciences politiques à l’Université MacEwan, à Edmonton en Alberta, les municipalités canadiennes se sont emparées du sujet climatique et ont commencé à agir « très tôt ».

À cet égard, Toronto fait figure de précurseur. La ville Reine est la première au monde à avoir établi une cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 1990.

Historiquement, les municipalités ont concentré leurs efforts sur l’adoption de mode de vie plus sobres en carbone. En 2020, Halifax s’est dotée d’un plan climat, avec l’engagement d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.

« Pas de temps à perdre »

Certaines petites villes affichent des objectifs encore plus ambitieux. En Ontario, Halton Hills, agglomération de taille moyenne à deux pas de Toronto, vise zéro émission nette d’ici à 2030. À ce jour, c’est la cible la plus audacieuse au pays.

La multiplication des évènements météorologiques extrêmes, inondations et tempêtes de verglas, a convaincu le conseil municipal d’agir rapidement.

« Nous sommes conscients que nous avons mis la barre très haut, mais nous n’avons pas de temps à perdre, on ne peut pas se contenter de déclarer l’urgence climatique et se fixer de lointains objectifs », insiste Jane Fogal, l’une des conseillères municipales d’Halton Hills.

La municipalité a restructuré son administration en créant dans chaque département des postes dédiés à la lutte contre les changements climatiques. Elle a également adopté en 2021 une stratégie pour décarboner son économie et s’attaquer aux émissions des transports et des bâtiments, les deux principales sources de pollution.

Mise en place d’un système de transport en commun électrique, création d’un réseau de pistes cyclables, amélioration de l’efficacité énergétique des édifices municipaux, installation de systèmes géothermiques et solaires, construction de nouveaux bâtiments passifs; la liste des actions entreprises est longue.

Halton Hills a également développé ses propres normes de construction écologique et accorde des prêts à taux zéro pour inciter les habitants à effectuer des rénovations énergétiques.

Les défis des Territoires

Les villes du Grand Nord canadien, aux avant-postes du dérèglement climatique, multiplient elles aussi les politiques afin de diminuer leur empreinte carbone.

Pour réduire sa dépendance à l’électricité produite au diésel, Iqaluit encourage le développement des énergies renouvelables comme le solaire. En 2020, elle a par ailleurs installé un réseau de chauffage urbain utilisant la chaleur issue de la production d’électricité.

Ce réseau alimente quatre bâtiments, dont le centre aquatique, et l’usine de traitement d’eau potable. Le système devrait permettre d’économiser quelque 1 500 tonnes de GES par an.

Whitehorse a, elle, déclaré l’urgence climatique en 2019. Les résultats ne sont pourtant pas à la hauteur. La capitale du Yukon n’a pas réussi à atteindre l’objectif qu’elle s’était fixé en 2015, à savoir réduire de 10 % ses émissions de GES entre 2014 et 2020.

« Nos efforts se sont accélérés ces dernières années, il y a désormais un véritable désir de la population de réduire nos émissions », défend Mélodie Simard, directrice des parcs et du développement communautaire de Whitehorse.

Dans les quatre prochaines années, la ville électrifiera son parc automobile, mettra en place des bornes de recharge, étendra son réseau de transport en commun, procèdera à la rénovation énergétique de ces édifices et installera des systèmes de chauffage biomasse et des panneaux solaires sur certains d’entre eux.

L’atout de la proximité

Whitehorse travaille actuellement sur son premier plan de réduction des émissions et d’adaptation aux changements climatiques, « pour réévaluer nos cibles et nos actions en fonction de la réalité du terrain et mieux coordonner nos efforts », explique Mélodie Simard.

« Allier atténuation et adaptation, c’est la meilleure stratégie. Il faut penser la ville comme un écosystème, réfléchir à différentes échelles, du bâtiment jusqu’au quartier », salue Isabelle Thomas, professeure titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal.

«Pendant trop longtemps, l’adaptation a été reléguée au second plan», regrette-t-elle.

Aux yeux de Nathalie Bleau, coordinatrice de programmation scientifique au sein d’Ouranos, consortium québécois en climatologie, la ville est pourtant le meilleur acteur en mesure d’agir dans le domaine.

« Elles sont les mieux placées pour diagnostiquer les risques, identifier les quartiers et les populations les plus vulnérables, car elles sont les plus proches des citoyens et des territoires », détaille-t-elle.

La spécialiste évoque les nombreux outils à portée de main des élus : le verdissement pour lutter contre les ilots de chaleur, la planification pour endiguer l’étalement urbain, ou encore la création de sols perméables pour limiter les risques d’inondation.

Toronto et Vancouver sont les deux premières municipalités canadiennes à avoir adopté des stratégies en la matière, respectivement en 2007 et 2009.

Largent manque

À Whitehorse, l’adaptation est devenue une priorité depuis que d’anormales chutes de neige ont contraint la ville à revoir une route d’accès majeure et à déplacer des conduites d’égouts. Sans parler de la nécessité de protéger les habitations du risque de feux de forêt démultiplié.

« Ce sont des projets immenses pour une petite localité en croissance comme nous, on parle de plusieurs dizaines de millions de dollars, alerte Mélodie Simard. On a dû changer nos priorités de travail. »

La grande majorité des municipalités, de taille modeste, manque de ressources humaines et financières pour faire face à la crise.

« Nous n’avons pas assez d’argent, se désole Jane Fogal en Ontario. Nous allons devoir augmenter les impôts fonciers simplement pour continuer à faire le travail normal, alors comment pourrions-nous investir davantage dans la transition climatique et l’énergie verte? »

« Le modèle de financement actuel des municipalités reste désuet, nous avons besoin d’un soutien accru du gouvernement fédéral », confirme Scott Pearce, président de la Fédération canadienne des municipalités (FCM).

Incohérence des politiques

L’organisme réclame des investissements supplémentaires dans le domaine des transports en commun et de la rénovation énergétique des bâtiments municipaux.

Ottawa alloue des fonds pour aider les collectivités, « mais ces programmes fédéraux ne répondent pas forcément aux besoins sur le terrain », relève Nathalie Bleau.

Aux budgets restreints s’ajoutent des limites liées au système institutionnel. « Les villes n’ont pas les compétences juridiques pour agir comme elles le voudraient dans tous les domaines », estime Marielle Papin.

« Nous sommes tributaires des règlementations provinciales et fédérales, abonde Jane Fogal. Notre objectif d’avoir 100 % d’électricité verte dépend aussi de la volonté du gouvernement provincial de ne plus investir dans des centrales électriques au charbon ou au gaz. »

L’élue appelle à une meilleure cohérence des politiques et à plus de collaboration avec les échelons fédéraux et provinciaux.

Réconcilier les citoyens et l’action climatique

L’acceptation sociale constitue un défi pour de nombreuses municipalités.

« Ça demande beaucoup de courage politique, car on parle de risques complexes avec beaucoup d’incertitudes et d’imprévisibilité alors que la population veut avoir toutes les réponses tout de suite », analyse Marielle Papin, professeure à l’Université MacEwan.

Pour lever les résistances, la chercheuse estime également qu’il faut davantage lier politiques d’adaptation climatique et bienêtre des communautés.

Isabelle Thomas, professeure à l’Université de Montréal, considère de son côté que les citoyens doivent être impliqués dès l’origine des projets : « Les élus doivent communiquer avec des messages positifs et simples, accès sur la résilience, ancrés dans la réalité locale. »

Dans le Yukon, Whitehorse multiple les campagnes de sensibilisation. « On constate un gros changement dans le comportement des gens, il y a une meilleure compréhension des risques », assure Mélodie Simard, employée de la Ville.