Marine Ernoult.

De nombreuses espèces qui passent les mois glacés de l’hiver sous la neige sont menacées. Un faible manteau neigeux facilite également la propagation d’espèces envahissantes et de maladies.

La neige s’est fait attendre dans l’Est du pays. La première tempête hivernale vient juste de frapper une partie de l’Ontario, du Québec et du Canada atlantique.

Environnement et Changement climatique Canada a relevé entre 5 et 15 centimètres de neige accumulée dans le sud de l’Ontario le mardi 9 janvier. Jusqu’à 25 centimètres sont tombés par endroit dans les Maritimes.

Ces abondantes chutes de neige interviennent alors que le manteau neigeux est au plus bas.

« Depuis l’automne dernier, nous avons une quantité très basse de neige dans nos régions, comparée aux moyennes climatiques », observe Alexandre Roy, professeur au Département des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Records de chaleur en décembre

« Le manque de neige se répète année après année. Mais cette saison est vraiment exceptionnelle, nous avons eu des températures bien au-dessus des normales », confirme Annie Langlois, coordonnatrice Faune et flore du pays au sein de la Fédération canadienne de la faune (FCF).

À Kenora, dans le Nord-Ouest de l’Ontario, le mois de décembre a été le plus chaud jamais enregistré. À Toronto, Hamilton, London ou encore Sault-Sainte-Marie, le dernier mois de l’année a été le deuxième plus chaud jamais observé.

Les relevés de plusieurs stations météorologiques des quatre provinces du Canada atlantique classent décembre 2023 parmi les dix mois de décembre les plus doux.

L’Ouest canadien a aussi connu des conditions incroyablement clémentes en fin d’année dernière. À Calgary et à Edmonton, en Alberta, le mois de décembre a été le plus chaud jamais enregistré, tout comme à Saskatoon en Saskatchewan et à Churchill au Manitoba.

À Edmonton, la température a systématiquement dépassé les 0 °C durant 25 jours. En décembre 2022, le thermomètre n’a jamais franchi le point de congélation.

Saison d’enneigement réduite

Le retour en force du phénomène El Niño, associé aux changements climatiques, contribue en partie à cet hiver plus doux et à ce faible tapis neigeux. Selon plusieurs études, les hivers canadiens se réchauffent plus vites que toute autre saison et deux fois plus vite que les étés.

« La tendance que nous constatons au cours des trente dernières années, ce n’est pas nécessairement moins de neige au sol, c’est surtout une diminution de la saison d’enneigement », précise Alexandre Roy.

Autrement dit, la neige tombe plus tard en automne et fond plus tôt au printemps.

Le chercheur relève également une recrudescence des précipitations hivernales : « De plus en plus souvent, les chutes de neige sont suivies d’un épisode pluvieux qui fait fondre le couvert blanc. »

Le manque de neige met en péril de nombreux animaux et végétaux, qui ont mis des millénaires à s’adapter à leur habitat.

« Nos écosystèmes sont capables d’encaisser des variations dans les conditions climatiques, mais l’hiver change de plus en plus rapidement, alerte Annie Langlois. Les espèces n’ont jamais connu de changements de cette nature, ni survenant à la vitesse actuelle, elles n’ont pas le temps de s’adapter. »

Car, sous les couches de neige, la vie suit son cours. Des musaraignes chassent, des perdrix dorment, des campagnols se promènent dans les tunnels qu’ils ont creusés au beau milieu des flocons.

Cet environnement si particulier est possible lorsqu’une couche de neige pas trop dense fait au moins 20 cm de hauteur.

Vie secrète des animaux

« Grâce au pouvoir isolant de la neige, la température entre le sol et la surface reste stable, et relativement agréable. Alors qu’au-dehors, on peut atteindre les -30 °C, il fera toujours autour de 0 °C sous la couche de neige qui piège la chaleur du sol », explique Alexandre Roy.

Une multitude d’êtres vivants peuvent ainsi « survivre à l’hiver, protégés du gel et des températures extrêmes », poursuit Annie Langlois.

Parmi les habitants de ces iglous naturels : la grenouille des bois, qui a l’étonnante particularité de pouvoir geler jusqu’à 60 % de son corps.

Elle profite de la stabilité des températures pour hiberner tranquillement pendant l’hiver, tout comme certaines perdrix, qui creusent leur grotte en plongeant la tête la première dans la neige.

D’autres espèces, au contraire, s’activent dans cet univers blanc et ouaté. Les lemmings (de petits rongeurs) sont en pleine période de reproduction. Les loutres empruntent les galeries creusées pour accéder aux eaux gelées des rivières et y trouver de quoi se nourrir.

« Même les plantes s’épanouissent dans ce monde parallèle, leurs racines sont conservées au chaud dans le sol », ajoute Annie Langlois.

Ces plantes nourrissent les insectes, qui à leur tour font le régal des oiseaux et des rongeurs. Voilà le point de départ d’une chaine alimentaire version hivernale.

« Avec la pénurie de neige, le refuge de toutes ces espèces disparait, elles sont exposées aux épisodes de gel et de froid intense », souligne Alexandre Roy.

Risque de pénurie d’eau en été

« Il peut y avoir un effet en cascade sur tous les organismes de la chaine alimentaire, de la proie jusqu’au prédateur », complète Annie Langlois.

Des températures plus douces favorisent aussi la propagation d’espèces exotiques envahissantes. Certaines migrent vers le Nord à cause du réchauffement climatique. D’autres se déplacent accrochées à des pneus ou aux coques des navires, transportées dans des conteneurs ou des soutes d’avion.

En temps normal, l’hiver protège la faune et la flore indigènes de ces espèces invasives, incapables de survivre au froid et à la neige.

« Mais les dynamiques de populations sont en train de changer. On voit de plus en plus d’espèces envahissantes qui menacent les écosystèmes et entrent en compétition avec les animaux et les végétaux déjà présents », rapporte Annie Langlois.

La biologiste rappelle également que le réchauffement hivernal favorise la persistance des maladies et augmente les risques de survie des champignons parasites.

Le manteau neigeux moins important que la normale risque enfin d’entrainer un déficit d’eau en été. 

« La neige représente un réservoir d’eau solide important. Sa fonte au printemps est essentielle à l’alimentation des lacs et des cours d’eau », détaille Alexandre Roy.

En l’absence de couvert blanc, le sol a par ailleurs tendance à geler davantage et à devenir imperméable, explique le chercheur. Résultat, l’eau ruissèle en surface, augmente le risque d’inondation et ne s’infiltre pas dans la terre pour recharger les nappes phréatiques.