Les colons français sont arrivés à Winnipeg dans les années 1750. Dès 1785, les Britanniques les ont rejoints et ont commencé à établir des colonies non-autochtones.

Comme l’explique Niigaan Sinclair, lui-même Anishinaabe et professeur en études autochtones à l’Université du Manitoba, les relations entre peuples étaient variables.

« Les Cris et les Anishinaabe s’entendaient bien avec les colons français, qui n’avaient pas de problème à se marier avec nos communautés, porter nos vêtements, venir à nos cérémonies ou apprendre notre langue.

« En revanche, les Britanniques refusaient de se marier avec nous et nous ont imposé leur manière de faire du commerce : dans des postes de traite plutôt que dans les communautés. La différence, c’est que les Français sont venus et ont servi les peuples autochtones qui étaient là. Les Britanniques, eux, sont arrivés et nous ont dit Vous nous servez maintenant. »

Il précise que toutes les tribus des Premières Nations ne s’entendaient pas avec les colons français. Chacune avait ses propres affinités.

Des violences

Et si Britanniques et Autochtones cohabitaient quand même, ceci a vite changé. Le Métis et député de Saint-Boniface, Robert Loiselle, explique : « En 1871, le Canada signait des Traités de gouvernement à gouvernement avec les Premières Nations. Puis en 1876, la Loi sur les Indiens les a obligés à aller vivre dans des réserves. Soudainement, les Premières Nations n’avaient plus aucun droit. Ni de vendre leurs biens, ni de sortir de leur réserve sans consentement de l’agent indien, ni plus tard le droit de voter! »

« En 1893, c’était aussi le début des écoles résidentielles, ajoute Niigaan Sinclair. Et en 1921, porter nos vêtements traditionnels en public est devenu strictement interdit. » Les enfants Métis ont aussi été envoyés dans les écoles résidentielles.

Robert Loiselle le confirme, « la façon la plus directe de détruire un peuple et une culture, c’est d’enlever ses enfants car il n’y a plus de continuité après ça ». 

En effet, les Métis ont également subi des violences. Robert Loiselle : « Tout de suite après que le Premier ministre du Canada, John A. Macdonald, a signé la Loi du Manitoba en 1870, qui défendait les droits des Métis, les soldats de Wolseley étaient à nos portes. Ils ont terrorisé les Métis, les ont assassinés ou poussés à s’enfuir. C’était le Règne de la Terreur et ça a posé le décor. »

La violence était telle que Robert Loiselle se demande aujourd’hui si « les Métis de Saint-Boniface auraient même survécu sans la rivière Rouge qui nous séparait des Orangistes britanniques ».

D’ailleurs, le campement métis de Rooster Town, au sud de Winnipeg, a été constamment chassé plus loin depuis le Règne de la Terreur. Finalement, en 1959, la Ville a décidé de s’en débarrasser pour construire l’École secondaire Grant Park à la place.

Robert Loiselle pointe aussi qu’ « avant la construction de la gare Union en 1908, le boulevard Provencher était aligné avec la rue Broadway, l’axe principal de Winnipeg. La Ville a choisi de couper ce lien et d’obliger les francophones, majoritairement des Métis à l’époque, à passer par un quartier industriel plus au nord, l’un des pires de Winnipeg à l’époque. C’était symbolique ».

« Soudainement, les Premières Nations n’avaient plus aucun droit. Ni de vendre leurs biens, ni de sortir de leur réserve sans consentement de l’agent indien, ni plus tard le droit de voter! »

Robert Loiselle

Un tournant après 1950

Les relations se sont quand même un peu améliorées dans les années 1950. « En 1951 et 1960, deux parties particulièrement racistes de la Loi sur les Indiens ont été amendées, signale Niigaan Sinclair. On pouvait désormais porter nos vêtements en public, aller à l’université, quitter la réserve sans autorisation, et pour les hommes, voter.

« Ce qui a fait la plus grande différence cependant, c’était plutôt le mouvement pour les droits civils, notamment Red Power, dans les années 1970. D’ailleurs, c’est en 1974 que mon département d’études autochtones à l’Université du Manitoba a été créé. »

Pour sa part, Robert Loiselle confie avoir été « le premier de ma famille, avec mon oncle, à oser m’affirmer comme Métis et chercher ma carte. Avant, on devait se cacher, même dans la francophonie, pour survivre ». 

La Réconciliation aujourd’hui 

Le chemin parcouru par les Autochtones et non-Autochtones depuis les recommandations de la Commission de Vérité et Réconciliation (CVR) en 2015 est grand. Robert Loiselle partage une réflexion du Premier ministre autochtone du Manitoba, Wab Kinew : « Il passait devant un ancien pensionnat autochtone et il s’est dit : Il y a moins d’une génération, on était dans des pensionnats, séparés des Blancs. Aujourd’hui, je suis Premier ministre et mes enfants vont à l’école avec des enfants blancs, nouveaux arrivants et autochtones, tous ensemble! » 

Selon le député métis, « la Ville reconnaît aujourd’hui que la majorité, ce sont toutes les minorités mises ensemble et que nous devons miser sur nos atouts multiculturels et autochtones. Le maire est très ouvert à travailler avec toutes les communautés ». 

En 2013, la Ville de Winnipeg a créé une Division des relations autochtones, qui compte aujourd’hui dix employé.e.s, pour appuyer la Ville dans son cheminement vers la Réconciliation. 

« Nous travaillons sur les cinq Appels à l’Action de la CVR qui s’adressent aux Municipalités : l’éducation publique, les archives, les cimetières et lieux de sépulture des enfants des pensionnats, la Doctrine de la découverte et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones », indique Danielle Carriere, coordonnatrice administrative à la Division des relations autochtones. 

Danielle Carrière.
Danielle Carrière. (photo : Gracieuseté Ville de Winnipeg)

Parmi les mesures déjà prises, elle souligne la plantation de jardins de plantes médicinales autochtones à l’Hôtel de Ville et ailleurs, une exposition sur l’école résidentielle Assiniboia, et une cérémonie extérieure de lever de drapeau en l’honneur des Nations du Traité n°1, Dakota et métisse. 

Améliorer les consultations

Également la politique Redécouvrir Winnipeg : concilier notre histoire, adoptée unanimement par le conseil en 2020, ou encore l’Accord autochtone de Winnipeg, établi et adopté par le conseil à l’unanimité en 2017, qui engage formellement les organismes signataires à la Réconciliation. Enfin, entre 2016 et 2019, la Division a donné une formation de sensibilisation aux questions autochtones à plus de 9 000 employé.e.s de la Ville de Winnipeg. 

« Il y a encore à faire, affirme Danielle Carriere, comme s’assurer que notre politique est appliquée et que la sensibilisation continue, soutenir les femmes, filles et personnes issues de la diversité des genres autochtones disparu.e.s et assassiné.e.s, et leurs familles, ou fournir des opportunités positives aux jeunes autochtones de Winnipeg à travers notre Stratégie jeunesse autochtone. » 

La Ville cherche aussi à améliorer ses façons de consulter les communautés autochtones afin de pleinement répondre à leurs besoins. « Nous aspirons à des collaborations respectueuses de gouvernement à gouvernement, mais ce n’est pas une approche unique, dit Danielle Carriere. 

« Et la Ville est un grand organisme, donc faire des changements n’est pas simple. Nous avons aussi des défis financiers et humains qui peuvent freiner notre mission à la Division. » 

Mais elle se réjouit d’observer que « dans beaucoup de cercles non-autochtones, il y a une meilleure prise de conscience que le travail de réconciliation n’est pas l’obligation des peuples autochtones, mais celle des Canadiens non-autochtones, avec les idées des Premières Nations, des Métis et des Inuits sur ce à quoi cela devrait ressembler ». 

Plus d’engagement de la communauté francophone

Niigaan Sinclair déplore toutefois que la communauté francophone ne soit pas plus engagée dans la Réconciliation aujourd’hui. « Nous avons une histoire tellement liée que Saint-Boniface devrait être un leader national dans la recherche pédagogique sur les questions autochtones! Mais il y a encore une certaine honte à reconnaître à quel point le fondement de la culture francophone au Manitoba est autochtone. 

« Il n’y a jamais eu autant de gens et entreprises signataires de l’Accord autochtone de Winnipeg, pourtant je n’ai vu que très peu d’entreprises et organismes francophones engagés dans cet Accord. » 

La dernière liste disponible, qui date de juin 2022, compte 227 signataires dont une douzaine peuvent être associés à la francophonie. (1) 

(1) Il s’agit des conseillers municipaux pouvant s’exprimer en français : Matt Allard, Jason Schreyer, Brian Mayes et Sherri Rollins; du Premier ministre du Manitoba, Wab Kinew; des organismes francophones ou bilingues : Festival du Voyageur, Taylor McCaffrey LLP, Université de Saint-Boniface, World Trade Centre Winnipeg; et des divisions scolaires offrant un programme d’immersion : les Divisions scolaires Louis-Riel, Pembina Trails, Seven Oaks et Winnipeg. D’autres organismes signataires ont également la capacité de s’exprimer en français, mais leur mission n’est pas directement liée à la francophonie.