Tout du moins, un accès à de l’eau potable en quantité suffisante pour répondre aux besoins grandissants. C’est à ce moment qu’est intervenue la construction de l’aqueduc du lac Shoal. 

Avant de puiser son eau potable au lac Shoal, la Ville de Winnipeg la puisait dans la rivière Rouge, une réalité qui, avec la croissance de la population, posait quelques soucis. C’est en tout cas ce qu’explique David A. Ennis, ingénieur, qui a écrit sa thèse en 2011 sur l’aqueduc du lac Shoal (1). « La ville de Winnipeg avait de vrais problèmes parce qu’elle puisait son eau potable dans la rivière Rouge. Et la rivière Rouge n’était pas très bonne. Les gens avaient des problèmes de typhoïde, de typhus ou autre. Quelques épidémies en tout cas. L’administration savait donc qu’elle devait faire quelque chose pour changer l”approvisionnement en eau. » 

Croissance et besoins importants

Et si des épidémies se propagent rapidement, c’est aussi parce qu’entre 1890 et 1910, la population de Winnipeg connaît une croissance importante, passant d’environ 23 000 à 132 000. Les besoins en approvisionnement d’eau sont donc plus grands également. Il fallait alors trouver une solution à long terme puisque jusqu’ici, seules des solutions non durables étaient exploitées, comme le souligne David A. Ennis. « Ils [ndlr : les administrateurs de la Ville de Winnipeg] avaient toute une série de puits, qui se trouvaient principalement dans la partie nord-ouest de la ville. Et ils ne savaient pas combien de temps ces puits allaient durer. Il fallait trouver une solution. » 

Cette solution se trouvait dans le lac Shoal. « Ils ont donc réalisé un certain nombre d’études sur ce qu’il convenait de faire. L’étude la plus convaincante a été réalisée par Thomas Deacon, un ancien maire de Winnipeg. C’était un ingénieur qui avait travaillé en Ontario, dans la région de Kenora. Donc, il savait que le lac Shoal était là et qu’il avait une excellente source d’eau. Elle n’avait pas besoin d’être traitée pour être adoucie ou quoi que ce soit d’autre à l’époque. » 

Dans sa thèse, intitulée Developing a Domestic Water Supply for Winnipeg from Shoal Lake and Lake of the Woods: The Greater Winnipeg Water District Aqueduct, 1905 – 1919, David A. Ennis montre que Thomas Deacon a plusieurs fois plaidé pour que le lac Shoal devienne la source primaire d’eau potable de Winnipeg. Dans sa campagne électorale pour la mairie de Winnipeg, il s’engageait à « fournir immédiatement aux habitants de Winnipeg un approvisionnement suffisant et permanent en eau douce et pure, ce qui éliminera à jamais la menace d’une pénurie d’eau qui pèse actuellement sur Winnipeg ». 

Photographie d’ouvriers utilisant un dispositif pour déplacer les coffrages de l’arche
extérieure de l’aqueduc de Winnipeg près de Spruce Siding, Manitoba.
Photographie d’ouvriers utilisant un dispositif pour déplacer les coffrages de l’arche extérieure de l’aqueduc de Winnipeg près de Spruce Siding, Manitoba. (photo : Gracieuseté Ville de Winnipeg)

Quelques obstacles 

À la fin de janvier 1913, une série de rencontres aboutissent à une entente avec plusieurs Municipalités et à la création du Greater Winnipeg Water District. Ce district comprend alors la ville de Winnipeg, la ville de Saint-Boniface, la ville de Transcona, la municipalité rurale de Saint-Vital, une partie de la municipalité rurale de Fort Garry, une partie de la municipalité rurale d’Assiniboia et une partie de la municipalité rurale de Kildonan. Quelques opérations ont été menées au courant de l’année 1913 pour commencer la construction en mars 1914. Il a d’abord fallu établir un chemin de fer de 180 kms et achever la dérivation de la rivière Falcon.

Après seulement, les travaux de l’aqueduc du lac Shoal ont pu débuter en 1915 et être achevés en 1918. Durant cette construction, il y a eu quelques obstacles comme l’indique David A. Ennis. « Le terrain entre Winnipeg et le lac Shoal était très varié et vraiment très long. La plupart du temps, il s’agissait d’un terrain de type marécageux ou de marais. Pour construire une installation en béton, essentiellement un gros tube de béton, à travers des tourbières et des rivières, ce n’était pas facile. Il y a cinq rivières à traverser entre Shoal Lake et Winnipeg. 

« De plus, vous devez avoir des moyens de contrôler la pression dans le tuyau en la relâchant si nécessaire, pour laisser sortir l’eau en cas de problème. C’est donc beaucoup de travail. » 

À cause des conditions climatiques du Manitoba, la construction se faisait principalement entre les mois de mai et novembre. Le projet a coûté près de 15 millions $. 

Premières Nations 

Bien que ce projet ait été une source de progrès pour le développement de la Ville de Winnipeg, la Première Nation du Lac Shoal a, elle, souffert d’un enclavement. David A. Ennis souligne que « là où l’aqueduc commence, la terre appartenait au début à la réserve des Bandes 40 et 39 de Shoal Lake. 

« Le gouvernement du Canada l’a vendue au Greater Winnipeg Water District à un prix très bas. Mais le Greater Winnipeg Water District avait déjà commencé à construire avant que la vente ne soit approuvée par le gouvernement du Canada. » Dans sa thèse, David A. Ennis détaille : « La réserve était régie par la Loi sur les Indiens du gouvernement fédéral. Il était nécessaire que le Greater Winnipeg Water District acquière des droits sur une partie de ces terres.

La Loi sur les Indiens contenait une disposition selon laquelle si une autorité municipale avait une autorité statutaire provinciale « pour prendre ou utiliser des terres ou tout intérêt dans des terres sans le consentement du propriétaire », elle pouvait le faire pour les terres de réserve avec l’approbation du gouverneur en conseil. C’est ce qui s’est passé lorsque le Canada a vendu au Greater Winnipeg Water District 144 hectares de terres de la bande 40 sur la rive de la baie Indian pour 3 $ l’acre, et 1 200 hectares du lit du lac et des îles de la baie pour 0,50 $ l’acre. La transaction a eu lieu le 3 mars 1915. 

« La conséquence de cet achat est que bien que cela n’ait pas semblé important à l’époque, l’excavation du canal de dérivation a eu pour effet d’enclaver les résidents de la Bande 40. » La Première Nation du Lac Shoal n°40 a été coupée du reste de la civilisation jusqu’en juin 2019, date de la construction de la route de la liberté. 

Retour dans le passé

Niigaan Sinclair est professeur en études autochtones à l’Université du Manitoba. Il a eu l’occasion de se rendre à plusieurs reprises dans la Première Nation du Lac Shoal n°40. Pour lui, c’est comme un retour dans le passé. 

« Le canal, qui a été creusé par la Ville de Winnipeg, a ensuite contaminé l’eau. L’eau est très sombre. Elle est très limoneuse, on ne peut donc pas la boire. On ne peut pas non plus la filtrer. 

« Mais si vous conduisez, c’est comme si vous conduisiez dans les années 1940. Toutes les maisons sont des caravanes. Personne n’a de maison, sauf quelques personnes. Mais pour tout le monde, c’est comme si on roulait dans une distorsion temporelle. Et c’est logique parce qu’il n’y a eu de financements dans cette communauté que pendant une courte période dans les années 1930 et 1940. Pendant longtemps, ils ont été complètement oubliés. Ce qui fait que la Première Nation ne vit pas de la même manière que nous, ils ont moins de téléphones cellulaires, moins de possessions. Les gens vivent différemment qu’à Winnipeg. Je ne peux pas vous dire si c’est pour le meilleur ou pour le pire. » 

(1) Cette thèse est disponible en ligne : https://mspace.lib.umanitoba.ca/server/api/core/ bitstreams/cdb21c4f-b6ed-4486- ba52-34b735bf1f62/content