Aujourd’hui la situation au centre-ville est particulièrement critique, ce qui nuit à la réputation globale de la ville. Mais il y a de l’espoir. 

Marc Vachon, professeur de développement urbain, aménagement du territoire et géographie humaine à l’Université de Winnipeg, crédite les aléas de l’histoire pour expliquer le développement urbain si éclectique de Winnipeg. 

« Les années 1900 à 1920 étaient des années de grande prospérité pour Winnipeg, alors on a beaucoup construit. Un même architecte pouvait faire des dizaines d’édifices. Mais ensuite, il y a eu la grande dépression puis la crise du pétrole, et le développement urbain a ralenti. La vision de densité de la Ville est tombée à l’eau par manque de fonds. 

« Aujourd’hui encore, le plan d’urbanisme de la ville se réalise rarement car la Ville manque d’argent, donc elle dépend des subventions fédérales et provinciales. Or ces subventions, qu’il serait difficile de refuser, viennent souvent avec des conditions qui ne vont pas toujours dans le même sens que ses plans. » 

Pour son collègue à l’Université de Winnipeg Jino Distasio, professeur de géographie urbaine, culturelle et sociale, c’est aussi l’histoire unique d’amalgamation de Winnipeg qui lui donne aujourd’hui son aspect dépareillé. Un trait distinctif qui n’est pas nécessairement négatif, selon le professeur. 

Jino Distasio
Jino Distasio. (photo : Marta Guerrero)

« Au début des années 1970, Winnipeg et ses villes environnantes se sont amalgamées pour ne former qu’une seule ville, rappelle-t-il. Avant cela, on avait un grand patchwork de petites municipalités, chacune avec ses caractéristiques propres. Cette histoire particulière a influencé la vision que les résidents et la Ville ont de ses différents quartiers. Chacun voulait garder son unicité historique. » 

Cette spécificité de chaque quartier peut être un défi pour dessiner une vision globale et unifiée de la ville, mais aussi un avantage. « Ça ajoute à l’attrait de la ville, à son identité, à son âme collective », estime Jino Distasio.

« Grâce à l’identité propre à chaque quartier, la ville de Winnipeg continue de donner à ses résidents le sentiment d’une petite place à taille humaine. »

Jino Distasio

Le rôle des développeurs 

Jino Distasio ne met pas non plus de côté l’influence des développeurs dans le façonnage des différents quartiers de Winnipeg. 

« Souvent, c’est plus une question de développeurs qui poussent un agenda pour faire vendre. Ils veulent créer des quartiers qui répondent aux besoins et capacités financières de ceux qui cherchent une place pour vivre. C’est pour ça que dans les développements plus modernes, quel que soit le quartier, on voit de plus en plus de maisons unifamiliales avec garage à l’avant. Et ce, pas seulement à Winnipeg. » 

Marc Vachon abonde dans le même sens. « On peut voir des différences d’un quartier à l’autre selon l’époque des développeurs. Dans Wolseley par exemple, un quartier développé dans les années 40-50, on a des maisons très près les unes des autres. On n’en verrait plus aujourd’hui car ça pose un risque trop grand d’incendie. 

« Du côté d’Osborne, développé dans les années 70, on trouve beaucoup de petits immeubles d’appartements à trois étages, car c’était une époque où on voulait densifier la ville. » 

Aujourd’hui, la mode est donc aux maisons unifamiliales avec garage, et c’est ainsi que deux nouveaux quartiers à l’opposé l’un de l’autre dans la ville, comme Riverbend et Island Lakes, en arrivent à se ressembler. « Les mêmes types de maisons ont été choisis par les développeurs pour ces deux quartiers modernes », explique Marc Vachon. 

Il souligne par ailleurs que contrairement à d’autres villes, la population winnipégoise « n’aime pas les condos, et la Ville a toujours encouragé cette préférence pour les maisons unifamiliales. Depuis quatre ou cinq ans, Winnipeg est médaillée d’or de l’étalement urbain au Canada ». 

Le cas du centre-ville 

Pour sa part, le centre-ville est historiquement un produit de vagues d’immigration, ce qui en fait une enclave très diversifiée ethniquement. En effet, les nouveaux arrivants de première génération s’y installent souvent, car la vie y est moins chère, avant de déménager en banlieue à la deuxième ou troisième génération. « Chaque vague d’immigration y a laissé ses caractéristiques », commente Jino Distasio. 

Marc Vachon est formel : l’architecture est une façon importante de promouvoir une ville. Et cette architecture devrait être particulièrement soignée au centre-ville, puisque c’est souvent la première chose que les touristes veulent voir. C’est là qu’on va pour comprendre l’identité d’une ville. 

C’est pourtant loin d’être le cas. « Le développement au centre-ville de Winnipeg est très inégal, déplore-t-il. De l’aréna à l’université par exemple, il est en arrêt. C’est déprimant à voir. L’état du centre-ville n’a jamais été aussi pire que maintenant. Ça donne une image très mauvaise de Winnipeg à ceux qui arrivent. » 

Même les résidents de Winnipeg « n’y vont pas ou le moins possible, car ils ne se sentent pas en sécurité, et alors il n’y a plus assez de monde pour soutenir les commerces. Il y a un problème de réputation négative du centre-ville de Winnipeg, à cause du crime et de la pauvreté, qui nous nuit beaucoup aujourd’hui ». 

Ceci a aussi des conséquences sur la préservation du centre-ville, pourtant rempli d’histoire. « Préserver les édifices historiques est en bas des priorités de la Ville, sauf s’ils peuvent lui rapporter de l’argent, analyse Marc Vachon. Et particulièrement au centre-ville. Pourquoi conserver quelque chose alors que personne n’y va? » 

Cindy Tugwell, directrice générale d’Héritage Winnipeg, confirme le manque d’action de la Ville pour conserver et mettre en valeur son patrimoine. « Tous les conseillers municipaux nous disent que le patrimoine leur tient à coeur, mais ce ne sont que des mots. Depuis 2018, nous avons perdu 10 % de nos subventions, passant de 40 000 $ en 2018 à 32 000 $ en 2023. Je crois qu’on pourrait facilement trouver un festival d’une semaine ou deux par an qui reçoit deux fois cette somme. » 

Cindy Tugwell.
Cindy Tugwell. (photo : Archives La Liberté)

Et pourtant, le centre-ville de Winnipeg, en particulier son quartier de la Bourse, a beaucoup d’histoire à offrir selon elle. « Il y a environ 500 édifices désignés historiques ou sur la liste commémorative dans Winnpeg, et environ 110 dans le seul quartier de la Bourse. Le quartier de la Bourse détient de véritables trésors, qui racontent l’histoire de notre ville, son âme. Ça devrait être la vedette d’affiche de Winnipeg! Je ne pense pas que la Ville réalise à quel point c’est essentiel de ne pas perdre ça. » 

Elle rappelle qu’« avec les bâtisses historiques, on n’a qu’une seule chance de les protéger. Une fois que c’est trop délabré, c’est trop tard et on perd notre héritage. C’est fondamental que la Ville prenne cela au sérieux. J’aime cette ville et je ne voudrais pas qu’on fasse une erreur irréparable. Il faut plus de financement pour s’occuper de notre patrimoine ». 

La directrice générale d’Héritage Winnipeg se réjouit toutefois de voir deux des bâtisses historiques du centre-ville, la Banque de Montréal et l’édifice de la Compagnie de la Baie d’Hudson, présentement remises en valeur. La première deviendra un centre du patrimoine métis du Manitoba, et la deuxième sera un centre autochtone multi-usages. 

Marc Vachon s’en réjouit tout autant. « C’est très positif pour l’avenir que des groupes réinvestissent dans ces bâtisses, et plus encore des groupes autochtones puisque c’est la population qui vit aujourd’hui au centre-ville. » Selon lui, il est temps qu’ils reprennent en main le quartier pour en faire un lieu duquel ils seront fiers. 

La nouvelle Chicago du Nord

Si la Ville de Winnipeg semble délaisser son centre-ville, elle s’efforce cependant de remettre Winnipeg au coeur des échanges commerciaux, comme c’était le cas à la fin du 19e siécle et au début du 20e. C’est le projet Centreport, lancé en 2008. 

Carly Edmundson en est la présidente-directrice générale. « Centreport nous ramène vraiment à la vision originale de Winnipeg comme la Chicago du Nord, affirme-t-elle. À l’intersection de l’Est et de l’Ouest, et du Nord et du Sud, Winnipeg était le hub économique et du transport de toute la nation avant même que la ville soit créée. 

Carly Edmundson.
Carly Edmundson. (photo : Gracieuseté Centreport Canada Inc.)

« Mais ceci a été stoppé par la Première Guerre mondiale et par la construction du canal de Panama, ouvert en 1914. Les marchandises n’avaient alors plus besoin de passer par Winnipeg. Ça a complètement changé les flux de marchandises en Amérique du Nord, au détriment de Winnipeg. » 

Aujourd’hui, Centreport se veut une plaque tournante pour le commerce par la route, le rail et les airs, une porte sur le monde entier. De plus, Centreport travaille en collaboration étroite avec le port de Churchill, qui offre pour sa part l’accès maritime. 

« On a près de 2 300 acres développés pour le transport et la distribution, indique Carly Edmundson. C’est plus grand que Manhattan! Depuis 2008, on a comptabilisé plus de 400 millions $ en permis de développement, et ce n’est pas fini. » 

En termes de circulation des biens et personnes, le succès est au rendez-vous. « En 2021, on comptait près de 5 millions de véhicules passant sur l’autoroute de Centreport, et l’activité aérienne et ferroviaire est aussi en augmentation. » 

Outre le trafic, la localisation stratégique de Centreport, accessible de partout, permet aussi à des entreprises locales et internationales de développer leurs affaires. Un atout économique non négligeable pour Winnipeg et le Manitoba. 

« Par exemple, la compagnie manitobaine Imperial Seed s’est installée à Centreport où elle a pu grandir et améliorer sa recherche, et aujourd’hui, elle exporte dans 30 pays! », se réjouit la présidente-directrice générale de Centreport. 

Elle signale par ailleurs que Centreport inclura également bientôt du développement résidentiel, afin de rendre l’espace encore plus dynamique et vivant. « Les travaux ont déjà commencé pour installer les systèmes d’eau et d’égouts. »